La réalité virtuelle : des réalités virtuelles ?

Oriane Morriet

La réalité virtuelle : des réalités virtuelles ?
Réflexion sur la pluralité des expériences utilisant les technologies de la réalité virtuelle

Résumé

De 2006 à 2018, Philippe Fuchs fait paraître une série d’ouvrages sur la réalité virtuelle, ses technologies, ses outils, ses usages et ses concepts. Pour chacun des titres, il met la notion de réalité virtuelle au singulier : Le Traité de la réalité virtuelle, 2006 ; Virtual reality, 2011 ; Les Casques de réalité virtuelle et de jeux vidéo, 2016 ; Théorie de la réalité virtuelle, 2018. Force est cependant de constater la pluralité des œuvres de réalité virtuelle, du film cinématique en 360 degrés de type 3 DOF aux expériences installatives de type 6 DOF. L’uniformité des productions, qu’André Gaudreault et Philippe Marion qualifieraient de cinématique et Shane Denson et Julia Leyda de post-cinéma, ne serait donc qu’une illusion… Dès lors, de quels outils de catégorisation les chercheurs disposent-ils pour étudier les œuvres de réalité virtuelle ? Les notions d’immersion et d’interactionsont-elles nécessaires et suffisantes pour rendre compte du point commun des œuvres de réalité virtuelle ? Dans quelle mesure ces expériences proposent-elles une remédiation du cinéma, comme le suggèrent Jay David Bolter et Richard Grusin ?

Mots-clés

réalité virtuelle, œuvre VR, typologie, immersion, interaction

Référence électronique pour citer cet article

Oriane Morriet, « La réalité virtuelle : des réalités virtuelles ? Réflexion sur la pluralité des expériences utilisant les technologies de la réalité virtuelle », Images secondes [En ligne], 03 | 2022, mis en ligne le 16 février 2022, URL : http://imagessecondes.fr/index.php/2022/02/16/morriet/

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🎧 Lien vers les podcasts : https://soundcloud.com/user-577324804/sets/is4-podcasts-vr


Introduction

De 2006 à 2018, le chercheur français Philippe Fuchs fait paraître, en collaboration avec ses co-chercheurs Alain Berthoz, Jean-Louis Vercher, Guillaume Moreau, Bruno Arnaldi et Pascal Guitton, une série de cinq ouvrages portant sur la réalité virtuelle (VR), ses technologies et ses dispositifs. La série d’ouvrages expose les résultats des recherches effectuées par les équipes de recherche Réalité Virtuelle & Réalité Augmentée du Centre de Robotique des Mines ParisTech en France. Leur recherche est orientée vers un usage industriel des technologies. Pour chacun des titres des ouvrages, l’équipe de chercheurs décide de mettre le terme de réalité virtuelle au singulier : Le Traité de la réalité virtuelle (2006), Virtual reality (2011), Les Casques de réalité virtuelle et de jeux vidéo (2016), Théorie de la réalité virtuelle (2018) et Réalité Virtuelle et réalité augmentée : mythes et réalités (2018). L’usage du terme au singulier procure de fait une impression d’unicité, mais est-ce bien le cas ?

Force est de constater la pluralité des expériences VR actuellement en circulation. La VR est utilisée dans de nombreux secteurs tels que l’architecture, la santé, l’éducation, le divertissement ou la publicité. Dans le secteur des arts, les œuvres de VR sont souvent associées au cinéma, parce qu’elles circulent dans des festivals traditionnellement consacrés aux films. Elles revêtent cependant des formes plurielles selon ce qu’elles permettent à l’utilisateur de faire : tourner la tête, marcher dans l’espace ou encore interagir avec les éléments du décor. Elles ne ressemblent pas toutes à des films : elles s’apparentent tantôt à la danse, au théâtre, à la peinture, à la sculpture ou encore au jeu vidéo. La VR ne semble donc pas être un médium aussi uniforme qu’il y paraît au premier abord. Il nous semble par conséquent essentiel, pour mieux se retrouver dans cette pluralité, d’essayer de catégoriser ses diverses formes.

L’organisation des œuvres VR n’est toutefois pas simple. Dans Penser/Classer (1985), Georges Perec parle déjà, pour les objets du quotidien tels que les livres, de la difficulté de classer une bibliothèque1. Le romancier évoque plusieurs raisons à cela. D’abord, la façon de classer dépend des circonstances ; ensuite, elle dépend du but du classement ; enfin, certains objets sont impossibles à ranger. Dressons ainsi un parallèle entre les livres de Perec et les expériences VR. Pour classer les œuvres VR, doit-on considérer le mode de distribution de ces œuvres ? Doit-on s’intéresser aux ressemblances entre les œuvres VR et d’autres formes artistiques : le cinéma, le théâtre, la danse, le jeu vidéo ? Doit-on distinguer la production indépendante et celle des grands studios ? Doit-on classer les œuvres VR par genre, thématique, fiction ou non-fiction ? 

Bien que difficile, la nécessité de l’organisation des œuvres VR de notre corpus nous paraît nécessaire afin de rendre possible leur analyse. Nous proposons ainsi une réflexion sur les critères organisationnels choisis afin de rendre compte de notre typologie. De ce point de vue, nous ancrons notre démarche dans la lignée de celle de Marie-Salomé Lagrange, qui propose l’équivalent dans le contexte de sa recherche sur l’architecture des bâtiments :

C’est une classification, ou plutôt un texte « classificatoire » en Histoire de l’Art, qui est l’objet de cette étude. Par classification nous entendons, au sens large, une répartition d’objets, textes, monuments ou parties de monuments, peintures, etc., en groupes, classes, types, modèles ou écoles, répartition fondée principalement sur des critères internes, c’est-à-dire morphologiques et/ou structurels. Par « texte classificatoire », un ouvrage interprétatif faisant état d’une classification.2

Notre texte classificatoire exposera différents modèles possibles d’organisation pour les œuvres VR et en développera un en particulier. Nous poserons également la question de la pertinence des catégories d’analyse pour classer les œuvres VR. Pour résumer notre démarche sous forme de questions, nous proposons les interrogations suivantes : pourquoi les œuvres de VR ne sont-elles pas une continuité du cinéma ? De quels outils de catégorisation les chercheurs disposent-ils pour étudier les œuvres de VR ? Comment le choix des concepts d’analyse rejoue le classement des œuvres VR ?

Notre étude reviendra ainsi, dans un premier temps, sur la différence entre la VR et le cinéma. Dans un deuxième temps, nous expliquerons et justifierons les critères d’organisation que nous pouvons retenir pour notre typologie des œuvres VR, à la lumière du système des arts commenté par Giuseppe Di Liberti. Nous proposerons enfin, dans un troisième temps, des tableaux typologiques des œuvres VR, organisées différemment en fonction des critères choisis. À notre article, nous joignons également cinq podcasts donnant la parole aux cinq auteurs des œuvres de notre corpus. L’idée est de les laisser parler librement de leurs œuvres pour mieux comprendre comment ils catégorisent leurs propres œuvres VR.

Notre corpus est donc constitué de cinq œuvres VR différentes en termes d’expérience spectatorielle : Oasis de Samuel Arsenault-Brassard (2019), VR_I de Gilles Jobin (2018), Museum of Symmetry de Paloma Dawkins (2018), Roxham VR de Michel Huneault (2018) et Sergeant James d’Alexandre Perez (2017). Notons que chacun des auteurs de ces œuvres se réclame d’un art différent, mais jamais de la VR spécifiquement : Arsenault-Brassard dit venir de l’art contemporain, Jobin de la danse, Dawkins du jeu vidéo, Huneault de la photographie documentaire et Perez du cinéma. Nous avons choisi de considérer ces œuvres parce que nous pensons qu’elles constituent un échantillon parlant de ce qui se fait en termes d’expériences VR dans le domaine de l’art. Nous avons reçu pour ces œuvres des documents scénaristiques et nous avons aussi procédé à des entrevues avec les auteurs. Pour chacune de ces entrevues, nous avons utilisé un même ensemble de questions, adaptées toutefois à l’œuvre singulière dont il était question.

1. La VR distincte du cinéma

Le rapprochement de la VR avec le cinéma nous semble problématique parce qu’il empêche de bien saisir les spécificités du nouveau médium. Leurs différences significatives nous incitent plutôt à penser qu’il s’agit de deux médiums distincts. Sasha Crawford-Holland dénonce la tendance à prendre le cinéma comme élément de comparaison pour la VR3. Cette tendance s’appuie sur la théorie de Jay David Bolter et Richard Grusin, selon laquelle le progrès technologique est perçu comme une amélioration de l’efficacité des médias à capter le réel, conformément au principe de remédiation4. Crawford-Holland affirme ainsi que l’importance démesurée accordée à la VR est un héritage des espoirs déçus du cinéma. Il écrit que « les mythes cinématographiques continuent d’enchanter les discussions sur la réalité virtuelle d’une manière technologiquement déterministe qui dénature le potentiel politique du médium et fétichise l’empathie en tant que sentiment révolutionnaire »5. Nous aimerions aborder ici quelques différences entre VR et cinéma, sans toutefois prétendre à l’exhaustivité de ces distinctions.

Des moyens d’expressivité propres

Les œuvres VR présentent des différences fondamentales avec le cinéma. La suppression du cadre fixe, qui devient dynamique, bouleverse le langage audiovisuel traditionnel. Les différentes échelles de plans, notamment celle du gros plan, disparaissent au profit d’une vision panoramique. Le travail du directeur de la photographie est restreint par la liberté offerte à l’utilisateur de choisir ce qu’il souhaite regarder en tournant sa tête à 360 degrés. Les logiques narratives évoluent, car l’espace n’est plus appréhendé de manière frontale, mais de manière circulaire. Certains auteurs de VR louent par exemple la narration à la première personne du singulier, ainsi que les possibilités d’expériences contemplatives. Les spécificités des moyens d’expressivité de la VR désarçonnent de fait les auteurs, producteurs et diffuseurs de contenus audiovisuels traditionnels, comme le soulignent Mirjam Vosmeer et Ben Schouten : « Un appareil de réalité virtuelle tel que l’Oculus Rift confronte non seulement l’utilisateur à une expérience immersive extraordinaire, mais confronte également les producteurs de contenu cinématographique avec des questions telles que le travail de la caméra, la conception des décors et l’écriture de scénario » 6.

À l’instar de Joseph Bates, nous soulignons l’importance d’une étude de l’expressivité singulière de la VR, sans prendre le cinéma comme horizon référentiel. Le chercheur note ainsi, dès les années 1990, l’importance pour les créateurs, mais aussi pour les chercheurs, de dépasser la simple question matérielle de la VR et de se plonger davantage dans la réflexion sur l’esthétique des œuvres. Il écrit que « pour que la réalité virtuelle réalise sa promesse en tant que forme artistique riche et populaire, comme l’ont fait le roman, le cinéma et la télévision, nous pensons qu’il sera nécessaire d’explorer bien au-delà de l’interface, vers ces questions de contenu et de style qui ont rendu les médias traditionnels si puissants »7. De leur côté, Ruth Aylett et Sandra Louchart militent pour que la VR soit reconnue comme un média à part entière : « La réalité virtuelle (VR), par sa nature et ses caractéristiques, présente un intérêt particulier pour la communauté de l’IA, en particulier dans les domaines de la narration et des personnages intelligents. Nous soutenons que la VR doit être considérée comme un médium narratif particulier aux côtés du théâtre, de la littérature ou du cinéma »8.

Le cadre dynamique

Quelles sont donc les différences d’expressivité entre le cinéma et la VR ? Une des différences majeures entre la VR et le cinéma est l’imposition d’un cadre dynamique et non plus fixe. Ce n’est plus le réalisateur qui décide à l’avance du cadrage du film : c’est l’utilisateur qui fait entrer ce qu’il souhaite dans son champ de vision. Au cours de l’expérience VR, il peut librement regarder en haut, en bas, à gauche et à droite. Le dynamisme du cadre en VR a pour visée de réduire les marques de médiation en reproduisant l’expérience de la vision dans la vie réelle. Pour donner une impression de transparence médiatique, les médias audiovisuels tendent à faire oublier le cadre physique qui entoure l’objet qu’ils représentent. Selon Renée Bourassa, les médias contemporains, dont la VR fait partie, ont tendance à faire disparaître l’écran :

Ce rapport à l’écran se transforme du tout au tout dans les propositions qui abolissent ses bords, comme les dispositifs de réalité virtuelle (RV), de projection rétinienne ou les chambres d’immersion (CAVE), le cinéma panoramique à 360 degrés, ou encore dans les installations tridimensionnelles.9

En VR, la disparition de l’interface nous semble prendre une autre dimension. La proximité de l’écran par rapport aux yeux de l’utilisateur le conduit à ne plus percevoir l’image comme image. L’image et l’écran fusionnent pour former une image-écran ou un écran-image. Y aurait-il dès lors un changement de statut de l’image ? C’est l’avis de Bourassa qui souligne que « les recherches scientifiques dans le domaine de la réalité virtuelle croisent les neurosciences […]. Les projections directes sur la rétine de l’œil proposent un nouveau dispositif illusionniste »10. Selon Bourassa, les effets de présence se placent du côté du dispositif matériel, qui transforme l’image : « Il est possible désormais d’y entrer et d’interagir avec elle »11, conclut-elle. Jason Jerald fait écho aux propos de Bourassa en écrivant à propos des expériences de réalité virtuelle que « au lieu de regarder un film à travers une “fenêtre”, les spectateurs du film immersif sont dans et font partie de la scène »12.

Lev Manovich doute cependant de la radicale transformation de l’écran en réalité virtuelle. Bien que le médium cherche à faire disparaître l’interface, la technologie ne permet pas encore d’y parvenir complètement. Que l’écran ait de nouvelles propriétés est une chose, qu’il disparaisse en est une autre. Le chercheur affirme ainsi que « dynamique, en temps réel et interactif, un écran reste un écran. Interactivité, simulation et téléprésence : comme depuis des siècles, nous regardons toujours une surface plane et rectangulaire, existant dans l’espace de notre corps et agissant comme une fenêtre sur un autre espace. On n’a toujours pas quitté l’ère de l’écran »13. La lourdeur des casques, la pixellisation de l’image et la présence d’interférence sonore empêchent l’utilisateur d’oublier la médiation pour s’immerger complètement dans la VR. 

Les dispositifs de la VR et du cinéma

Une deuxième différence majeure entre la VR et le cinéma consiste dans le dispositif de visionnement. André Parente et Victa de Carvalho (2008) expliquent comment les nouveaux médias transforment les dispositifs audiovisuels dans leurs dimensions architecturales (les conditions de projection de l’image), technologiques (la production, la diffusion et la distribution, et discursives (le montage, le rythme)14. Quel est ce dispositif singulier en VR ? Pour vivre une expérience de VR, l’utilisateur doit être appareillé, minimalement avec un casque et des écouteurs, mais parfois aussi avec des manettes et des capteurs de mouvement disposés sur son corps : tête, bras, mains, jambes, pieds. 

Conséquence du dispositif singulier en VR, Thomas Elsaesser note que l’expérience en VR n’est pas celle du cinéma : « La réalité virtuelle, lorsqu’elle s’oppose à l’expérience du cinéma (qui est toujours pensée comme impliquant de la distance, de la désincarnation et de la vérification oculaire), devient un fantasme de sensations tactiles, haptiques, ancrées dans le corps »15. À la suite d’Elsaesser, Alice Lenay note que ce changement de dispositif de visionnement entraîne un changement dans l’engagement du corps de l’utilisateur. Celui-ci n’est plus assis dans la salle plongée dans le noir : il est debout dans un espace qu’il peut explorer de manière mobile. La chercheuse explique ainsi : 

Dans la salle obscure et un fauteuil confortable, mon corps devant l’écran de cinéma entre dans un état second qui lui permet d’investir le film en faisant abstraction de l’espace qui me sépare de l’écran. Avec le casque de RV, pour rester immergé dans le déroulé narratif (et non pas seulement dans l’image), mon corps doit devenir corps somnambule, puisque mes mouvements (de la tête au moins) nécessaires au film, ne doivent pas me déconcentrer de l’intrigue. Mon corps devient à la fois parasite et opératoire du dispositif.16

Alice Lenay fait ainsi la différence entre le cinéma, qui incite le spectateur à mettre de côté son corps pour s’immerger dans le film, et la réalité virtuelle qui incite l’utilisateur à utiliser son corps pour s’immerger dans l’expérience.  

Le régime de l’image

Certains chercheurs argumentent qu’une troisième différence majeure entre la VR et le cinéma réside dans les régimes d’image que ces dispositifs impliquent. L’idée de différencier des médiums par le régime d’image est suivie par Thomas Lamarre pour caractériser deux tendances du cinéma : l’animatique et le cinématique. La notion de cinématique semble pertinente au chercheur pour parler des films traditionnels avec des acteurs en chair et en os. Il définit ce concept comme un voyage vers l’intérieur de l’image : « L’essence du cinématisme réside dans l’utilisation d’appareils mobiles de perception, qui servent (1) à donner au spectateur le sentiment de se tenir au-dessus du monde et donc de le contrôler, et (2) à réduire la distance entre le spectateur et la cible »17. Il poursuit sa définition du cinématique en ces mots : « Le cinématique a tendance à mettre l’œil sur la pointe d’une balle qui accélère, sur l’extrémité de la bombe en chute libre, ou à regarder directement devant depuis la locomotive […]. C’est un voyage dans le paysage »18.

Si nous adoptons le point de vue analytique de Lamarre, il nous semble que la VR ne rentre en équation avec aucune des définitions qu’il donne pour le cinématique. En effet, en postulant qu’avec le cinématique le regard du spectateur pénètre le paysage, le chercheur reconnaît implicitement qu’il y a une distance entre l’œil du spectateur et l’image qu’il voit, du moins au début du film. La réalité virtuelle, quant à elle, tend à abolir cette distance en présentant une image si près de la rétine qu’elle ne perçoit pas la distance qui l’en sépare. Ce faisant elle plonge l’utilisateur dans un monde virtuel dont il fait désormais partie : il n’est pas face à l’image – quel que soit le mouvement que fait son œil –, il est dans l’image. 

À la suite de Lamarre, la différence de régime d’image entre la VR et le cinéma apparaît explicitement sous la plume d’autres chercheurs. Philippe Fuchs, Guillaume Moreau et Pascal Guitton décrivent longuement les spécificités du dispositif de VR qui rendent possible la figuration d’un espace virtuel doté de profondeur et de densité19. Ils s’intéressent à la manière dont l’image est vue et perçue en réalité virtuelle. Avant eux, James Cutting étudiait déjà cette thématique. Citons ainsi ses remarques concernant la disparité binoculaire :

La disparité binoculaire est la différence de position relative d’un objet tel qu’il est projeté sur les rétines des deux yeux. Lorsque les disparités sont suffisamment petites, elles produisent une stéréopsie – ou l’impression d’un espace solide. Aucune source d’information, autre que peut-être le mouvement (Rogers et Graham, 1979), ne peut produire une impression de profondeur aussi convaincante.20

Citant le chercheur Egeni Ruggero21, Alice Lenay développe l’idée que la VR propose un régime d’image différent du cinéma, notamment grâce à l’usage du plan à la première personne22. Elle écrit que la particularité des plans à la première personne est que l’utilisateur et la caméra ne font qu’un. Cette nouvelle entité, à laquelle Ruggero donne le nom de corps-capteur, est à la fois humaine et machinique ; elle oscille entre un pôle sujet et un pôle objet. L’élément qui nous semble donc important pour comprendre le régime d’image proposée par la VR, outre son dispositif technologique propre, c’est qu’elles sont à la fois du fait du créateur, qui compose l’espace et le restitue grâce à une caméra ou un moteur de jeu, et du fait de l’utilisateur, qui oriente son regard. 

Des auteurs non spécialisés

Nous expliquons les différences majeures entre la VR et le cinéma par le fait que ces technologies n’attirent pas que des cinéastes : elles attirent des artistes d’autres arts comme des metteurs en scène de théâtre, des chorégraphes, des concepteurs de jeux vidéo, des peintres, des sculpteurs, des journalistes, des architectes… Nombre d’œuvres de VR sont ainsi développées selon des logiques et esthétiques autres que celles cinématographiques. De fait, les réalisateurs de cinéma restent souvent perplexes face aux nouvelles logiques possibles en VR, parce qu’elles ne correspondent pas à celle(s) qu’ils déploient habituellement dans leur médium d’origine. Les créateurs issus des arts vivants et des beaux-arts, parce qu’ils sont déjà habitués à penser l’espace à 360 degrés, semblent davantage tirer leur épingle du jeu. Gaudreault et Marion décrivent ce phénomène comme typique des nouveaux médiums : 

Au moment de son apparition […], une nouvelle technologie reste confinée au statut de crypto-média. Sa singularité en tant que média n’apparaît pas clairement. Ou plutôt, ce qui apparaît trop clairement, c’est toute l’attirance qu’exerce une nouvelle technologie qui s’annonce comme ayant la capacité de révolutionner les moyens d’accès aux séries culturelles dominantes.23

Il nous paraît ainsi important de noter que les créateurs d’expériences en VR ne sont pas spécialisés dans ce média, mais viennent plutôt d’autres médias tels que le cinéma, la musique, le journalisme, le théâtre, la danse ou encore l’architecture. De ce point de vue, la VR s’apparente à un crypto-média, au sens où elle est encore au début de son histoire médiatique.

Suite à la distinction entre VR et cinéma, comment caractériser la VR ? L’organisation des objets du monde selon leurs caractéristiques singulières est une activité essentielle à la connaissance. Dans Le système des arts : histoire et hypothèse, Giuseppe Di Liberti répertorie les principaux modèles d’organisation des arts en Occident : le catalogue, la classification, la comparaison et le système24. Son explication sur la crise du système des arts face à la multiplicité des disciplines nous fait penser à nos questionnements face à la pluralité des œuvres VR. La proposition d’un système des arts renouvelé prenant en compte de critères de classifications – la mimesis, la représentation, le rythme, le corps, le détail et la technique – pour remédier à cette crise nous semble donc intéressante.

2. Choix du modèle d’organisation des œuvres VR

Les modèles d’organisation des arts classiques proposés par Di Liberti nous paraissent envisageables pour notre typologie des œuvres VR, notamment parce que les logiques des œuvres de VR suivent celles des arts dont leurs auteurs sont issus. Mais quel modèle privilégier ? Faut-il regrouper les expériences VR par ressemblance disciplinaire au cinéma, à la danse, à la peinture, à la sculpture ? Par la technologie utilisée, telle que la caméra 360 degrés ou le moteur de jeu ? Par la thématique abordée dans l’œuvre ? Par le genre de l’œuvre, comme le documentaire, la fiction ou le jeu ? Par le style adopté par l’auteur, comme la prise de vue réelle ou l’image de synthèse ? Par la liberté laissée à l’utilisateur lors de l’expérimentation de l’œuvre ? Et comment mettre en jeu ces différents éléments ? Doit-on adopter une organisation en catalogue, en classification, en comparaison ou en système ? C’est ce que nous allons explorer par la suite.

Le catalogue

Le modèle du catalogue nous semble intéressant dans la mesure où il repose sur la coprésence d’objets dans un même temps et un même lieu. Différentes questions se posent cependant concernant cette coexistence. Quel temps et quel lieu privilégier ? À quelle phase de développement, de production ou de diffusion de l’œuvre ce temps et ce lieu doivent être considérés ? Dans le cadre des œuvres VR de notre corpus, par exemple, nous pourrions faire un regroupement par nationalités ou bien par festivals. Comment toutefois prendre en compte les co-productions internationales, très fréquentes dans le domaine de la VR, ou bien les diffusions dans plusieurs festivals, ou dans un même festival mais à plusieurs années d’intervalle ? Si l’on considère le critère de la nationalité, nous pourrions rassembler dans une première catégorie Oasis de Samuel Arsenault-Brassard, Museum of Symmetry de Paloma Dawkins et Roxham VR de Michel Huneault, parce que ces œuvres sont canadiennes. On aurait alors dans une seconde catégorie VR_I de Gilles Jobin et Sergeant James d’Alexandre Perez, parce que ces œuvres sont européennes. Si l’on considère le critère de la date de sortie, on pourrait isoler l’œuvre de Samuel Arsenault-Brassard réalisée en 2019, de celles Gilles Jobin, Paloma Dawkins et Michel Huneault réalisées en 2018, et de celle d’Alexandre Perez réalisée en 2017. Enfin, si l’on prend en compte la diffusion en festival, nous pourrions rassembler Museum of Symmetry, VR_I et Sergeant James, toutes trois diffusées au Festival du Nouveau Cinéma de Montréal, et Roxham VR, diffusée aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal. L’œuvre Oasis a quant à elle été diffusée dans la galerie d’art contemporain montréalaise Ellephant. Si le catalogue a pour avantage de permettre le regroupement d’œuvres VR très différentes, ce modèle d’organisation ne nous semble toutefois pas suffisant pour rendre compte des spécificités de chaque œuvre. Nous voudrions dès lors envisager un autre modèle — celui de la classification — pour voir s’il est mieux adapté à notre corpus. 

La classification

Au niveau macrocosmique, l’intérêt de la classification est que, plutôt que d’isoler certaines pratiques, comme les pratiques non artistiques, elle les englobe et les met en perspective. Dans le cadre des œuvres VR, nous pourrions ainsi mettre en parallèle des expériences VR à visée industrielle et des expériences VR artistiques afin de reconnaître les fonctions et statuts des arts par rapport à la totalité des productions humaines en VR. Roxham VR de Michel Huneault est ainsi une œuvre hybride utilisée en journalisme pour susciter l’attention des décideurs et du public sur les enjeux de la crise migratoire. Elle fait le point sur l’adéquation du vocabulaire utilisé dans les médias : il faudrait ainsi dire « migrant en situation irrégulière » plutôt que « migrant illégal ». L’utilisation de Roxham VR pour des activités de médiation fait-elle de l’œuvre une expérience à visée pédagogique ou bien une expérience artistique ? Il nous semble que l’un n’exclut pas l’autre. Le fait même que nous ayons choisi les objets de notre corpus dans les catalogues de festivals d’art semble de ce point de vue indiquer que ces objets sont considérés comme des œuvres d’art en soi par les membres de l’industrie culturelle. Au niveau microcosmique, la classification des œuvres VR nous permettrait quant à elle d’observer les fluctuations entre les expériences artistiques elles-mêmes. Une analyse de la variation des caractéristiques d’une œuvre à l’autre serait pour cela utile, ce qui nous conduit à considérer le modèle de la comparaison. 

La comparaison

Dans le cadre de la typologie des œuvres VR, la comparaison peut s’avérer pertinente pour saisir les différences entre les expériences proposées. À bien y regarder, ces différences sont en lien avec l’origine artistique des auteurs, et à travers cette origine artistique, avec le mode de financement des œuvres, leurs réalités de production et de réception, ainsi que le champ institutionnel dans lequel elles se déploient. Les créateurs des œuvres de notre corpus proviennent en effet de contextes artistiques variés. Leur visée est de prolonger en VR les moyens d’expression de leurs arts respectifs. Nous pouvons ainsi rapprocher la présentation des photos en 2D de Roxham VR de la photographie, le film en 360 degrés de Sergeant James du cinéma, le mouvement chorégraphique de VR_I de la danse, l’interactivité ludique de Museum of Symmetry du jeu vidéo, et les formes flottantes d’Oasis de la sculpture. Bien que séduisant, ce modèle d’organisation ne nous paraît pas suffisant pour rendre compte de la spécificité des œuvres en VR. Il semble en effet conduire à créer une relation de dépendance entre les œuvres VR et celles des arts traditionnels, ce que nous souhaitons éviter.

Le système des arts

Le dernier modèle d’organisation que nous envisageons est donc celui du système des arts, revisité à l’aune des nouveaux critères énumérés par Di Liberti. Ce système des arts renouvelé repose sur un ensemble de concepts sélectionnés par le chercheur et à travers le prisme desquels les objets du système sont analysés. Ce modèle d’organisation nous semble pertinent parce qu’il permet d’analyser les œuvres VR de notre corpus à travers un ensemble fixe de notions : la mimesis, la représentation, le rythme, le corps, le détail et la technique. En plus des notions définies par Di Liberti, nous avons aussi choisi de mettre en avant les notions d’immersion et d’interactivité, qui sont des notions clés pour rendre compte de l’expérience spectatorielle dans les œuvres VR. Les auteurs des œuvres VR ont en effet pour visée d’immerger l’utilisateur dans un espace virtuel superposé au monde réel, tout en permettant une certaine interactivité entre l’utilisateur et l’œuvre.

Les deux premiers concepts énumérés par Di Liberti sont la mimesis et la représentation. Il nous semble que les œuvres de notre corpus font appel à la mimesis, dans la mesure où elles sont toutes le fruit de la création humaine, et non d’un hasard de la nature. Elles se présentent comme des objets appartenant à un ordre symbolique de la pensée humaine. En parallèle, les œuvres de notre corpus participent à la représentation, car elles témoignent d’une relation interne entre l’œuvre et le monde. Elles comportent de fait soit des références explicites à la réalité – les danseurs dans VR_I, le rituel du coucher d’un enfant dans Sergeant James, les migrants dans Roxham VR – soit des références implicites à la réalité – la forme sculpturale d’Oasis, les raies manta dans Museum of Symmetry

Les deux concepts suivants énumérés par Di Liberti sont le rythme et le corps. Désignant l’inscription d’une œuvre dans un lieu et un temps donnés, le rythme est un concept intéressant pour la VR, qui vise justement à transporter le spectateur dans un autre lieu et un autre temps. La VR construit des espaces virtuels crédibles – notamment lorsqu’il s’agit de temps réel, comme dans VR_I – se superposant à l’espace réel. Grâce à ces espaces, elle sollicite les sens du spectateur, notamment la vue et l’ouïe, mais aussi parfois le toucher. Roxham VR fait ainsi appel à la spatialisation du son pour évoquer l’espace, tandis que Museum of Symmetry donne la possibilité d’interagir avec l’environnement grâce à une manette interactive. À noter que plus on avance dans la création des œuvres VR, plus celles-ci se complexifient, devenant de plus en plus haptiques. 

Les deux derniers concepts énumérés par Di Liberti sont le détail et la technique. Dans une œuvre de réalité virtuelle, la question du détail est intéressante. Contrairement au cinéma, où le réalisateur peut décider d’isoler un détail par le gros plan, les œuvres de VR n’offrent pas la possibilité d’imposer un regard à l’utilisateur. L’absorption dans un détail ne procède pas nécessairement d’un rapprochement du regard, mais de la concentration de l’utilisateur sur un élément en particulier. Parce que l’utilisateur peut orienter son regard comme il le souhaite dans l’espace à 360 degrés, son passage d’un détail à l’autre change à chaque visionnage. En ce qui concerne la technique, les œuvres en VR font appel à des technologies de production et de diffusion diverses et variées, rassemblées sous le terme parapluie de « réalité virtuelle ». Expérimentable avec un casque et des écouteurs adaptés à la VR, l’œuvre Sergeant James fait appel à une technologie de film à 360 degrés simple, tandis que l’œuvre VR_I requiert l’usage, en plus d’un casque et d’écouteurs adaptés à la VR, d’un ordinateur dorsal, de capteurs de mouvement sur les pieds et les mains, ainsi que de récepteurs montés sur une structure en fer. Les différences dans le choix technologique proviennent de la visée de l’expérience. Sergeant James vise ainsi à faire vivre aux utilisateurs un film à 360 degrés, tandis que VR_I les invite à participer en temps réel à un spectacle de danse.

En ce qui concerne l’immersion et l’interaction, revenons à leurs définitions générales. Renée Bourassa rappelle que, venant « du latin « immersio« , le terme « immersion » renvoie à l’action de plonger dans un liquide »25. Délaissant la métaphore aquatique, Dogramaci et Liptay adoptent plutôt celle de l’espace en décrivant l’immersion comme « « l’impression d’être placé ou entouré par l’espace créé artificiellement par le médium respectif »26. La VR est par définition immersive puisqu’elle vise à plonger l’utilisateur dans un espace parallèle. L’Oxford Dictionary définit l’interaction comme « le processus par lequel deux personnes ou choses travaillent ensemble et s’influencent mutuellement »27. Les œuvres VR sont au moins interactives, puisqu’elles proposent à l’utilisateur un cadre dynamique. Elles peuvent aussi être plus complexes en lui permettant de marcher dans l’espace et d’interagir en temps réel avec des personnages. Les deux termes ont été utilisés pour qualifier les arts en général et ne sont pas propres à la VR. Ils rendent toutefois bien compte des possibilités spectatorielles offertes par les œuvres en VR. 

Nous revenons sur la manière dont les auteurs mettent à profit ces différents concepts qui sont autant de modes d’expressivité de la VR en leur donnant la parole dans les cinq podcasts accompagnant notre article. 

Après l’étude des critères mis en avant par Di Liberti, il apparaît que les œuvres de notre corpus peuvent être analysées selon le modèle du système des arts, en ajoutant les notions d’immersion et d’interaction à l’analyse. Notre but est de proposer des outils d’analyse pour la recherche sur les œuvres VR, mais nous reconnaissons le caractère modulaire de ces outils d’analyse, en fonction des critères sélectionnés. Comme l’écrit Di Liberti, « le système n’est pas la réponse à une question. C’est un environnement de recherche plus qu’une expérimentation achevée. Comme dans tout laboratoire, des tests pourraient être faits sur les objets. Un test sur un objet est, avant tout, la vérification d’une théorie et d’une stratégie de recherche »28.

3. La pluralité des classifications des œuvres VR

Nous aimerions ainsi proposer une classification des œuvres de VR tenant compte des critères d’analyse déployés par le système des arts revisité de Di Liberti. 

Pour mieux comprendre cette classification, nous recommandons d’écouter les cinq podcasts créés à partir de nos entrevues avec les auteurs des œuvres VR de notre corpus. Ces podcasts permettent de décrire les œuvres, de même que d’écouter la parole des auteurs. Ils comprennent des analyses liées aux critères énoncés précédemment, ainsi que des descriptions des œuvres VR. Ils donnent enfin la parole aux auteurs sur la question de la classification. Pour des images des œuvres, se référer aux annexes 1, 2, 3, 4 et 5. Pour la transcription du podcast, se référer à l’annexe 6 de l’article.

Les cinq podcasts sont menés sur le mode journalistique de manière à faire entendre les paroles des auteurs, sans commentaires critiques de notre part, que nous développons par ailleurs dans notre article. Ils permettent donc d’aborder la question de la classification des œuvres VR sous un angle de recherche plus ouvert que l’article académique. Cette parole aux auteurs pourrait ainsi constituer une manière supplémentaire, bien qu’hors norme académique, de classifier. 

Le 3 DOF et le 6 DOF

Pour établir une base commune d’analyse, nous avons choisi de faire reposer nos observations sur les possibilités expérientielles des utilisateurs des œuvres VR. Nous distinguons deux grands types d’expérience VR : les expériences de type 3 DOF – ou 3-Degrees-Of-Freedom – et les expériences de type 6 DOF – ou 6-Degrees-Of-Freedom. Cette distinction s’appuie sur ce qu’il est permis ou non de faire pour l’utilisateur. Dans chacun des cas, il s’agit d’expériences immersives, et plus ou moins interactives, selon où l’on met le curseur pour définir l’interaction. Elle ne repose pas sur la technologie utilisée en elle-même, car l’utilisateur pourrait essayer une expérience 3 DOF de VR avec le casque Oculus Quest, qui est généralement utilisé pour les expériences en 6 DOF.

Ainsi, les expériences de type 3 DOF ou 3-Degrees-Of-Freedom permettent à l’utilisateur de bouger la tête de droite à gauche, de haut en bas et par rotation. Ce type d’œuvres est aussi appelé Vidéos en 360 degrés ou 360 videos en anglais. 

De leur côté, les 6 DOF ou 6-Degrees-Of-Freedom offrent à l’utilisateur les mêmes possibilités d’expérience que les 3 DOF auxquelles s’ajoutent la possibilité de se déplacer de droite à gauche, d’avant en arrière, et de haut en bas. Ce type d’œuvres est aussi appelé Expériences volumétriques ou Room-scale experiences. Il est plus coûteux que le 3 DOF et est aussi davantage développé dans l’industrie du jeu vidéo, du théâtre ou de la danse, que du cinéma. Il peut se dérouler en temps réel ou non.

S’il est difficile de définir une fois pour toute une typologie des expériences VR, c’est parce qu’elle est en perpétuelle mutation. Chaque nouvel ajout d’œuvres pose des défis à la catégorisation en introduisant de nouvelles possibilités pour l’utilisateur. Chaque critère d’analyse rejoue aussi la classification. Alexandre Perez explique d’ailleurs à ce sujet : 

Cette typologie est encore en train de changer […]. La différence, c’est la liberté que tu donnes au spectateur. C’est ça qui fait la typologie du projet. […] Je vais donner une image pour les typologies. Je prends une table dans un salon avec mon téléphone dessus. En 3 DOF je vais pouvoir regarder tout autour de moi : le salon et voir qu’il y a un téléphone sur la table. En 6 DOF je vais pouvoir regarder sous la table et en room-scale je vais pouvoir tourner autour de la table.29

Tableaux de classification modulaire

Nous proposons donc des tableaux classant les œuvres de notre corpus selon les différentes catégories que nous venons de distinguer. Ce que nous voulons montrer, c’est que le classement change en fonction du critère d’analyse sélectionné.

Critère d’analyseŒuvres VR
3 DOFSergeant James d’Alexandre PerezRoxham VR de Michel HuneaultMuseum of Symmetry de Paloma Dawkins
6 DOFOasis de Samuel Arsenault-BrassardVR_I de Gilles Jobin
Critère d’analyseŒuvres VR
MimesisSergeant James d’Alexandre PerezRoxham VR de Michel HuneaultMuseum of Symmetry de Paloma Dawkins Oasis de Samuel Arsenault-BrassardVR_I de Gilles Jobin
Mimesis
Critère d’analyseŒuvres VR
ReprésentationSergeant James d’Alexandre PerezRoxham VR de Michel HuneaultMuseum of Symmetry de Paloma Dawkins Oasis de Samuel Arsenault-BrassardVR_I de Gilles Jobin
Représentation
Critère d’analyseŒuvres VR
Rythme : œuvre en différéSergeant James d’Alexandre PerezRoxham VR de Michel HuneaultMuseum of Symmetry de Paloma Dawkins
Rythme : œuvre en temps réelOasis de Samuel Arsenault-BrassardVR_I de Gilles Jobin
Critère d’analyseŒuvres VR
Corps : présence fantôme de l’utilisateurSergeant James d’Alexandre PerezRoxham VR de Michel HuneaultOasis de Samuel Arsenault-Brassard
Corps : l’utilisateur apparaît sous la forme d’un avatarVR_I de Gilles JobinMuseum of Symmetry de Paloma Dawkins
Critère d’analyseŒuvres VR
Détail : possibilité de se déplacer pour voir certains objets en détailOasis de Samuel Arsenault-Brassard Museum of Symmetry de Paloma Dawkins VR_I de Gilles Jobin
Détail : impossibilité de se déplacerRoxham VR de Michel HuneaultSergeant James d’Alexandre Perez
Critère d’analyseŒuvres VR
Technique : prise de vue réelle avec caméra à 360 degrésSergeant James d’Alexandre Perez
Technique : animation en 2D ou 3D dans un moteur de jeu vidéoVR_I de Gilles JobinOasis de Samuel Arsenault-Brassard Museum of Symmetry de Paloma Dawkins
Technique : mélange de prise de vue réelle photographique et d’animation 2D ou 3D dans un moteur de jeu vidéoRoxham VR de Michel Huneault
Critère d’analyseŒuvres VR
Technique : prise de vue réelle avec caméra à 360 degrésSergeant James d’Alexandre Perez
Technique : animation en 2D ou 3D dans un moteur de jeu vidéoVR_I de Gilles JobinOasis de Samuel Arsenault-Brassard Museum of Symmetry de Paloma Dawkins
Technique : mélange de prise de vue réelle photographique et d’animation 2D ou 3D dans un moteur de jeu vidéoRoxham VR de Michel Huneault
Critère d’analyseŒuvres VR
ImmersionSergeant James d’Alexandre PerezRoxham VR de Michel HuneaultVR_I de Gilles JobinOasis de Samuel Arsenault-Brassard Museum of Symmetry de Paloma Dawkins
Immersion
Critère d’analyseŒuvres VR
Interaction avec les éléments dans l’œuvreMuseum of Symmetry de Paloma Dawkins Roxham VR de Michel Huneault
Interaction avec les autres utilisateurs de l’œuvreVR_I de Gilles Jobin
InteractionSergeant James d’Alexandre PerezOasis de Samuel Arsenault-Brassard
Conclusion

Au terme de notre étude, nous proposons donc un modèle d’organisation reposant sur le principe du système, qui permet de catégoriser des œuvres à travers le prisme d’une série de concepts identiques. Pour établir une base commune d’analyse, nous avons choisi de faire reposer nos observations sur les possibilités expérientielles des utilisateurs des œuvres VR. Nous avons ainsi distingué deux grands types d’œuvres VR : les œuvres en 3 DOF, aussi appelées vidéos à 360 degrés, et les œuvres en 6 DOF, aussi appelées expériences room-scale

Suite à ces distinctions, nous avons classé les cinq œuvres de notre corpus selon ces deux catégories. Nous avons aussi fait jouer les critères d’analyse proposés par Di Liberti pour montrer la complexité de la classification des œuvres VR. Chaque œuvre répond différemment à ces critères ; la classification change en fonction du critère considéré.

Nous sommes ainsi conscientes que trouver un modèle d’organisation unique est illusoire. Perec prévenait lui-même contre cette tendance à vouloir ranger le monde selon un ordre fixe et fixé : « Tellement tentant de vouloir distribuer le monde entier selon un code unique ; une loi universelle régirait l’ensemble des phénomènes […]. Malheureusement ça ne marche pas, ça n’a même jamais commencé à marcher, ça ne marchera jamais »30. Il nous paraît donc essentiel de rester ouvertes vis-à-vis des classifications afin de renouveler notre modèle organisationnel et ses critères au fur et à mesure de l’évolution des objets. 

Paroles d’auteurs 
  1. Oasis de Samuel Arsenault-Brassard
une oasis en VR sort d'un carré gris
Figure 1. Samuel Arsenault-Brassard, Oasis, auto-produit, 2019
Une femme avec un casque de VR sur la tête dans une galerie d'art
Figure 2. Utilisatrice expérimentant Oasis à la galerie Ellephant à Montréal

Samuel Arsenault-Brassard est un artiste peintre québécois ayant prolongé ses études en beaux-arts par des études en architecture et design d’éclairage. Il a commencé en VR grâce à des projets architecturaux pour lesquels il a fait des modélisations. Lorsque les manettes interactives pour la VR sont arrivées sur le marché, il s’est essayé à la création de pièces picturales et sculpturales en VR. Il explique : 

J’ai commencé à faire de l’art en réalité virtuelle, pas juste de la peinture et des idées dans ma tête. On peut faire des espaces qu’on peut habiter en VR. On peut plus se rapprocher des rêves. On peut être dans une peinture sans penser aux coûts, au temps que ça prendrait, ni même à l’échelle.

La pratique de la VR d’Arsenault-Brassard prolonge donc sa pratique d’architecte et sa pratique d’artiste. Il souligne par ailleurs que la VR est un médium adapté pour les architectes et les artistes : « Les plus grands gagnants dans la technologie de la réalité virtuelle ce sont les artistes, et puis les architectes ». Il décide de fait de se consacrer à l’art en VR à la suite de sa rencontre avec les fondateurs de Museum of Other Realities, Robin Stethem et Colin Northway.

L’œuvre VR Oasis se présente comme un espace sculptural végétal. C’est un lieu de contemplation baigné de lumière. « C’est vraiment comme un lieu de recueil, un lieu de spiritualité. Je veux créer des espaces qui rendent le monde heureux, que ce soit pour se recueillir, pour célébrer la vie ou la mort de quelqu’un, un endroit spirituel, un endroit de contemplation, un endroit d’émerveillement », déclare l’artiste. L’œuvre revêt donc deux dimensions : une dimension architecturale avec la construction en VR d’une pièce neutre et une dimension sculpturale avec la création d’une forme virtuelle flottant dans l’espace. « Les espaces architecturaux, je les fais dans Revit, mais les sculptures, je les fais avec ce qui s’appelle maintenant Adobe Medium », explique Arsenault-Brassard. Pour faire l’expérience d’Oasis, l’utilisateur doit se munir d’un casque HTC Vive ou Oculus Quest relié à un ordinateur. Exposée en 2019 à la Galerie Ellephant de Montréal, Oasis est un des maillons d’un projet au long cours. L’artiste envisage en effet de créer une galerie de seize pièces, contenant chacune une œuvre différente. La galerie sera, d’après Arsenault-Brassard, accessible vers 2025.

L’œuvre Oasis ne propose pas de réelle interaction pour l’utilisateur, dont l’action se limite à explorer un espace de la taille d’une petite pièce d’une dizaine de mètres carrés. « Il n’y a rien à faire : c’est juste un espace […]. On pourrait dire que c’est comme être dans une peinture. Il n’y a pas d’instruction à suivre quand on regarde une peinture. C’est pour pousser l’action contemplative, pour que ce soit plus immersif », confirme Arsenault-Brassard. L’artiste mise donc sur la dimension immersive de l’espace, plus que sur sa dimension interactive. Il détaille les actions pouvant être performées dans la pièce virtuelle : « Les utilisateurs peuvent marcher autour ; ils peuvent marcher à travers ; ils peuvent aller dedans, essayer de la briser, mais ce n’est pas comme un jeu. C’est un endroit statique ». Commentant ses intentions artistiques, il confie qu’Oasis « est une possibilité de rentrer dans l’endroit virtuel, où les sens sont sollicités, voire surchargés. C’est une oasis pour oublier la réalité, l’espace, avec un décrochage vers le rêve ».

Pour rendre l’expérience réaliste, Arsenault-Brassard a la possibilité d’ajuster les dimensions de la pièce virtuelle avec celle de la pièce réelle dans laquelle le spectateur se trouve. Il décrit que « l’espace est aligné avec la réalité. Si c’est un espace réel de six mètres par six mètres, je crée un alignement avec l’espace virtuel, pour qu’il y ait moins de différence, ni de transition brusque entre les deux ». Interrogé sur la terminologie qu’il utilise pour qualifier ses œuvres VR, il précise qu’il emploie des expressions différentes pour la dimension architecturale et la dimension sculpturale de l’œuvre : « Pour le côté architecture, j’appelle ça de l’architecture spéculative, mais ce n’est peut-être pas un bon mot, car spéculative fait référence à quelque chose qui n’existe pas, et d’une certaine manière ça existe. Et la sculpture, j’appelle ça de l’art de réalité virtuelle car c’est vraiment quelque chose de nouveau ». Il distingue d’ailleurs ainsi le type d’art en VR qu’il pratique des autres œuvres VR : 

Il y a de l’art en 360 ou art immersif que je ne considère pas comme de la réalité virtuelle. Il y a de la modélisation 3D faite sur ordinateur qui est amenée en réalité virtuelle. Et il y a de l’art fait en réalité virtuelle pour la réalité virtuelle. Moi c’est la dernière catégorie, à part la partie architecture.

Pour conclure la discussion, Arsenault-Brassard revient sur le terme qu’il emploie pour désigner les utilisateurs de son œuvre :

À la fin de la journée, je les appelle des utilisateurs, mais surtout des visiteurs. J’aimerais les appeler des habitants, mais ce n’est pas eux qui habitent là. Les vrais habitants des galeries, des espaces, ce sont les pièces. Mais le monde qui vient pendant 5 ou 10 minutes, c’est des visiteurs, parce qu’ils ne vivent pas là.

Il précise aussi que l’expérience de ses œuvres en VR ne concerne pas seulement l’utilisateur explorant l’espace virtuel, mais aussi les utilisateurs potentiels qui observent de l’extérieur l’utilisateur en train de faire l’expérience virtuelle. Ainsi, l’artiste essaye de susciter certaines actions de la part des utilisateurs lors de leur exploration – se baisser, marcher dans l’espace, regarder en haut, tendre le bras, etc. – pour générer un spectacle extérieur pour les observateurs. « Se baisser, attraper quelque chose dans les airs, ça fait un spectacle à l’extérieur pour celui qui va se demander ce que cette personne fait. Elle réagit à des fantômes qui n’existent pas, et ça devient comme une œuvre d’art en tant que telle, une performance improvisée », conclut-il.

  1. VR_I de Gilles Jobin
Deux danseurs en VR
Figure 3. Gilles Jobin, VR_I, produit par la Compagnie Gilles Jobin, 2018
Des enfants avec des casques VR
Figure 4. Des utilisateurs de VR_I

Gilles Jobin est un danseur et chorégraphe suisse en danse contemporaine. Il crée depuis maintenant vingt-cinq ans des pièces pour la scène, mais s’intéresse aussi aux nouvelles technologies. En 2016, il réalise un film de danse en 3D intitulé WOMB. Il raconte : « C’est là que je suis tombé dans l’image en volume. En tant que chorégraphes, notre travail est de travailler avec le corps en volume et l’espace. Avec la 3D, je me retrouvais dans un espace qui me correspondait, dans lequel je me sentais à l’aise. » C’est à l’occasion du développement de WOMB que Jobin découvre la VR. Il est immédiatement interpellé par les possibilités artistiques du médium. Il décrit ainsi sa réaction : 

C’était comme une illumination parce qu’il y a quelque chose de fantastique à l’idée d’être immergé vraiment dans un espace digital, de voir son propre corps sous forme d’avatar, de voir le corps des autres sous forme d’avatars, de pouvoir s’approcher d’une danse, de pouvoir tourner autour.

Les projets de pièces de danse en VR de Jobin ne se concrétisent qu’après sa rencontre avec le studio de développement technologique Artanim de Genève. Il réalise alors un court film en capture de mouvement qui est ensuite inséré dans un espace virtuel. L’idée de créer VR_I émerge à ce moment-là. Le chorégraphe ne considère pas cette idée en rupture mais en continuité avec son art chorégraphique. Il affirme : 

La technologie fait partie de ma vie de directeur de théâtre et de danse, car finalement, le théâtre est aussi une technologie. Il y a des contraintes, toutes sortes de choses qu’on doit prendre en compte pour raconter ce qu’on veut raconter, dans un dispositif qui est préétabli. La VR a aussi ses normes. Ce n’est ni un remplacement, ni un transfert. Je fais de la danse ou de la chorégraphie, et je continue à le faire en VR.

Ainsi, VR_I est une pièce de danse en VR conçue pour cinq utilisateurs. Les usagers sont immergés dans un espace réel relativement grand, de 8 mètres sur 5 mètres, en temps réel. Ils portent des ordinateurs dans des sacs à dos et des casques de VR avec écouteurs et microphone. Ils ont aussi des marqueurs fixés sur leurs mains et sur leurs pieds. L’équipement permet aux usagers d’être plongés, sous la forme d’avatars, dans un espace 3D en images de synthèse. Ils peuvent circuler dans l’espace, se voir les uns les autres, se toucher et se parler. VR_I les transporte dans trois espaces successifs : un désert californien, un loft moderne et un jardin public. Dans chacun de ces espaces, des danseurs géants et miniatures exécutent des mouvements chorégraphiques préprogrammés. La danse a en effet été préenregistrée en amont par la compagnie Gilles Jobin, en collaboration avec Artanim, grâce à une technique de capture de mouvement. Pour Jobin, la VR correspond bien aux logiques de la danse, notamment parce qu’elle reproduit une logique de volume. Le chorégraphe aime d’ailleurs se qualifier lui-même de chercheur en volume. Il commente : 

Pour moi, c’est de la chorégraphie, c’est une pièce de danse. Il se trouve que le langage chorégraphique fonctionne particulièrement bien dans ce genre de dispositif. C’est une question qui a à voir avec le temps réel. Nous sommes les spécialistes du temps réel car notre gestion du spectateur et du public est en temps réel.

Présentée en 2018 au Festival du Nouveau Cinéma de Montréal, VR_I a connu un succès international. Bien qu’il s’agisse de VR, la logique de distribution de la pièce est toujours celle de la tournée. Le matériel à fournir pour faire fonctionner l’expérience est bien réel. Jobin décrit ainsi l’infrastructure à transporter lors de chaque représentation :

On a un grid où on accroche nos caméras, qui fait huit mètres sur cinq. On a seize caméras infrarouges de marque Vicon. On a cinq PC plus deux en backup. On a un serveur pour faire tourner tout le truc, plus un autre en backup. Des écrans, du câblage, des marqueurs… C’est une dizaine de valises à trente-deux kilos. C’est une petite infrastructure relativement vite montée et démontée.

Dans VR_I, l’interaction se limite à explorer l’espace par le regard et par le déplacement. C’est l’usager qui décide quel détail regarder ou non. Jobin confie ainsi que « dans le moment du spectacle, nous ne pouvons pas imposer le regard. Nous ne pouvons pas forcer le spectateur à regarder où l’on veut. On doit suggérer des directions, des intentions, des actions, des effets scéniques pour attirer le regard ». Le chorégraphe a d’ailleurs intentionnellement limité l’interaction entre les usagers et l’œuvre parce qu’elle ne lui semblait pas pertinente pour l’expérience. L’interaction n’est en effet pas une condition sine qua none de la VR selon lui. Il raconte :

Je suis très rapidement partie du principe qu’il n’y aurait pas d’interactions entre le monde des danseurs — on va dire le monde des géants pour simplifier — et le monde des vraies personnes — qui sont des sortes de touristes presque invisibles […]. L’interaction dans VR_I est vraiment entre les spectateurs entre eux. Ils peuvent se parler, ils peuvent se toucher, danser ensemble, il y a très peu de règles entre ce qu’on peut faire et ce qu’on ne peut pas faire.

Pour conclure la discussion sur les réactions des usagers lors de leur expérimentation de VR_I, Jobin explique que cela tient beaucoup à la familiarité du spectateur avec le type d’art qu’il a l’habitude de consommer. Il argumente de fait :

La question des attentes d’un certain type de public à l’intérieur du temps réel est un faux problème, parce que ça dépend avec qui on parle et d’où viennent les gens. Quand ce sont des gens qui viennent du monde du théâtre, qui n’ont jamais fait de VR, ils viennent avec leurs références théâtrales, et ceux qui viennent du gaming et de l’escape room, eux, attendent du gaming et de l’escape room.

3. Museum of Symmetry de Paloma Dawkins

Des fleurs parmes et, derrière un bonhomme noir avec un chapeau vert fluo.
Figure 5. Paloma Dawkins, Museum of Symmetry, produit par l’ONF, 2018

Paloma Dawkins est une créatrice et programmatrice de jeux vidéo montréalaise. Elle utilise l’animation en 3D pour créer des expériences ludiques immersives. Grande amatrice de VR, elle croit au potentiel des technologies de la VR pour la sculpture, les performances et le jeu vidéo. Dawkins n’est toutefois pas spécialisée en VR. Elle a une expérience d’animatrice 2D pour la bande dessinée et l’illustration. Elle s’est orientée vers la VR suite à sa sélection dans le programme Hothouse de l’Office National du Film. À la suite de cette résidence, elle poursuit la création vidéoludique en tant qu’indépendante. Elle envoie une soumission à l’ONF qui séduit la productrice Maral Mohammadian. Le développement du jeu commence, mais la mécanique associée ne satisfait pas la créatrice. Elle se tourne alors vers la VR pour développer son concept. L’avantage pour elle est que l’ONF possède toutes les ressources humaines et matérielles pour produire l’œuvre. 

Museum of Symmetry est un jeu de VR poétique conçu, scénarisé et animé par Dawkins en collaboration avec l’ONF et Casa Rara Studio. Il a été exposé au Festival du Nouveau Cinéma en 2018. Il s’agit d’une expérience facile d’accès, peuplée de personnages rocambolesques avec lesquels l’utilisateur peut échanger. Il est à la fois contemplatif, immersif et interactif. Dawkins décrit ses intentions premières pour le jeu en révélant : « Il a été conçu à l’origine comme un jeu pour enfants. Nous l’avons adapté plusieurs fois pour le sortir du monde du jeu vidéo. Nous voulions faire quelque chose d’innovant et de très immersif. Il n’est pas hanté. C’est léger et joli »31. Il était important pour Dawkins de proposer un espace sécurisé où l’utilisateur peut observer, apprendre, se divertir. Elle décrit ainsi Museum of Symmetry comme « une zone immersive où l’on vous raconte une histoire et où l’on peut avoir des interactions amusantes à faire »32.  

Dans Museum of Symmetry, l’utilisateur est invité à se plonger dans un univers avec lequel il peut interagir grâce à une manette. Il accède à ce monde par un casque de VR avec écouteurs intégrés. Il est invité à se tenir debout et peut orienter le positionnement de son corps à 360 degrés. Dawkins décrit l’expérience de l’utilisateur en ces termes : « C’est interactif à 360 degrés, vous avez donc les manettes que vous utilisez pour interagir avec l’espace. Vous êtes guidé à travers »33. Une voix narrative guide l’utilisateur à travers son parcours dans le jeu vidéo. Elle stipule qu’il n’y a pas de règles fixes, qu’il faut se détendre, interagir avec l’environnement, passer d’un univers à l’autre, etc. L’utilisateur peut par exemple saisir un arrosoir virtuel pour arroser des fleurs virtuelles. Le but est de les faire s’épanouir pour égayer le paysage. Après avoir réussi une action dans une scène, l’utilisateur se voit proposer une nouvelle scène. Il suit les personnages dans leur traversée du monde vidéoludique : nuage, jardin, océan, etc. « À la toute fin, vous avez fait l’expérience du message »34, commente Dawkins. 

Interrogée sur sa manière de catégoriser Museum of Symmetry, Dawkins explique qu’elle aime le mot « jeu » plus qu’un autre : « J’aime le mot jeu parce qu’il semble tout simplement amusant et accessible. Je suppose que je peux aussi appeler cela une expérience, mais cela ne semble pas englober ce que je veux vraiment transmettre. Je me contente donc de jeu »35. Elle met toutefois en garde contre la tendance à penser que la VR est particulièrement adaptée aux jeux vidéo. Elle explique plutôt l’engouement de l’industrie du jeu vidéo pour la VR par la disponibilité des ressources humaines, financières et technologiques pour développer de tels environnements. Elle précise : 

Le jeu vidéo n’a rien à voir avec la VR. La seule chose qu’ils ont en commun est l’expérience technologique. La réalité virtuelle est un énorme mélange de supports très différents. Nous sommes passés à la VR pour nous libérer de l’impasse du jeu vidéo. La seule raison pour laquelle je pense que les jeux vidéo utilisent la VR, c’est parce qu’ils ont toutes les ressources.36

L’animatrice confie qu’elle appelle « joueurs » les utilisateurs de son œuvre, parce que son approche est avant tout ludique : « Je les appelle des joueurs parce qu’être joueur est une compétence et un talent incroyables que l’on a en tant qu’humain. On utilise l’environnement pour apprendre et jouer. Je pense que jouer est la base de tout »37.

Dawkins détaille par la suite les différents types d’expériences en VR dont Museum of Symmetry se distingue :

La VR passive, c’est lorsque vous mettez votre téléphone dans une boîte et que vous pouvez regarder l’environnement à 360 degrés. Je n’aime pas vraiment ça parce que ça ne ressemble pas à la réalité. La réalité est le mouvement 360, ayant un espace « room scale ». Le HTC Vive a été le premier à permettre cela avec succès. Mais maintenant, l’Oculus Quest le fait très bien. Dans l’espace « room scale », vous avez également l’approche interactive grâce aux contrôleurs. Et à partir de là, vous avez les jeux de tir ou les jouets VR. Vous assemblez les choses et voyez ce qui se passe.38

4. Roxham VR de Michel Huneault

Une personne sert de support à une incrustation multicolore.
Figure 6. Michel Huneault, Roxham VR, produit par l’ONF, 2018.

Photographe documentaire et artiste visuel montréalais, Michel Huneault travaille sur des projets au long cours, principalement avec de l’image fixe, parfois augmentée de composantes audio et vidéo. « Ça emmène un peu plus de présence, d’immersion, qui complète la photo, qui la remet en question, qui complexifie le travail de documentation, pas seulement pour le spectateur, l’utilisateur, la personne qui va en faire l’expérience après, mais même pour moi. […] Les différents médiums que j’utilise m’amènent à réfléchir autrement sur le sujet », explique-t-il. S’il choisit la VR pour Roxham VR, c’est parce qu’il a l’impression qu’il peut toucher un autre type de public. C’est une autre forme artistique et donc un autre canal de diffusion. C’est aussi un médium qui attire l’attention, écrit-il : 

Le web VR se prêtait bien au projet Roxham. Nous savions que l’innovation derrière une œuvre en web VR allait porter le propos, allait susciter l’intérêt un peu partout dans le monde, dans les festivals, dans les différents lieux de diffusion, et c’est ce qui a vraiment eu lieu. C’était un choix qui servait le propos, mais qui devenait aussi une stratégie de diffusion pour attirer l’attention.

L’objectif de Huneault est en effet de diffuser son reportage documentaire sur le passage de personnes en situation irrégulière sur le chemin de Roxham auprès de spectateurs divers et variés. Selon lui, la VR est une des possibilités de le faire : « Je suis photographe documentaire, mais je suis assez autodidacte. Je ne viens pas d’école de pensée très rigide. J’ai toujours été intéressé aux différentes possibilités de la documentation. La photographie est mon outil principal, mais je n’ai jamais voulu me limiter à ça ».

Roxham VR est la déclinaison d’un reportage documentaire photographique réalisé sur six mois sur le chemin de Roxham à une heure au sud de Montréal. À l’été 2016, Huneault photographie les passages des demandeurs d’asile qui quittent les États-Unis pour venir au Canada. Il enregistre également les interactions entre les migrants et les policiers en prises sonores binaurales, ce qui procure dans l’expérience un fort sentiment d’immersion. Il rencontre alors Hugues Sweeney, producteur à l’ONF, qui se passionne pour le sujet. Il lui propose de faire une collaboration avec l’ONF et le studio Dpt. à Montréal. Ce faisant, il l’introduit auprès de la designeuse d’expériences numériques Maude Thibodeau, ainsi que de la conceptrice sonore Chantal Dumas. Le projet Roxham VR est lancé.

Munis d’un casque de VR avec écouteurs intégrés, l’utilisateur de Roxham VR se retrouve dans un espace blanc figurant une carte topographique. Il est symboliquement au bout du chemin de Roxham, près de la frontière étasunienne, mais du côté canadien. Il a alors accès à une première grappe de photographies. Huneault décrit l’expérience ainsi : « On amène vraiment les gens […] au bout du chemin de Roxham. C’est une expérience interactive. L’interface s’apparente beaucoup à une carte topographique tridimensionnelle, très minimaliste, qui laisse vraiment la place aux images et aux sons ». 

Est-ce pour autant de la VR ? Technologiquement, oui, puisqu’il s’agit d’introduire le spectateur dans un espace virtuel, mais Huneault a aussi un autre regard sur la question. Il précise : 

Je dis parfois que Roxham en VR, c’est presque tricher. C’est amener des utilisateurs dans une expérience 2D sonore, mais les forcer à s’isoler, à mettre un casque d’écoute pour qu’ils puissent se concentrer complètement dans le contenu visuel et sonore, qu’il n’y ait aucune distraction.     

Huneault reconnaît que selon la voie d’entrée dans l’expérience — le casque VR, le téléphone intelligent ou l’ordinateur — l’expérience ne sera pas la même pour l’utilisateur : « Si on fait l’expérience Roxham VR sur son ordinateur, sur son téléphone, dans un casque, ça va être très différent comme expérience et comme impact ». Il ajoute d’ailleurs à propos de la VR qu’elle permet une concentration optimale : 

La VR sur Roxham, c’était aussi une façon de mettre des œillères à l’utilisateur, de l’empêcher d’être distrait par d’autres choses qui se passent autour de lui, de capter son attention pendant au moins une quinzaine de minutes, pour qu’il s’attarde à tous les détails du son et des images.    

L’expérience permet ainsi à l’utilisateur de parcourir sept grappes de photographies et de choisir une photographie à expérimenter par grappe. Huneault décrit qu’à « la fin de la courte narration, l’utilisateur peut choisir entre quatre vignettes différentes. Il voit apparaître quatre silhouettes des demandeurs d’asile qui s’apprêtent à passer la frontière et qui sont toujours anonymes ». La narration réalisée par Huneault lui-même permet à l’utilisateur de comprendre à quel moment clé correspond chaque vignette. À la fin de l’expérience, l’utilisateur peut expérimenter les photographies qu’il n’a pas eu l’occasion de voir. « C’est une expérience assez méditative et interactive qui permet à l’utilisateur, via sept chapitres, de faire l’expérience de trente-deux moments choisis de ces passages-là, c’est-à-dire trente-deux images associées à trente-deux capsules sonores assez brutes de chacun de ces moments-là », confirme Huneault. Nous avons d’ailleurs choisi de faire entendre une de ces capsules sonores binaurales.

Roxham VR témoigne avant tout de la volonté de créer un espace intimiste pour l’utilisateur afin de l’aider à saisir les enjeux de la crise migratoire. Mise à part la sélection des photographies à visionner, il n’y a pas d’interaction particulière entre l’œuvre et l’utilisateur. 

Concernant la manière dont il réfère aux utilisateurs de Roxham VR, Huneault déclare ne pas être à cheval sur la terminologie. Il reconnaît que la façon dont on considère le public est liée au segment de l’industrie dans lequel l’œuvre a été produite. Il conclut ainsi notre entretien :

Ça vient surtout de l’écosystème dans lequel l’œuvre a été produite, qu’on dit utilisateur. Ça n’est pas très important pour moi. J’essaie juste de parler d’individus qui font l’expérience de Roxham, car ça humanise vraiment la relation, au lieu d’utilisateur, ou de spectateur, ou de visiteur.

5. Sergeant James d’Alexandre Perez

Une vue depuis le dessous d'un lit, dans l'obscurité.
Figure 7. Alexandre Perez, Sergeant James, produit par Floréal Films, 2017.
Une chambre en clair obscur, avec un lit en bois.
Figure 8. Tournage de Sergeant James

Alexandre Perez est un scénariste et réalisateur français formé dans une école de cinéma classique. Il se prend toutefois assez vite de passion pour les expériences immersives multimédia, notamment tournées avec un iPhone. Pour qualifier son activité, il cherche un terme englobant le cinéma et les nouveaux médias : « Je ne sais pas si on peut dire créateur ? C’est un terme qu’on voit assez souvent, notamment en anglais. Je revendique plutôt une position d’auteur-réalisateur protéiforme ». Il soumet un scénario d’expérience VR au Festival Paris Courts Devant où il est sélectionné. Il rencontre à la même période le producteur de Floréal Film, Avi Amar, avec qui il décide de se consacrer à la production d’œuvres VR en 360 degrés. Nous sommes en 2016 : ce sont les tous débuts de la VR. 

Sergeant James est un film VR 360 degrés en prise de vue réelle. Il s’expérimente avec un casque de VR et des écouteurs. Alexandre Perez résume ainsi l’histoire de l’œuvre : « L’histoire de Sergeant James, c’est celle de la relation d’un petit garçon et d’une présence cachée sous son lit, et cette présence c’est l’utilisateur. On voit tout le film depuis ce point de vue. […] Il n’y a rien qui peut le personnifier ou lui donner une existence physique dans l’expérience, mais il est là ». Le point clé de l’expérience, c’est que l’utilisateur ne sait pas exactement qui il est. Est-il le monstre caché sous le lit ? Est-il lui-même ? 

De l’aveu de Perez lui-même, Sergeant James est un film très cinématographique. Le scénariste et réalisateur a tout de même joué avec l’emplacement des éléments importants à 360 degrés pour servir la narration. Immergé sous le lit de l’enfant, comme s’il était couché, l’utilisateur peut observer la pièce tout autour de lui. Le cadre du lit lui obstrue tout de même une partie du champ de vision, recréant ainsi naturellement un semblant de cadre cinématographique. Mise à part cette possibilité d’orienter le regard, il n’y a pas d’interactions spécifiques entre l’utilisateur et le film à 360 degrés. Perez explique : 

[Nous avons misé sur] une mécanique qui était intelligente. En étant sous un lit, on cache une partie du décor. Le film est presque une introduction à la VR, parce qu’on donne une vision panoramique, mais on tue un mur. Il y a des petits trucs à regarder derrière, mais pas grand-chose. C’est une vraie transition entre le cinéma et la VR, c’est pour ça que je parle de film 360.

Pour mettre en perspective le type d’expériences qu’est Sergeant James, Perez détaille ainsi : 

Dans la typologie de la VR, c’est le entry level de la VR. Tu ne peux que regarder dans l’image, ce qui est déjà beaucoup. Il y a une vraie transition, car on passe de passif à actif, mais on ne demande que ça. On ne demande qu’à être assis sur un siège qui tourne.


Oriane Morriet

Diplômée depuis 2016 de l’École normale supérieure de Paris, Oriane Morriet est actuellement en troisième année de doctorat en études cinématographiques à l’Université de Montréal sous la direction d’Isabelle Raynauld. Dans ce contexte, elle est récipiendaire de la bourse d’études supérieures du Canada Vanier depuis 2018. Son sujet de thèse porte sur les mutations de l’écriture scénaristique à l’ère des nouvelles technologies, et plus particulièrement sur les pratiques d’écriture des scénaristes des œuvres utilisant les technologies de la réalité virtuelle. Son champ d’expertise porte sur la conception et la scénarisation d’œuvres en réalité virtuelle, mais elle possède aussi des connaissances sur la production et la distribution de ce type d’œuvres. Oriane Morriet est également scénariste de film, dramaturge pour le théâtre et journaliste technoculturelle. Partant, elle s’intéresse aussi bien à l’art contemporain qu’au cinéma, au théâtre et à la danse.


  1. Georges Perec, Penser/Classer, Paris, Hachette, 1985.
  2. Marie-Salomé Lagrange, Analyse sémiologique et histoire de l’art : examen critique d’une classification, Paris, Klincksieck, 1973, p.16.
  3. Sasha Crawford-Holland, « Humanitarian VR documentary and its cinematic myths », Synoptique II, vol.7, n°1, 2018, pp. 19-31.
  4. Jay David Bolter et Richard Grusin, Remediation: Understanding New Media, Cambridge, MA, MIT Press, 1999.
  5. Sasha Crawford-Holland, op. cit. Traduit de l’anglais : « cinematic myths continue to enchant discussions about VR in a technologically deterministic manner that misrepresents the medium’s political potential and fetishizes empathy as a revolutionary sentiment. »
  6.  Mirjam Vosmeer et Ben Schouten, « Interactive Cinema: Engagement and Interaction », 7th International Conference on Interactive Digital Storytelling, 2014, p. 140. « A virtual reality-device such as the Oculus Rift not only confronts the user with a remarkable immersive experience, but also faces producers of movie content with issues around for instance camera work, set dressing and scriptwriting. »
  7. Joseph Bates, « Virtual Reality, Art, and Entertainment » dans Presence: Teleoperators and Virtual Environments, Cambridge, MA, MIT Press, 1992. « For virtual reality to achieve its promise as a rich and popular artistic form, as have the novel, cinema, and television, we believe it will be necessary to explore well beyond the interface, to those issues of content and style that have made traditional media so powerful. »
  8. Ruth Aylett et Sandra Louchart, « Towards a narrative theory of virtual reality », Virtual Reality, vol. 7, n°2-9, 2003, p. 1. « Virtual Reality (VR), by its nature and characteristics, is of specific interest to the AI community, particularly in the domains of Storytelling and Intelligent Characters. We argue that VR must be considered a particular narrative medium alongside Theatre, Literature or Cinema. »
  9. Renée Bourassa, Les Fictions hypermédiatiques : mondes fictionnels et espaces ludiques, Montréal, Le Quartanier, 2010, p. 179.
  10. Ibid., p. 174.
  11. Ibid.
  12. Jason Jerald, The VR book. Human-centered design for virtual reality, Association for Computing Machinery and Morgan & Claypool Publishers, 2015, p. 247. « Instead of watching a movie through a “window”, viewers of immersive film are in and part of the scene. »
  13. Lev Manovitch, The Language of New Media, Cambridge, MA, MIT Press, 2001, p. 115. « Dynamic, real-time, and interactive, a screen is still a screen. Interactivity, simulation, and telepresence: as was the case centuries ago, we are still looking at a flat, rectangular surface, existing in the space of our body and acting as a window into another space. We still have not left the era of the screen. »
  14. André Parente et Victa de Carvalho, « Cinema as dispositif: Between Cinema and Contemporary Art », Cinémas, vol. 19, n°1, automne 2008, pp. 37–55. URL : https://doi.org/10.7202/029498ar 
  15. Thomas Elsaesser, « Digital Pushing the contradictions of the digital: ‘virtual reality’ and ‘interactive narrative’ as oxymorons between narrative and gaming », New Review of Film and Television Studies, vol.12, n°3, 2014, pp. 295-311. « Virtual reality, then, when set up in opposition to the experience of cinema (which is still thought of as involving distance, disembodiment, and ocular verification), is the fantasy of tactile, haptic, body-based sensations. »
  16. Alice Lenay, « Puis-je fondre mon visage dans le tien (?) Corps-à-corps au casque de réalité virtuelle », Archee, 3 décembre 2018. URL : http://archee.qc.ca/wordpress/puis-je-fondre-mon-visage-dans-le-tien-corps-a-corps-au-casque-de-realite-virtuelle/
  17. Thomas Lamarre, The anime machine. A media theory of animation, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2009, p. 5. « The essence of cinematism lies in the use of mobile apparatuses of perception, which serve (1) to give the viewer a sense of standing over and above the world and thus of controlling it, and (2) to collapse distance between viewer and target. »
  18. Ibid., p. 7. « Cinematism tends to put your eye on the point of a speeding bullet, on the tip of the plummeting bomb, or looking directly ahead from the locomotive […]. It is a voyage into the landscape. »
  19. Philippe Fuchs, Guillaume Moreau et Pascal Guitton, Virtual reality: Concepts and Technologies, CRC Press, 2011.
  20. James Cutting, « High-performance Computing and Human Vision I », Behavior Research Methods, Instruments, & Computers, 1997, n°29, 1, p. 30. « Binocular disparity is the difference in relative position of an object as projected on the retinas of the two eyes. When disparities are sufficiently small, they yield stereopsis – or the impression of solid space. No source of information, other than perhaps motion (Rogers & Graham, 1979), can produce such a compelling impression of depth. »
  21. Eugeni Ruggero, « Le plan à la première personne. Technologie et subjectivité dans le paysage postcinematographique » dans André Gaudreault et Martin Lefebvre (dir.) Techniques et technologies du cinéma. Modalités, usages et pratiques des dispositifs cinématographiques à travers l’histoire, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2015.
  22. Alice Lenay, « Puis-je fondre mon visage dans le tien (?) Corps-à-corps au casque de réalité virtuelle », op. cit.
  23. André Gaudreault et Philippe Marion, « Cinéma et généalogie des médias », Médiamorphoses, n°16, avril 2006, p. 29.
  24. Giuseppe Di Liberti, Le Système des arts : histoire et hypothèse, Paris, Vrin, 2016.
  25. Renée Bourassa, Les Fictions hypermédiatiques : mondes fictionnels et espaces ludiques, Montréal, Le Quartanier, 2010, p. 173.
  26. Burcu Dogramaci et Fabienne Liptay (dir.), Immersion in the visual arts and media, Leiden, Netherlands ; Boston, MA, Brill, 2016, p. 11. « The impression of being placed or surrounded by the space artificially created by the respective medium. »
  27. « The process of two people or things working together and influencing each other », dans The Oxford Dictionary. Ressource en ligne : https://www.oxforddictionaries.com, 2020.
  28. Giuseppe Di Liberti, Le Système des arts : histoire et hypothèse, op. cit., p. 15.
  29. Alexandre Perez, propos recueillis lors d’une entrevue, 2020.
  30. Georges Perec, Penser/Classer, op. cit., p. 155.
  31. « It was originally conceived as a children’s game. We have adapted it several times to get it out of the videogame world. We wanted to do something innovative and very immersive. It is not haunted. It is light and pretty. »
  32.  « [A]n immersive zone where you are told a story and can have interaction of things that are fun to do. »
  33. « It is 360 interactive, so you have the hand-controllers that you use to interact with the space. You are narrated through. »
  34. « At the very end, you have experienced the message. »
  35.  « I like the word game because it seems just fun and accessible. I guess I can also call it an experience, but it does not seem to encompass what I really want to be imparted. I settle for game, then. »
  36. « Videogame has nothing to do with VR. The only thing they have in common is the technological experience. VR is a huge mix of very different mediums. We went into VR to free ourselves from the videogame pithole. The only reason I think videogames are using VR is because they have all the resources. »
  37. « I call them players because being playful is an incredible skills and talent that we have as humans. We use the environment to learn and play. I think playing is the foundation of it all. »
  38. « Passive VR is when you put your phone in a box and you can take a look at the 360-degree environment. I don’t really like that because it does not seem like the real thing. The real thing is the 360 movement, having a room scale space. TTThe HTC Vive was the first to enable that successfully. But now, the Oculus Quest does it really well. In the room scale space, you also have the interactive approach [tanks to] the controllers. And from then, you have the shooter games or toy VR games. You are putting things together and seeing what is happening. »