Adèle Yon
La cage de verre d’Alexandre. Une arché du post-cinéma ?
Résumé
Le présent article développe un rapprochement entre une imagerie médiévale – l’épisode de la cage de verre du Roman d’Alexandre tel que rapporté dans les versions d’Alexandre de Paris et de Thomas de Kent au XIIe siècle – et une infrastructure contemporaine permettant la transmission numérique des données – les câbles de fibres optiques au fond des océans. Afin d’initier une archéologie du post-cinéma distincte de celle du cinéma, nous souhaitons examiner l’hypothèse de l’épisode sous-marin du Roman d’Alexandre comme arché des pratiques d’enregistrement, de diffusion et de réception numériques des images : cet épisode légendaire mettrait-il en œuvre un « post-cinématisme » au sens où Eisenstein a pu parler de « cinématisme » pour qualifier des pratiques artistiques ou culturelles usant des mêmes procédés que le cinéma avant l’invention de celui-ci ?
Mots-clés
verre, exploration sous-marine, fibre optique, archéologie des médias, collage
Référence électronique pour citer cet article
Adèle Yon, « La cage de verre d’Alexandre. Une arché du post-cinéma ? », Images secondes [En ligne], 03 | 2022, mis en ligne le 16 février 2022, URL : http://imagessecondes.fr/index.php/2022/02/16/yon/
Avant-propos
Dans un article portant sur la saison 3 de Twin Peaks (Lynch, 2017), Pacôme Thiellement propose l’analyse suivante du rôle du·de la spectateurice :
C’est comme si l’ensemble de la saison était à regarder comme un enquêteur recompose sur son mur les différents fils du récit avec des post-it et des feutres fluorescents. Et c’est la façon dont on doit penser à l’apparition des nouveaux médias et à l’omniprésence des technologies dans nos vies. La multiplication des sources d’informations et des réseaux de socialisation a transformé l’homme d’aujourd’hui en profiler.1
Ce qui vaut pour le·la spectateurice vaut-il pour le·la chercheur·se ? La part de plus en plus importante des médias numériques dans le travail de recherche tend à modifier considérablement son activité et peut représenter une invitation à structurer différemment sa méthodologie. Sur l’écran de notre ordinateur, la co-présence des onglets, des applications, des images et des mots compose une esthétique de la juxtaposition et du collage. Si les algorithmes d’Internet nous traitent le plus souvent en consommateurs, les interfaces numériques ont néanmoins ouvert un espace où la juxtaposition d’éléments hétérogènes peut agir comme impulsion de recherche ou comme forme de connaissance. L’esthétique du collage caractéristique d’Internet me semble ainsi pouvoir servir de modèle à l’organisation d’une enquête sur les médias numériques2. Une telle enquête procède ainsi, plutôt qu’au déroulement linéaire d’une argumentation, au prélèvement et à la mise en rapport de motifs historiques desquels peut émerger, au-delà des anachronismes, une configuration commune. Elle cherche à répondre à une question adressée par le·la chercheur·se à et depuis son contexte d’origine, en opérant des détours par des objets appartenant à des époques ou à des champs différents, mais dont la manifestation fait écho au problème étudié.
Le présent article tire ainsi sa source du rapprochement entre une imagerie médiévale – l’épisode de la cage de verre du Roman d’Alexandre au XIIe siècle – et une infrastructure numérique contemporaine – les câbles de fibres optiques posés par des robots au fond des océans. Leur ressemblance formelle s’explique-t-elle par la proximité de leurs dispositifs et par une ambition comparable ? Ces motifs appartenant à des contextes éloignés peuvent-ils mettre au jour une même réalité médiatique ? Je souhaite ainsi interroger le motif de la cage d’Alexandre comme arché3des médias numériques et de ce qui les sous-tend : les infrastructures d’Internet, comme une formulation anachronique des mêmes ambitions avec des moyens techniques encore imaginaires.
Chercher l’origine d’un médium dans des formes antérieures aux inventions qui permettent techniquement son apparition s’appuie sur une certaine méthodologie. Dans plusieurs écrits parcourant toute son œuvre, le réalisateur et théoricien soviétique Sergueï Eisenstein esquisse une esthétique générale du cinéma à partir de sa comparaison avec d’autres arts : il montre comment se trouvent à l’œuvre, dans diverses pratiques artistiques ou symboliques antérieures à l’invention du cinématographe, des procédés de construction similaires aux opérations du cinéma4. Cette archéologie éclatée permet de caractériser en négatif une essence des procédés cinématographiques, le cinématisme, qui peut être distingué du cinéma lui-même et que d’autres médiums peuvent mettre en œuvre5. Ainsi, l’épisode de la cage de verre du Roman d’Alexandre démontrerait-il un « post-cinématisme » qui, en suivant Eisenstein, serait au post-cinéma ce que le cinématisme est au cinéma, à savoir un ensemble de pratiques relevant des mêmes usages et procédés que le post-cinéma avant l’apparition de celui-ci ? Si cette hypothèse se vérifie, le post-cinéma – qui désigne ici les pratiques d’enregistrement, de diffusion et de réception des images en mouvement par les médias numériques – présenterait une archéologie distincte de celle du cinéma. Cela inviterait à proposer une définition du post-cinéma irréductible au seul statut d’un « après-cinéma » ayant vu le jour avec la régression de la pellicule et de l’analogique. L’enjeu de cet article est donc d’envisager l’hétérogénéité radicale du cinéma et du post-cinéma à partir de la mise en lumière d’un post-cinématisme préexistant à l’invention des médias numériques, démontrant certaines caractéristiques que les médias numériques mèneraient à leur pleine expression.
L’article est accompagné d’un travail iconographique ayant pour but d’exposer l’architecture et la temporalité de la démarche de recherche à côté de la formulation synthétique et argumentée de ses résultats. Il consiste, d’une part, en des collages d’images numériques à différentes étapes du travail, susceptibles de rendre visibles les rapprochements proposés ; il fait, d’autre part, intervenir des dispositifs matériels pauvres, rudimentaires, permettant d’expérimenter l’aspect polymorphe et tridimensionnel d’un raisonnement par le geste. Leur facture simple, voire simpliste, renoue avec les procédés de visualisation schématiques du profiler, orientés vers la lisibilité de leur contenu.
I.
Présent dès la première version du Roman d’Alexandre6, puis objet de réécritures successives entre le Ve et le XIIIe siècles7 dont les plus notables et les plus détaillées sont celles de Thomas de Kent (1175)8 et d’Alexandre de Paris (1185)9, l’épisode de la cage de verre raconte comment Alexandre, après avoir conquis toutes les terres émergées, entreprend d’étendre le champ des connaissances humaines en explorant le fond des océans à bord d’un tonneau de verre10. Alors que je regarde les rares illustrations que l’on peut trouver de cet événement mythique dans les manuscrits d’époque, je suis frappée par sa ressemblance avec une iconographie beaucoup plus actuelle, dont les images s’illustrent également par leur rareté : celle de la fibre optique, ce support essentiel d’Internet et des médias numériques dont les câbles fragiles, enfermant des dizaines de minuscules tubes de verre, sillonnent les océans. Je m’attelle à un jeu de correspondances et, partant à la recherche de photographies de cargos déroulant leurs câbles dans les mers internationales, je m’emploie à vérifier cette intuition première.
Dans la version grecque originale, l’épisode de la cage de verre constitue avant tout une leçon de modestie : Alexandre, à la recherche de pierres précieuses, pénètre dans l’océan à bord d’un tonneau transparent, mais un poisson gigantesque surgit des abysses, brise l’embarcation et le rejette sur le rivage. Le narrateur ne tire qu’un seul enseignement de cet épisode : « Garde-toi, Alexandre, de t’attaquer à l’impossible, de peur qu’à suivre la piste des profondeurs, tu ne perdes aussi la vie »12. Si l’épisode sous-marin représente initialement une expérience des limites – Alexandre y découvre les espaces qu’il ne peut conquérir –, certaines versions ultérieures en tirent une toute autre leçon. Dans les Roman d’Alexandre de Thomas de Kent et d’Alexandre de Paris, l’épisode sous-marin intervient alors que le souverain vient d’achever sa conquête sur le territoire : il souhaite prolonger et maintenir sa domination militaire en étendant le champ de sa connaissance. À bord d’un bathyscaphe de verre conçu par les meilleurs artisans du royaume, Alexandre entreprend ainsi d’observer un espace jusqu’alors inaccessible à l’œil humain : les profondeurs de l’océan. D’après Catherine Gaullier-Bougassas, cette association entre mondes sous-marins et extension de la connaissance est tout à fait inédite :
Son exploration des fonds marins apparaît peut-être encore plus inouïe que ses autres aventures car elle est sans précédent, ni réel ni mythique (…). De multiples récits mythiques racontent certes comment des héros, tel Ulysse, doivent faire l’expérience d’une navigation périlleuse (…) mais ils ne leur prêtent aucun désir d’explorer les abysses, ils ne considèrent pas que la connaissance des fonds marins puisse enrichir l’humanité comme le font celles du ciel et de l’au-delà.13
Le séjour sous-marin d’Alexandre se présente comme une expérience inédite de savoir. Le souverain est d’ailleurs également celui par lequel la transmission du savoir peut avoir lieu. Dans un article sur ce même épisode, Hélène Bellon-Méguelle affirme ainsi à propos du souverain : « Vecteur de sens, il permet de rendre intelligible aux hommes ce qui leur échappe »14. Alexandre dans son habitacle de verre apparaît donc comme le médium par lequel la connaissance devient communicable.
Cependant, alors qu’il pénètre dans l’eau pour explorer de nouvelles réalités, les conclusions qu’en tire Alexandre ne seront pas d’ordre scientifique, mais d’ordre politique et militaire. Dans la version d’Alexandre de Paris, le roi assiste – plutôt qu’au spectacle merveilleux auquel le lecteur est en droit de s’attendre – à la victoire assez banale des gros poissons sur les petits. Pour Catherine Gaullier-Bougassas, cette conclusion révèle l’incapacité d’Alexandre, constamment rattrapé par sa volonté de puissance, obsédé par la conquête militaire, à tirer les véritables enseignements de cette expérience :
[L’épisode sous-marin] est une image « psychique » qui met au jour le conflit intérieur d’Alexandre, l’avidité de sa volonté de puissance qui engloutit et contraint au refoulement toutes les autres aspirations qu’il peut connaître. Et c’est aussi une image politique, celle d’un conquérant insatiable qui, par la force ou par la ruse, dévore tout sur son passage, sans aucune préoccupation morale.15
La domination par la connaissance comme prolongement de la domination sur le territoire, le médium sous-marin comme vecteur du savoir, ou encore la conquête des fonds marins comme manifestation d’une volonté de puissance insatiable, tous ces éléments semblent faire directement écho au développement des infrastructures de télécommunications et d’Internet. Celles-ci reposent en premier lieu sur la technologie de la fibre optique. Développée dans les années 1970 par l’entreprise américaine Corning Glass Works, la fibre optique utilise les propriétés conductrices du verre pour transmettre les images sous forme de signaux lumineux à une vitesse et dans une qualité inégalées. Elle doit son invention à Charles Kao, en 1966, qui démontre que le verre peut être purifié au point de pouvoir réfléchir sur plusieurs kilomètres de la lumière transportant des données. Le premier câble à fibres optiques est posé dans l’Atlantique en 1988. Aujourd’hui, l’immense majorité des télécommunications se fait via ces câbles sous-marins (en 2012, ils constituaient déjà un réseau de plus d’un million de kilomètres16), témoignant de leur croissance éclair17.
On retrouve au niveau de ces infrastructures numériques une corrélation entre extension du champ de la vision et conquête du territoire, la visibilité des utilisateurs sur et par le reste du monde justifiant l’installation d’infrastructures lourdes et instaurant de véritables luttes d’influence pour la prise de possession de nouveaux espaces. La dimension conquérante des infrastructures numériques apparaît encore plus clairement lorsqu’on s’aperçoit que, depuis la pose du premier câble à fibres optiques, l’initiative et la propriété de ces réseaux est en train de basculer des grands opérateurs privés du secteur des télécoms aux GAFA. À partir de 2010, deux nouveaux investisseurs se sont en effet présentés sur le marché : Google18 et Facebook19. Leur domination des espaces virtuels se double d’une conquête bien réelle, à l’échelle du globe, qui a tout de militaire. Le 13 mars 2020, l’arrivée du premier câble Google reliant l’Europe aux États-Unis a été posée à Saint-Hilaire-de-Riez, en Vendée : le point de liaison entre le nouveau câble et le réseau terrestre existant a ainsi été placé dans un bunker antiatomique, construit à l’origine pour l’OTAN, manifestant les enjeux géopolitiques attachés à ces infrastructures20. De manière plus générale, une cartographie des infrastructures matérielles d’Internet révèle que celles-ci s’ancrent en réalité, sous leur apparente dématérialisation, dans une géographie déjà bien ancienne de lieux de pouvoir et d’échanges stratégiques. Comme le remarque Andrew Blum dans son ouvrage Tubes: A Journey to the Center of the Internet :
À peu d’exceptions près, les câbles sous-marins atterrissent dans ou près de villes portuaires classiques, comme Lisbonne, Marseille, Hong Kong, Singapour, New-York, Alexandrie, Bombay, Chypre ou Mombasa. Au quotidien il pourrait nous sembler qu’Internet a changé notre vision du monde ; mais les câbles sous-marins nous montrent comment cette nouvelle géographie a été intégralement tracée sur les contours de l’ancienne.21
Le déploiement international des réseaux de fibre optique répond bien à une logique de conquête : il représente le pendant matériel d’une domination de plus en plus marquée de ces acteurs sur nos quotidiens et nos imaginaires. Comme pour Alexandre, l’extension du champ de la vision humaine n’est ainsi qu’une autre facette de la domination politique et militaire. Les GAFA représentent, à l’ère contemporaine, une forme de pouvoir similaire à celui du souverain macédonien, leur domination reposant sur une concentration de savoir qui prend pour eux la forme de données sur les utilisateurs – États, entreprises, particuliers. En outre, comme dans l’épisode de la cage de verre, c’est bien la possession d’un médium matériel de pointe qui permet d’acquérir le monopole de cette connaissance : les câbles à fibres optiques, tapis dans les profondeurs et mettant en œuvre des technologies aussi microscopiques que complexes, représentent le pendant contemporain du tonneau de verre d’Alexandre, fruit du savoir des meilleurs artisans du royaume, construit à partir du matériau coûteux qu’est le verre. Autrement dit, la domination d’Alexandre comme de Google en termes de savoir demeure indissociable d’une supériorité technique et financière. Notons enfin que les réseaux d’infrastructures d’Internet jouissent du même caractère mystérieux que les fonds marins pénétrés par Alexandre, leur situation géographique inatteignable et leur invisibilisation médiatique – ceux qui les développent étant soucieux de préserver l’image de médiations immatérielles et magiques – participant toutes deux de ce statut. Andrew Blum écrit ainsi que les câbles de fibre optique sous-marins « le frappent comme merveilleusement poétiques, comme une ultime rencontre entre les mystères insondables du monde numérique et les mystères encore plus insondables des océans »22. Néanmoins, ce caractère mystérieux n’est que le versant fantasmatique du monopole que détiennent leurs propriétaires sur ces infrastructures, s’assurant de leur inaccessibilité.
À l’ère du post-cinéma, on peut ainsi dire que les réseaux de fibres optiques sur lesquels transitent les contenus numériques, représentent la forme contemporaine de la rencontre entre un certain objectif – domination territoriale et extension de la vision – et un certain contexte matériel – infrastructures de verre (demandant une technologie poussée) et mondes sous-marins (inaccessibles) –, qui avait été initiée sur un plan imaginaire par le Roman d’Alexandre.
II.
Le rapprochement entre l’épisode de la cage de verre et le post-cinéma ne repose néanmoins pas seulement sur les mécanismes de pouvoir qui les motivent et régissent leurs infrastructures. Cet épisode fait intervenir le motif inédit, alors entièrement imaginaire, de l’habitacle de verre. La description de l’objet témoigne des fantasmes des biographes d’Alexandre, conduits à mettre en scène les interactions induites par cet étrange objet. Quelle description Thomas de Kent et Alexandre de Paris en font-ils ? Proposent-ils une lecture médiatique de cet épisode, au sens où l’écran de verre serait mis en perspective comme espace d’échange entre un extérieur et un intérieur étrangers l’un à l’autre ? Si tel est le cas, quelles configurations de regard la description de la cage de verre instaure-t-elle ?
On remarquera en premier lieu que l’événement visuel et spectaculaire prend autant de place que la dimension militaire et conquérante. Les deux versions étudiées du Roman d’Alexandre insistent longuement sur l’artifice technique qui permet au souverain de se rendre dans les profondeurs de la mer : un tonneau de verre cerclé de métal et accroché par une chaîne à un navire. Le matériau de l’engin, le verre, correspond à sa fonction, celle d’un écran transparent à travers lequel l’environnement marin pourra être regardé. Dans un article sur l’épisode sous-marin, Sandrine Hériché relève ainsi que « le rôle d’Alexandre est d’être un spectateur devant qui se déroule une vision incompréhensible pour le commun des mortels »23. Pourtant, la version d’Alexandre de Paris ne présente pas seulement le souverain dans ce rôle de spectateur. Le bathyscaphe, conçu spécifiquement pour l’occasion, est ainsi décrit :
Les ouvriers fabriquent un superbe vaisseau,
tout de verre limpide, on n’en vit jamais de si beau.
Ils garnissent de lampes l’intérieur du tonneau :
c’est un grand plaisir que de les voir ainsi briller !24
Le biographe insiste sur la beauté de l’objet : sa fonction scientifique semble annulée par son évidence esthétique. L’auteur se place ainsi en position de spectateur. Il ne partage pas la position d’Alexandre, à l’intérieur de l’habitacle, mais adopte un point de vue extérieur, proposant une appréciation des qualités visuelles de l’objet. L’instrument d’observation se mue ici en objet de contemplation. La suite de la description comporte un intérêt proprement médiatique : elle prend au sérieux, de manière surprenante, la réciprocité de regard que permet l’écran transparent. Le passage aquatique oscille ainsi constamment entre deux sujets d’observation, la membrane de verre permettant l’interchangeabilité des pôles de regard. S’il est annoncé par exemple que « La mer ne contient pas poisson assez petit / pour échapper au regard du roi »25, ou encore que « Le roi Alexandre, sans la moindre crainte, / examine à loisir tous les poissons »26, la description s’arrête également sur le spectacle que représente la cage de verre illuminée pour les créatures sous-marines :
Et quand le tonneau est descendu tout au fond,
les lampes répandent une immense clarté.
Tous les poissons contemplent le tonneau :
les plus hardis sont tous épouvantés
par cette lumière dont ils n’ont pas l’habitude.25
Dans son habitacle scintillant, Alexandre est lui aussi l’objet du regard des poissons dont il vient perturber l’environnement. Dans son article sur l’épisode sous-marin, Hélène Bellon-Méguelle souligne ainsi l’inversion des pôles de regard : « Le texte indique étonnamment que ce sont les poissons qui regardent Alexandre et non pas le contraire. L’observateur observé devient objet de surprise et de crainte »27. La cage de verre d’Alexandre instaure donc une réciprocité du spectacle et du spectateur que manifeste le double point de vue. L’épisode sous-marin semble ainsi inventer l’écran de verre comme interface, membrane d’échange entre le sujet de regard et son objet qui va jusqu’à annuler la validité de cette distinction. L’écran de verre y est conçu non pas seulement comme une fenêtre sur le monde, mais comme un espace de réciprocité entre intérieur et extérieur.
Quelles conclusions relatives au post-cinématisme peut-on tirer de cet épisode ? En premier lieu, le matériau employé préfigure nos médias contemporains : « degré zéro du matériau », comme le qualifie Baudrillard dans Le Système des objets28, le verre est aujourd’hui le ressort premier de la dématérialisation proclamée du stockage et de la transmission des images à l’ère du numérique. D’une part, les écrans LCD (Liquid Crystal Display) rétroéclairés, qui remplacent la projection lumineuse sur une surface plane, recouvrent aussi bien les panneaux publicitaires que nos ordinateurs et nos téléphones portables. Leur structure physique, de plus en plus complexe, permet leur miniaturisation et, partant, leur multiplication. D’autre part, la généralisation et l’accessibilité croissante au grand public de la fibre optique, basée sur les propriétés conductrices du verre, en fait un outil fondamental de la modification des modes de réception des images. Le verre apparaît comme le matériau premier de la circulation intensive des images, que l’on peut attribuer à la multiplication des plateformes de visionnage et à l’immédiateté des transmissions. Mais la description en situation de l’habitacle de verre d’Alexandre préfigure aussi la réciprocité des échanges permise à l’ère numérique par l’écran de verre : si nous pouvons à loisir regarder les images défiler sur nos smartphones et nos ordinateurs, ceux-ci sont également des fenêtres ouvertes sur nos intimités, à travers lesquelles les acteurs économiques et politiques peuvent puiser les renseignements qui les intéressent. L’écran numérique et connecté agit comme une interface où l’observateur se mue en objet d’observation. Les médias post-cinématographiques ouvrent la voie à une interactivité entre le sujet regardant et l’objet regardé, au point de rendre caduques ces catégories. Cette réversibilité du regard semble au contraire étrangère au dispositif cinématographique, qui repose en premier lieu sur la souveraineté du spectateur comme sujet de regard29.
Mais il faut aller plus loin : l’épisode du Roman d’Alexandre semble également nous proposer une compréhension inédite du·de la spectateurice comme usager·ère. En effet, c’est d’abord parce qu’il fait usage de l’engin qu’il a conçu qu’Alexandre peut acquérir une position d’observateur : le souverain habite le bathyscaphe et il le pilote. Le tonneau de verre est un médium de regard, mais il est avant tout un vaisseau, un sous-marin dirigé au fond des océans par celui qui l’occupe. Or, le caractère d’usager·ère est également ce qui définit le statut du·de la spectateurice face aux médiations numériques. Les téléphones, les ordinateurs, ne sont pas des médias réservés au visionnage de films : ils ont pour particularité d’avoir une multitude d’usages possibles, grâce à leurs applications et leurs programmes, le visionnage de contenus audiovisuels étant un usage parmi d’autres. Les médias post-cinématographiques n’entretiennent plus un rapport unilatéral avec les individus auxquels ils se destinent, contrairement au cinéma dont le dispositif répond à une fonction spectatorielle identifiée. Dans le post-cinéma, l’usager·ère inclut la fonction de spectateurice et la dépasse. Or, cette qualité de se servir d’un médium de regard est exactement ce qui caractérise l’entreprise d’Alexandre : Alexandre le Grand est une figure archaïque de spectateur-usager.
Nous pourrions opposer à cela que cette figure ne caractérise pas seulement les médias post-cinématographiques : elle apparaît déjà dans les démarches scientifiques où le·la chercheur·se fait usage d’un médium de regard pour observer une réalité qu’iel ne peut observer à l’œil nu – ainsi, d’un microscope ou d’un télescope. Cependant, le roi n’observe pas le monde sous-marin au moyen d’une prothèse de regard qui lui permettrait d’en sonder les ténèbres : imaginant le sous-marin, ses historiographes auraient tout aussi bien pu inventer un système de jumelles, ou de lentilles, lui permettant de regarder le fond de la mer depuis sa surface. Alexandre est immergé dans l’élément aquatique, il utilise son bathyscaphe comme un environnement à part entière qui l’entoure et qu’il habite. La cage de verre n’est ni seulement écran, ni seulement lentille, elle est également volume, habitacle en trois dimensions. Alexandre de Paris écrit ainsi :
Le roi Alexandre et ses deux chevaliers
Sont au fond de la mer sur le sable brillant,
Dans leur vaisseau de verre qui est resté intact.30
Le médium de regard joue donc aussi le rôle de milieu, au sens où l’on parlerait d’un milieu de vie ou d’un milieu d’habitation. Cette compréhension environnementale du médium me semble préfigurer en profondeur nos médias contemporains, reliés en réseau les uns aux autres et composant un véritable écosystème avec ses lois et son fonctionnement propres. Nous habitons nos téléphones portables et nos ordinateurs comme Alexandre son bathyscaphe, ces derniers n’étant pas des lentilles suppléant l’œil dans son observation, mais bien des milieux à part entière dans lesquels nous nous immergeons pour voir les images. Préfigurant nos médias contemporains, l’épisode de la cage de verre fait donc émerger un nouveau type de spectateurice, à la fois sujet et objet de regard, usager·ère et habitant·e des images. Il me semble ainsi révéler, dans des termes proches de ceux du post-cinéma, la manière dont une certaine économie du regard – et en l’occurrence un nouveau type de spectateur·ice – peut émerger de conditions matérielles spécifiques. Ici, les compréhensions environnementale (iel habite le médium) et interactive (iel est autant regardé que regardant) du·de la spectateurice émergent directement du dispositif qu’est la cage de verre.
III.
Le 21 mai 2017, vingt-cinq ans après la fin de la deuxième saison, sort la troisième et dernière partie de la série culte de David Lynch : Twin Peaks. Culte, Twin Peaks ne l’est pas seulement pour son récit alambiqué et ses personnages hauts en couleurs : elle a durablement marqué l’histoire de la série télévisée pour avoir pris en compte, pour la première fois, les possibilités narratives offertes par le petit écran31. Elle intégrait, dans la construction de son récit, l’évolution des modes de regard permise par les nouveaux médias de diffusion des images en mouvement32. En 2017, lorsque Twin Peaks: The Return surgit sur les écrans internationaux, ce n’est plus devant leurs téléviseurs que la plupart des fans se précipitent, mais devant leurs ordinateurs, pour visionner cette troisième saison en streaming33. Entre la saison 2 et la saison 3, les modes de visionnage ont en effet considérablement évolué, et le principal concurrent des salles de cinéma n’est plus le programme télévisé, mais le flux incessant de contenu audiovisuel disponible en ligne. Or, David Lynch semble poursuivre dans la troisième saison ce qu’il avait initié dans les deux premières : une réflexion médiatique sur les nouveaux modes de réception des images en mouvement. Faut-il alors s’étonner que le réalisateur choisisse le motif de la cage de verre pour incarner les évolutions des pratiques de diffusion et de consommation des images en mouvement ? Transporté dans le Manhattan du XXIe siècle, Alexandre le Grand réapparaît sous les traits d’un Dale Cooper en suspension dans une mystérieuse « glass box », déposée sous haute surveillance dans un gratte-ciel new-yorkais34. Dans le numéro 735 des Cahiers du Cinéma consacré aux huit premiers épisodes, Laurent Dubreuil écrit :
On commence essentiellement par un moment réflexif qui n’est pas sans rappeler le geste premier de Twin Peaks: Fire Walk with Me (où le prequel filmique de la série du petit écran s’ouvrait, une fois passé le générique montrant la « neige » cathodique, par la violente destruction d’un téléviseur) : un jeune homme passe ici ses nuits à regarder une boîte de verre, désespérément vide, dans l’espoir qu’il se passe quelque chose, comme nous qui regardons nos télés, nos écrans, contemplant le néant dans l’attente de quelque élusif élément.35
La boîte de verre vide fait tout d’abord signe vers la vacuité des productions audiovisuelles en tout genre qui couvrent nos écrans, petits et grands. En outre, lors de la première apparition de la boîte de verre, on assiste à une alternance entre des plans sur celle-ci depuis le point de vue du protagoniste qui la surveille, et des plans sur le protagoniste depuis la boîte de verre (à chaque fois, d’abord en plan rapproché puis en plan large). Ce passage de l’un à l’autre installe une identification ambiguë, double : nous regardons la boîte de verre, mais nous regardons aussi depuis la boîte de verre, ce qui produit l’impression, lorsque le point de vue s’inverse, que la boîte de verre nous regarde également. Le motif post-cinématographique de Twin Peaks semble ainsi renouer avec les enjeux de pouvoir et la double identification propre à la transparence du matériau verrier que l’on trouvait dans Le Roman d’Alexandre.
Mais il y a autre chose. Le bon Dale Cooper apparaissant momentanément dans la boîte de verre, dans l’épisode 2, fait suite au cri de l’arbre-cerveau dans la Black Lodge : « non-exist-ent ». Et en effet, de même que l’Alexandre légendaire est déplacé et démultiplié par ses différentes biographies, Dale Cooper est d’abord l’une de ces créatures virtuelles polymorphes qui hantent nos écrans, capable de passer d’une boîte à une autre (de la Black Lodge à la boîte de verre, d’un écran de télévision à celui d’un ordinateur), de changer de taille (la taille des écrans modifie la taille des personnages) et de se démultiplier (il y a trois Dale Cooper dans la saison 3, mais un seul Kyle MacLachlan). Le néant de la boîte de verre ne pourrait-il alors in fine désigner la perte de matière des visages et des objets du cinéma numérique, de moins en moins indexés à un matériau réel (images de synthèse) et qui tous circulent à travers le globe sous formes d’ondes lumineuses, de 0 et de 1 ? C’est à ce second argument que l’on pourrait attribuer « l’amoindrissement de la vivacité », « le ralentissement général » ou encore le « ramollissement » remarqués par Jean-Philippe Tessé dans un article publié dans Les Cahiers du cinéma à propos des corps de la saison 336. Décrivant la manière dont les personnages semblent toustes, à différents degrés, atteints de léthargie et de décélération, Jean-Philippe Tessé ne s’arrête cependant pas sur les causes d’un tel phénomène. Un Dale Cooper traversant l’infini, silhouette collée sur un ciel d’étoiles dont un zoom nous révèle les pixels, ou transféré d’un monde à l’autre par le biais d’une prise électrique : cela ne nous dit-il pas la dématérialisation actuelle du cinéma et des personnages qui l’animent ? Bien conscient de leur traduction en chiffres et en impulsions lumineuses, c’est comme si David Lynch tentait de mesurer les conséquences de cette transsubstantiation sur ses personnages. Transformés en signaux électriques naviguant à travers les câbles d’Internet, les êtres de la saison 3 rendent visibles leurs multiples transferts et téléchargements : le voyage jusqu’à nos écrans leur coûte un peu de leur mobilité, de leur énergie, de leur mémoire. La dématérialisation numérique a bien un impact sur la matière.
Ces processus de téléchargement et de transit des images sous forme de données peuvent être comparés aux pérégrinations mythiques d’un personnage comme Alexandre le Grand, voyageant d’abord dans les récits oraux, transmué par les différentes langues et les différents espaces de réception, puis fixé en de multiples formes dans des écrits divers, dont les versions se reprennent, diffèrent, évoluent en fonction du contexte d’écriture et de ses besoins. Le récit légendaire, dans sa construction comme dans sa réception, se rapproche dans cette mesure du post-cinéma dont les objets sont diffusés par différents canaux, sur différents supports, dans différents lieux, à différents rythmes et dans différentes qualités d’images. L’un comme l’autre expriment en premier lieu la fragilité d’une version plutôt que l’aura d’une œuvre. Les Dale Cooper de Twin Peaks, en perte de matière, se rapprochent dans leur inconsistance numérique d’un Alexandre le Grand démultiplié par ses différentes biographies. Le récit légendaire comme le post-cinéma semblent rendre caduque la notion d’objet premier (image originale) comme d’objet source (objet réel).
À un niveau mythique et imaginaire, l’épisode de la cage de verre du Roman d’Alexandre met donc en œuvre trois motifs ou configurations de sens : il mobilise pour la première fois le triptyque extension du champ de la connaissance, monde sous-marin et volonté de puissance ; il invente un dispositif post-cinématographique par excellence, l’habitacle de verre, et en fait émerger un nouveau type de spectateurice, à la fois sujet de regard, objet de regard et usager·ère ; il apparaît sous une multiplicité de versions rendant caduques les notions d’objet premier et d’objet source. Ces éléments concourent à permettre une lecture de cet épisode comme arché du post-cinéma, au sens où il est possible de considérer qu’il contient en creux, dans une configuration inédite mais encore imaginaire, certaines caractéristiques essentielles de la transmission et de la réception numériques des images37. Partant, ils nous invitent à circonscrire le champ d’un post-cinématisme correspondant à un ensemble d’usages et de procédés (auxquels appartiennent les éléments ci-dessus) qui peuvent être étudiés indépendamment du contexte historique d’émergence du post-cinéma, et que celui-ci permet d’éclairer a posteriori. Identifier une telle arché du post-cinéma conduit en outre à proposer une définition du médium qui ne s’appuie pas sur ses productions mais sur ses infrastructures, sur les mécanismes de pouvoir qui les portent, et sur la réalité matérielle de leurs transmissions (fibre optique) et de leur réception (variété des supports). Cela initie une archéologie du post-cinéma distincte de celle du cinéma qui vise à affirmer l’irréductibilité des ambitions de la transmission numérique et des pratiques post-cinématographiques à la production et à la diffusion cinématographiques des images. Une telle archéologie invite à élaborer une définition du post-cinéma reposant, en premier lieu, sur une explicitation des mécanismes de pouvoir qui sous-tendent ses infrastructures, en deuxième lieu, sur une caractérisation interactive et environnementale du·de la spectateurice né de ces mêmes infrastructures, et mobilisant, en dernier lieu, la notion de version par opposition à la notion d’œuvre.
Adèle Yon
Durant sa scolarité à l’École normale supérieure (2014 – 2019), Adèle Yon a effectué un master de philosophie contemporaine à l’EHESS, avant de réaliser un master en études cinématographiques à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3. En septembre 2019, elle a obtenu un contrat doctoral SACRe (ENS / PSL). Codirigée par Antoine de Baecque (ENS) et Antonio Somaini (Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3), sa recherche vise à explorer les usages et les représentations du verre dans le cinéma et les médias optiques.
- Pacôme Thiellement, « La substance de ce monde », dans Trois essais sur Twin Peaks, PUF, Paris, 2018, p. 148.
- Cette méthode n’est pas sans antécédents : elle se rapproche d’une recherche dont le principe de base est le montage, fonctionnant par collages et rapprochements anachroniques plutôt que par un processus de déduction où chaque proposition est inférée de celle qui précède. Ce principe est mis en œuvre, entre autres, dans les entreprises historiographiques de Walter Benjamin et de Michel Foucault, ainsi que dans le projet inachevé d’Eisenstein d’une Histoire générale du cinéma, et s’appuie sur une conception dialectique du montage hérité de ce dernier
- Au sens établi par Giorgio Agamben dans Signatura Rerum. Sur la méthode, Vrin, 2014 (lui-même s’inscrivant dans la continuité de l’examen de la notion d’origine par Foucault dans « Nietzsche, la généalogie, l’histoire », Hommage à Jean Hyppolite, éd. S. Bachelard, PUF, 1971) : « Certes mes recherches, comme celles de Foucault, ont un caractère archéologique et les phénomènes avec lesquels elles ont affaire se déroulent dans le temps et impliquent dès lors une attention aux documents et à la diachronie qui ne peut pas ne pas suivre les lois de la philologie historique ; mais l’arché qu’elles rejoignent n’est pas une origine présupposée dans le temps, mais, en se situant au carrefour entre diachronie et synchronie, rend intelligible autant le présent du chercheur que le passé de son objet ». Cette compréhension de l’arché assume un certain anachronisme, que constitue l’influence de la position historique du chercheur sur l’objet de sa recherche.
- Ces écrits sont rassemblés dans François Albera, S. M. Eisenstein. Cinématisme – Peinture et Cinéma, Les Presses du Réel, 2009, et N. Kleiman et A. Somaini (dir.), Notes pour une Histoire générale du cinéma, AFRHC, 2014.
- Ainsi, par exemple, la mosaïque byzantine et le pointillisme s’attachent à composer une image unitaire à partir d’une composition de plusieurs éléments séparés, comme le fait le montage cinématographique.
- Pseudo-Callisthène, Le Roman d’Alexandre. La vie et les hauts faits d’Alexandre de Macédoine, traduit et commenté par Gilles Bounoure et Blandine Serret, Paris, Les Belles Lettres, 1992.
- Les différentes versions de cet épisode sont décrites et comparées par Catherine Gaullier-Bougassas dans « La réécriture inventive d’une même séquence : quelques versions du voyage d’Alexandre sous la mer », Bien dire et bien aprandre, n°14, 1996, pp. 7-19.
- Thomas de Kent, Le Roman d’Alexandre ou le Roman de toute chevalerie, trad. Catherine Gaullier-Bougassas et Laurence Harf-Lancner, Champion, Paris, 2003.
- Alexandre de Paris, Le Roman d’Alexandre, traduit par Laurence Harf-Lancner, Librairie générale française, Paris, 1994. Nous citons la traduction française du texte.
- Il inspirera nombre de légendes ultérieures, notamment l’épisode du chevalier dans un tonneau de verre présent dans Le Haut Livre du Graal au XIIIe siècle (voir « Une merveille bien énigmatique : le chevalier dans un tonneau de verre », dans D. Hüe, C. Ferlampin-Acher (dir.), Le Monde et l’Autre Monde, Paradigme, Orléans, 2002, p. 359-368), ou encore le mythe de Salomon et le jeune homme à la coupole de verre, qui apparaît dans le Libro de los Castigos autour du XVIe siècle (voir François Delpech, « Salomon et le jeune homme à la coupole de verre. Remarques sur un conte sapiential morisque », Revue de l’histoire des religions, n°4, 2006).
- De gauche à droite et de haut en bas : le robot Hector VI pose les câbles de fibre optique au large des côtes irlandaises (source : https://www.wired.co.uk/article/fixing-submarine-cables) ; le voyage sous-marin d’Alexandre, © Roman d’Alexandre, Ms fr. 9342, Paris, BnF (XVe siècle), f. 182 ; le voyage sous-marin d’Alexandre © Roman d’Alexandre, Ms 651, Chantilly, Musée de Condée (XVe siècle), f. 56v ; Louis Dreyfus Rovjet 810 (source : https://www.ldtravocean.fr/projets/) ; Alexandre le Grand dans la cloche de plongée, Miniature tirée du Livre de la véritable histoire du bon roi Alexandre, Ms. Royal 20, B.XX, fol. 77 v, Londres, British Library ; Giant Underwater Robot, image de synthèse (source : https://www.popsci.com/scitech/article/2008-04/massive-underwater-ditch-digging-robot/) ; Undersea Fiber Cables Are Connecting Our World, image de synthèse (source : https://acacia-inc.com/blog/undersea-fiber-cables-are-connecting-our-world/).
- Pseudo-Callisthène, Le Roman d’Alexandre. La vie et les hauts faits d’Alexandre de Macédoine, op.cit.
- Catherine Gaullier-Bougassas, « La réécriture inventive d’une même séquence : quelques versions du voyage d’Alexandre sous la mer », op. cit., p.8.
- Hélène Bellon-Méguelle. « L’exploration sous-marine d’Alexandre : un miroir de chevalerie », dans Chantal Connochie-Bourgne (dir.), Mondes marins du Moyen Âge, Presses universitaires de Provence, 2006.
- Catherine Gaullier-Bougassas, « La réécriture inventive d’une même séquence », art.cit. p.15.
- Boullier Dominique, « Internet est maritime : les enjeux des câbles sous-marins », Revue internationale et stratégique, n° 95, 2014, pp. 149-158.
- Voir Nicole Starosielski, « Fixed Flow. Undersea Cables as Media Infrastructure », dans Lisa Parks et Nicole Starosielski (dir.), Signal Traffic. Critical Studies of Media Infrastructures, University of Illinois Press, 2015, p. 54 : « Au sein de ce paysage connecté, les câbles sous-marins sont la partie de ce qui fait d’Internet un phénomène global. Presque cent pour cent du trafic transocéanique d’Internet est porté par les câbles sous-marins de fibre optique et, parfois, le réseau est même transmis de cette manière entre différents endroits d’un même continent » (je traduis). Cette croissance rapide est due à la grande capacité de transmission des câbles sous-marins et à leur coût moins important que les communications satellites utilisées par Internet dans un premier temps.
- Source : https://fiber.google.com
- Facebook a annoncé sa volonté d’intégrer le marché des câbles de fibre optique sans avoir pour l’instant mis en place de réseau propre.
- Source : https://www.businessinsider.fr/larrivee-du-cable-sous-marin-de-google-reliant-les-etats-unis-a-la-france-installe-en-vendee/, consulté le 02/11/2020.
- Andrew Blum, Tubes: Behind the Scenes at the Internet, London, Harper & Collins, 2012, p. 194 (je traduis). Voir également Nicole Starosielski, « Fixed Flow: Undersea Cables as Media Infrastructure », op. cit., p. 56 : « Les câbles sous-marins ne s’étendent pas uniformément dans l’espace : ils demeurent souvent intégrés dans des géographies existantes. Leurs effets sur l’industrie des médias et sur l’expérience de l’utilisateur, leur politique de circulation, advient inégalement à travers le globe ».
- Andrew Blum, Tubes: Behind the Scenes at the Internet, op.cit., p.195.
- Sandrine Hériché, « Immersion et Survivance », dans Danièle James Raoul et Claude Thomasset (dir.), Dans l’eau, sous l’eau. Le monde aquatique au Moyen-Âge, Revue belge de philologie et d’histoire, 2006 (je souligne).
- Alexandre de Paris, Le Roman d’Alexandre, op. cit., III, p. 319.
- Ibid.
- Alexandre de Paris, Le Roman d’Alexandre, op. cit., III, p. 321.
- Hélène Bellon-Méguelle. « L’exploration sous-marine d’Alexandre : un miroir de chevalerie », art.cit.
- Jean Baudrillard, Le système des objets, Gallimard, 1968, p. 57.
- On peut ici s’en référer à l’analyse du dispositif cinématographique proposée par Jean-Louis Baudry dans deux articles (« Effets idéologiques produits par l’appareil de base », Cinéthique, n°7-8, 1970 et « Le dispositif : approches métapsychologiques de l’impression de réalité », Communications, no 23, 197), réunis dans L’Effet cinéma en 1978. Jean-Louis Baudry y présente un sujet dont le regard est rendu tout puissant par son adéquation avec le point de vue de la caméra : « C’est à volonté que par travelling, zoom, grue, etc., on rapproche, on éloigne, on survole, on pénètre l’objet. Un vœu de maîtrise, de toute puissance s’y réalise, qui est d’abord celui qui se joue dans la connaissance. Je suis persuadé que la scène du cinéma (comme on parle de scène de l’inconscient) permet une théâtralisation du sujet transcendantal, de l’ego cogito, et qu’elle réalise le fantasme de toute puissance cognitive du sujet par une maîtrise jouée du temps et de l’espace apparenté à celui qui s’exprimerait dans le cogito des philosophes » (Jean-Louis Baudry, L’Effet cinéma, Paris, Albatros, 1978, p. 10-11).
- Alexandre de Paris, Le Roman d’Alexandre, op.cit., III, p. 321.
- En déployant son intrigue sur l’intégralité des deux saisons, David Lynch libère le récit du temps de la séance et rompt avec le modèle narratif dominant, à savoir le format d’une heure trente minutes imposé par les cadres d’exploitation classiques : « La grandeur de Twin Peaks tient à la puissance sans égale de la télévision. Et, pour commencer, sa temporalité propre, qui s’étale et peut atteindre une consistance presque mythique. » Pacôme Thiellement, « La main gauche de Twin Peaks », dans Trois Essais sur Twin Peaks, op. cit., p. 43. Voir également : « dans un de ses rares entretiens, David Lynch dit qu’il a moins conçu une série qu’un film de dix-huit heures, à découvrir chaque semaine. Un film qui n’en finit pas de recommencer et qui multiplie les pics » (Stéphane Delorme, « Non Existant », Les Cahiers du cinéma, n°735, juillet-août 2017, p. 5). À l’inverse, les premières séries populaires américaines adoptaient, sous une forme contractée, le modèle narratif du film : Alfred Hitchcock Presents (CBS, 1955-1962) ou The Twilight Zone (CBS, 1959-1964), par exemple, se composent d’épisodes autonomes d’une trentaine de minutes possédant à chaque fois leurs personnages propres.
- En outre, les deux premières saisons de Twin Peaks sont contemporaines de la commercialisation auprès du grand public d’un nouveau produit : le magnétoscope. Le programme télévisé peut désormais être enregistré, c’est-à-dire regardé ultérieurement, mais également repassé à l’envi. Chaque épisode de Twin Peaks invite ainsi à être revu pour en compléter l’exégèse, d’abord en lui-même puis à la lumière des épisodes qui suivent : « Ce que Twin Peaks invente, tirant parti de la présence du magnétoscope, devenu un outil domestique capital des années 1980, (…) c’est le feuilleton qui doit impérativement être revu ». Pacôme Thiellement, « La main gauche de Twin Peaks », op. cit., p. 44.
- La série est diffusée par Showtime aux États-Unis et par Canal+ en France, deux chaînes payantes.
- Voir Twin Peaks, Saison 3, épisodes 1, 2, 3 et 10 (David Lynch, 2017).
- Laurent Dubreuil, « The Alphabet », article « Boîte », dans Les Cahiers du Cinéma n° 735, op. cit., p. 21. Voir également Pacôme Thiellement, « La substance de ce monde », op. cit., p. 144. « Si la Black Lodge des deux premières saisons de Twin Peaks reproduisait le fonctionnement d’un plateau télévisé, la boîte en verre, lieu de réception de cette nouvelle saison, est, à l’instar de l’écran d’ordinateur qui servira de support de réception pour un grand nombre de spectateurs, un réceptacle dont on ne peut pas savoir, a priori, ce qu’il est supposé recevoir et la façon dont on doit le faire fonctionner ».
- Jean-Philippe Tessé, « Postures », Les Cahiers du cinéma n° 735, op. cit., p.16.
- Une telle analyse pourrait être conduite, pour poursuivre cet article, sur d’autres habitacles de verre, réels ou imaginaires : il s’agirait d’étudier si et dans quelle mesure ils démontrent eux aussi une configuration, dans leur projet comme dans leur usage, faisant écho aux médias numériques. En premier lieu, l’argumentation pourrait se poursuivre par l’analyse du gratte-ciel de verre imaginé par Eisenstein pour son projet de film Glass House, présenté dans des notes et des croquis à partir de 1926, et dont les différentes apparitions ont été rassemblées par François Albera dans l’ouvrage Glass House – Du projet de film au film comme projet, Les Presses du Réel, 2009. Un tel travail permettrait éventuellement de justifier le caractère post-cinématique de l’habitacle de verre comme dispositif, au-delà des deux cas spécifiques étudiés dans cet article, la cage de verre d’Alexandre et celle de Twin Peaks. Plus largement, les trois caractéristiques post-cinématiques identifiées précédemment (la conquête par l’extension du champ de la vision, la réversibilité entre sujet de regard et objet de regard, et la pertinence de la version par opposition à l’original) pourrait permettre de dessiner une archéologie plus exhaustive du post-cinéma, traversant aussi bien des séquences historiques ou mythologiques (le mythe de Narcisse) que des objets médiatiques plus contemporains (la télévision).