La vidéosurveillance dans l’optique du cinéma

Rémi Lauvin

La vidéosurveillance dans l’optique du cinéma

Une image de mauvaise qualité montrant une devanture éclairée.

Résumé
Cet article explore la manière dont le cinéma s’empare des images de vidéosurveillance pour interroger leurs usages narratifs et figuratifs ainsi que leur rapport à la fiction. Souvent considérée comme l’une des premières œuvres de remploi d’images de vidéosurveillance, Der Riese (Michael Klier, 1983) s’attache ainsi, par le montage, à tisser une continuité dramatique entre des vues captées par des caméras de surveillance, et donc à simuler un lien entre elles. Le film de Klier renvoie ainsi à l’un des principes panoptiques. Chez Jeremy Bentham, le pouvoir de surveillance est lié historiquement à une puissance de simulation : faire croire au détenu du panoptique qu’une surveillance est en cours alors que ce n’est pas le cas à chaque instant.
L’analyse de ce film et d’In Order Not to Be Here (Deborah Stratman, 2002) vise à mettre en évidence les mécanismes d’illusion de la surveillance et le brouillage des frontières entre document et fiction. En somme, cet article interroge la capacité du cinéma à résister à la fonction de contrôle des images opératoires en imposant une durée de regard et en stimulant une lecture active. Ce faisant, le cinéma permet de comprendre que la surveillance repose fondamentalement sur des procédés narratifs et des effets de croyance — et, ainsi, de s’en émanciper.

Mots-clés
vidéosurveillance, simulation, cinéma de remploi, surveillance studies, panoptisme 

Référence électronique pour citer cet article
Rémi Lauvin, « La vidéosurveillance dans l’optique du cinéma », Images secondes [En ligne], 05 | 2025. URL : http://imagessecondes.fr/index.php/2025/11/lauvin/

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Symboles de dérives politiques des sociétés de contrôle, les caméras de surveillance tissent un maillage visuel étroit dans la plupart des territoires urbains mais s’étendent aujourd’hui aux seuils des villes et des espaces naturels : littoraux, forêts, massifs montagneux.

Si la présence de ces caméras dans les espaces publics signale qu’un regard surveillant est matériellement possible, la disponibilité des images produites par ces dispositifs est restée longtemps limitée. Invisible, supposé, craint : le regard surveillant doit aussi son aura à l’incertitude de son exercice même, et à la méconnaissance des images qu’il génère. On ne sait trop, en somme, comment fonctionnent les dispositifs de surveillance. On ne sait même pas s’ils fonctionnent — c’est déjà le principe du panoptique chez le philosophe utilitariste Jeremy Bentham : « l’agent fut-il absent, l’opinion de sa présence est aussi efficace que sa présence même »1. Certaines études révèlent ainsi que la présence manifeste de caméras dans l’espace public résume à elle seule leur pouvoir : qu’elles soient branchées importe peu, qu’un opérateur en consulte les images importe encore moins2. Ce qui compte, c’est qu’elles signalent que l’espace qu’elles visent est (peut-être) sous surveillance. La surveillance s’exerce ainsi par le biais d’une fiction, dans le sens où le dispositif technique (du panoptique aux caméras de surveillance) simule un regard.

Depuis les travaux de Harun Farocki3, on peut être porté à croire que l’un des rôles du cinéma consiste à placer ces images sous nos yeux : à en vérifier l’existence avant, éventuellement, d’en mesurer les effets. De nombreux films soutiennent cette fonction. Le sillon creusé par le cinéaste et théoricien allemand s’accompagne, depuis Der Riese de Michael Klier (1984) et In Order Not to Be Here de Deborah Stratman (2002) jusqu’aux travaux de cinéastes contemporains (Xu Bing, Stefan Kruse, Theo Anthony, Isabelle Ingold et Vivianne Perelmuter, Philippe Rouy, Jean-Marc Chapoulie et Nathalie Quintane, notamment), d’œuvres vouées à la fois à dévoiler la vidéosurveillance et à en proposer des destins plastiques ou narratifs singuliers. Elles invitent à considérer que ces images, « avec leur apparente pauvreté esthétique et leurs défauts techniques, peuvent connaître une forme de rédemption, s’enrichir de différentes valeurs et d’affects »4.

Je propose de mettre en évidence un triple enjeu du déplacement de la vidéosurveillance vers le domaine des images et des récits cinématographiques.

D’abord, je rappellerai que la surveillance œuvre aujourd’hui à partir d’images opérationnelles qui n’ont pas pour qualité première d’être optiques, et qu’en cela, visualiser des images de surveillance constitue un geste minoritaire. Puis je considérerai les œuvres comme révélatrices de l’existence et de l’apparence d’images de vidéosurveillance souvent fantasmées. C’est peut-être leur fonction politique élémentaire : lever le voile sur ces images, donner à voir ce que la plupart des dispositifs soustraient aujourd’hui au regard humain par un traitement automatisé des formes visuelles. Enfin, troisièmement, je poserai la question de la fiction générée par les images opérationnelles. À première vue, cette question ne semble pas être une priorité. L’urgence consiste peut-être d’abord, comme le propose Trevor Paglen, à « apprendre à voir le monde d’images invisibles qui actionnent les leviers de la réalité »5, c’est-à-dire de montrer comment les images déterminent le réel. Seulement, comme rappelé à propos du panoptique, le pouvoir de surveillance est lié historiquement à une puissance de simulation : faire croire au détenu du panoptique qu’une surveillance est en cours alors que ce n’est pas le cas à chaque instant. Dans le panoptique, le surveillant présente donc une simulation au détriment du détenu pour exercer une action de contrôle bien réelle. Mais, comme le rappelle Dietmar Kammerer, la surveillance est toute entière « structurée comme une fiction »6 parce qu’elle provoque en retour une sorte de jeu en poussant les individus sous surveillance à jouer un rôle et adapter leur comportement lorsqu’ils sont ou se sentent surveillés. Cette « dimension performative » sert pour Kammerer à contredire Foucault, pour qui le XIXe siècle évacue la dimension spectaculaire de la surveillance7. On peut considérer qu’au contraire, la surveillance a toujours fonctionné selon un « faire croire » généralisé, dans l’exercice du pouvoir surveillant comme pour les individus qui s’en accommodent. La fiction est, dès le départ, l’un des modes de fonctionnement de la surveillance visuelle, et l’une des façons de s’en prémunir.

Deux films, Der Riese (Michael Klier, 1983) et In Order Not to Be Here (Deborah Stratman, 2002), mettent en scène une forme de jeu en simulant des images de surveillance. Ces films proposent d’inverser cette puissance de simulation en exerçant leur spectateur à interroger le caractère simulé des images. Ces films reconnaissent ainsi que la surveillance s’exerce par une forme de fiction. C’est peut-être dans cette reconnaissance que l’on peut identifier l’une des puissances du cinéma à l’égard du contrôle visuel.

Il convient peut-être de rappeler en premier lieu que la surveillance s’exerce de moins en moins par le biais d’images ou de perceptions visuelles analogues à celles que décrit l’histoire de l’art. Le paradigme panoptique a fourni, à ce titre, de mauvaises habitudes. La référence presque systématique aux textes de Jeremy Bentham a longtemps entraîné l’analyse des phénomènes de surveillance du côté du regard : le surveillant, de Bentham jusqu’aux drones pilotés par des opérateurs humains, c’est l’entité qui voit loin, sans ciller, et qui punit déjà par l’intensité du regard qu’il impose à ses sujets8. Il s’agit peut-être d’une fausse piste. Ou, en tout cas, d’une piste trop étroite : il convient d’assumer aujourd’hui qu’en abordant les techniques de surveillance qui génèrent des images, notre travail porte sur une pratique qui ne saurait résumer à elle seule l’univers technologique de la surveillance visuelle. Si la vidéosurveillance fonctionne encore sur une modalité optique dans un certain nombre de contextes (notamment la surveillance des espaces publics et carcéraux), elle s’apparente aussi à d’autres formes historiques de surveillance qui se fondent non sur des images mais sur des données9

Dès 1994, David Lyon décrit ainsi l’avènement d’un œil électronique10, c’est-à-dire le traitement d’informations qui tend à se substituer à la vigilance d’espaces et de comportements par un opérateur humain. Seulement, Lyon décrit l’automatisation du traitement d’informations, c’est-à-dire d’objets dépourvus de forme visuelle — données bancaires, relevés médicaux, historiques de navigation en ligne. L’apport de la notion d’images opérationnelles, à cet égard, est crucial. En désignant par ce terme des images qui « ne représentent pas un objet, mais font plutôt partie d’une opération », Harun Farocki rapatrie les formes visuelles dans le grand ensemble des objets dont le traitement couple la perception humaine à des processus automatisés. Le théoricien et cinéaste allemand corrige en somme l’idée selon laquelle seules les données immatérielles et dépourvues de forme visuelle seraient concernées par l’automatisation. Les images, elles aussi, ont fait l’objet de traitements historiquement situés, depuis le pilotage filmé d’un missile Henschel HS 293 en 1942 jusqu’aux procédures d’assemblage industriel de la fin des années 1980, comme le décrit Farocki dans War at a Distance (2003).

La contribution de Farocki à cette réflexion est décisive pour deux raisons. D’abord, parce qu’elle resitue la fascination inquiète pour la production d’images par des machines, autour de 1990. L’ouvrage de Lyon procède de ce moment-là de l’histoire des techniques : une vigilance qui accompagne le développement de l’ordinateur personnel, et donc la production de données personnelles archivées et traitées par des dispositifs électroniques. Il était probablement nécessaire, à cette époque, d’étendre l’étude des phénomènes de surveillance au monde des données informatiques. La trilogie Eye/Machine (2001-2003) et War at a Distance (2003) décrit ainsi le moment de bascule entre l’automatisation de la prise et de vue et l’automatisation du traitement, c’est-à-dire de l’interprétation des images.

Ensuite, la contribution de Farocki s’avère précieuse parce qu’elle historicise l’étude de cette mutation de l’image en donnée. Dans un récent ouvrage, Jussi Parikka rappelle ainsi que la mathématisation de l’observation astronomique à la fin du dix-neuvième siècle permet d’antidater cette métamorphose. L’autre effet de la pensée de Farocki aura donc consisté à suggérer un regard rétrospectif sur l’appréhension non-optique du monde visible. C’est pour cela, selon Parikka, que « les opérations et l’opérationnalité sont des concepts clés pour les théories visuelles et médiatiques contemporaines, quand bien même elles englobent davantage que le visuel, le visible, et ce qui se fonde sur l’optique (lens-based)11 ».

La réappropriation cinématographique d’images de surveillance forme à cet égard un geste nostalgique. De nombreux cinéastes s’attardent ainsi sur les moniteurs, les écrans, les visualisations — ce qui continue à ressembler à un plan au moment où se multiplient les modes de surveillance non-optique. Or cette précarité de l’image de surveillance concerne les images numériques dans leur ensemble selon Trevor Paglen, comme si l’image n’était optique que secondairement et temporairement, presque par concession :

Ce qui est vraiment révolutionnaire dans l’avènement des images numériques, c’est le fait qu’elles sont fondamentalement lisibles par une machine : elles ne peuvent être vues par l’homme que dans des circonstances particulières et pendant de courtes périodes. Une photographie prise avec un téléphone crée un fichier lisible par une machine qui ne reflète pas la lumière de manière à être perceptible par l’œil humain. Une application secondaire, telle qu’un logiciel de visualisation de photos associé à un écran à cristaux liquides et à un rétroéclairage, peut créer quelque chose qu’un être humain peut regarder, mais l’image n’apparaît que temporairement aux yeux de l’homme avant de revenir à sa forme immatérielle de machine lorsque le téléphone est rangé ou que l’écran est éteint.12

En 2014, Trevor Paglen rappelle l’étrangeté ressentie à la découverte d’Eye/Machine III (Farocki 2003). Il décrit la pauvreté apparente des images montées par Farocki, évoquant des « fragments de détritus visuels du complexe militaro-industriel13 ». Paglen s’interroge sur ce que pourrait être une version contemporaine d’Eye/Machine, qui serait produite à partir d’images opérationnelles actuelles. Il formule une conclusion inquiétante : « Les images opératoires s’avèrent non seulement de plus en plus étranges pour un regard humain — elles sont purement et simplement invisibles.14 » Ces images tendent aujourd’hui à être indifférentes à l’égard du regard humain, n’étant plus fondamentalement faites pour être vues : on peut considérer à ce titre que la reprise d’images de vidéosurveillance dans des films de cinéma vise à inverser la tendance, à tenir ces images dans la durée, face à un public attentif, à insister pour les voir.

En 1983, Michael Klier offre avec Der Riese la première tentative de composer une œuvre à partir du seul matériau de vidéosurveillance. Il s’agit d’un ensemble de vues de villes allemandes, Hambourg et Berlin, et de leur périphérie (un voilier sur un lac, une station-essence, une plage, un complexe autoroutier). Ces images, bien que tournées hors de toute intention narrative ou spectaculaire, révèlent une immense densité narrative : elles regorgent d’histoires inexprimées, de fictions esquissées par le mouvement des silhouettes à l’écran, par des formes moins perçues qu’aperçues, mais aussi et surtout par des choix de montage.

Une image vidéo en noir et blanc, de mauvaise qualité, montre une homme presque de dos comptant de nombreux billets de banque.
Figure 1. Le guichet de banque, Der Riese (Michael Klier, 1983)

Ainsi, par exemple, la juxtaposition de séquences tournées dans une banque [Figure 1] avec des vues de portraits-robots [Figures 2-5] suggère un braquage, un témoignage, une enquête. Mais le dispositif d’identification qu’est le portrait-robot apparaît lui-même comme une ressource infinie de fictions, sur le mode du cadavre exquis. Différentes parties du visage offrent, au gré des variations du nez, des yeux, de la bouche, un visage en métamorphose permanente. Ces étranges portraits-robots modulables à l’infini, dont la présence entre des images de vidéosurveillance semble indiquer qu’elles servent à l’identification des individus, suggèrent une certaine plastie du visage, c’est-à-dire une manière de créer des variations autour du portrait, plutôt que de désigner une identité. En d’autres termes, Klier suggère que le portrait-robot est une technique de montage et qu’il s’offre davantage au détournement de l’identité qu’à son assignation. Der Riese évoque ainsi la puissance de fiction propre aux dispositifs pour laisser émerger, dans des plans d’apparence inerte, des esquisses de fiction.

La photo en noir et blanc, de mauvaise qualité, d'une jeune femme aux longs cheveux blonds, qui regarde sérieusement l'objectif.
La même image de la jeune femme aux longs cheveux, mélangée avec la bouche de quelqu'un d'autre, avec un bandeau noir sur les yeux.
L'image précédente, de la jeune femme, est mélangée avec un autre visage.
L'image de la jeune fille, mélangée avec deux autres visages.

Figures 2-5. Plasticité du portrait-robot, Der Riese (Michael Klier, 1983)

Chez Klier, complice de Farocki (il était acteur dans Between Two Wars, en 1978), le remontage de la vidéosurveillance sert peut-être d’abord à sonder la présence du cinéma au sein d’images qui, a priori, ne le concernent pas. Le regard tourné vers les frontières extérieures du cinéma (la vidéosurveillance, cette autre manière de faire image, de la dévoyer loin de l’art, vers un usage punitif) permet de retourner vers l’intérieur du médium. Remonter des images de surveillance, c’est aussi recomposer le langage cinématographique à partir d’une matière première qui ne lui était pas destinée. C’est aussi, comme le suggère Antonio Somaini, faire l’expérience d’une appétence narrative qui trouve à s’alimenter jusque dans les images de contrôle visuel de facture usuelle dans ce domaine (des plans larges tournés depuis un point de vue dominant) :

En regardant ce film réalisé exclusivement à partir du montage d’images de surveillance trouvées, qui semblent toutes caractérisées par les mêmes traits formels – plans statiques ou en mouvement mécanique toujours pris d’en haut, noir et blanc, basse définition – nous ressentons le besoin constant de trouver un sens à ce que nous voyons : de découvrir les histoires qui se cachent derrière cet anonymat et cette absence de sens, derrière ce montage apparemment involontaire, en considérant le film de Klier comme une sorte de « symphonie de la ville » post-moderne entièrement composée d’images de surveillance15.

Mais nous pouvons aussi retenir de ce film l’éventail d’images jusqu’alors mal connues. Si Der Riese laisse libre cours à tant d’amorces de fiction dans ces vues de surveillance, c’est d’abord parce que Klier laisse ces images durer sous nos yeux. Ce film offre une première rencontre avec des images rarement vues et encore plus rarement regardées. Or la durée est l’une des conditions d’avènement du regard. Elle est ce par quoi, à force de quoi, les préjugés tombent et le regard advient selon Georges Didi-Huberman : 

Faire tomber les remparts que l’idée préalable – le préjugé – impose entre l’œil et la chose. Mettre en pièce le sentiment de familiarité avec toute image, l’impression que « c’est tout vu » et que, par conséquent, ce n’est pas la peine de regarder. Làszlo Moholy-Nagy, Bertold Brecht et Walter Benjamin appelaient cela un « analphabétisme de l’image » : lorsque les clichés photographiques – ou cinématographiques – ne suscitent chez leur spectateur que « cliché linguistique », c’est-à-dire lorsque les idées préconçues – les représentations – nous empêchent tout simplement de regarder ce qui se présente sous nos yeux.16

Si l’image de surveillance s’offre naturellement à ce projet de défamiliarisation, c’est parce que rien en elle n’invite à la contemplation. Elle ne semble avoir de valeur qu’à l’instant de la capture d’une preuve. Or Der Riese offre des visions lentes, patientes, presque inertes, qui semblent refuser le spectacle. Il faut même, parfois, le grain grouillant de la basse définition pour se souvenir que ces images n’ont pas tout à fait la fixité de la photographie, et donc qu’elles sont en mouvement. 

Aujourd’hui, la consultation de flux d’images de vidéosurveillance offre une forme de streaming comme une autre. De nombreux sites et applications pour smartphone offrent à n’importe quel utilisateur une mosaïque d’écrans diffusant des images provenant de caméras installées aux quatre coins du monde, reconstituant dans notre poche une infinité de salles de surveillance virtuelles17. Mais à la différence des salles de vidéosurveillance classiques, ces applications incitent au zapping. Chaque caméra offre un spectacle relativement pauvre et vite épuisé : une majorité de pièces vides et d’espaces urbains peuplés de silhouettes indissociables les unes des autres, des hubs autoroutiers ou industriels. Prises individuellement, ces vues offrent le spectacle du non-événement. L’attrait de ces applications réside plutôt dans le passage compulsif d’une fenêtre à une autre. Ce papillonnage se double d’un plaisir de projection ubiquitaire et de voyage qui n’est pas sans rappeler l’attrait touristique des vues Lumière les plus « exotiques ». La vidéosurveillance en flux continu offre ainsi le jeu de la devinette géographique : le spectateur reconnaît un alphabet, identifie un style d’architecture ou des singularités culturelles qui permettent de deviner le lieu de la prise de vue. 

Toutefois, aucun de ces petits jeux n’engage de véritable regard. Car aucune de ces images n’est faite pour durer. Ou plutôt, ces images interminables18 mettent au défi l’attention et poussent au zapping visuel. Par leur dimension de flux éphémère, ces images évoquent davantage une esthétique télévisuelle que cinématographique. À cet égard, le cinéma de remploi de la vidéosurveillance se distingue en imposant un ordre et une durée à des fragments de non-événement qui n’auraient, dans la plupart des cas, pas mérité davantage qu’un coup d’œil. 

Le cinéma organise à cet égard un face-à-face durable avec les images et il requiert, grâce à cette durée, que nous dégagions notre regard de toute habitude. 

Cela commence, dans Ailleurs, partout, dès les premiers plans du film. Par le biais d’images de vidéosurveillance glanées sur internet, les deux réalisatrices Isabelle Ingold et Vivianne Perelmuter donnent vie au récit du parcours de Shahin, un jeune Iranien de vingt ans, jusqu’en Angleterre. En refusant les récits préfabriqués qui saturent la représentation médiatique des parcours de migration, ce film singulier décrit un double exil : celui de Shahin, mais aussi celui du spectateur amené à fréquenter des images qui n’étaient pas destinées au cinéma. L’ouverture d’Ailleurs, partout invite, dès le départ, à s’interroger sur cette déterritorialisation. Un point de lumière parait dans un écran intégralement noir. On ne sait trop s’il s’agit d’un pixel endommagé ou bien d’une lumière allumée au fond de la nuit. Peut-être perçoit-on là un défaut infime du dispositif de projection, peut-être que ce point blanc appartient au monde filmé — pendant quelques secondes, il est trop tôt pour le dire. Ce point blanc, c’est l’objet ambigu qui pourrait appartenir aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du dispositif de prise de vue. C’est le début de la séance, pourtant l’apparition d’une image – réduite à un point de lumière mouvant dans un vaste ensemble noir – ne nous rend pas plus savants qu’à l’extinction des lumières de la salle. C’est même plutôt l’inverse : nous en savons même un peu moins dans le sens où nous n’avons pas tout à fait réglé la question du seuil qui distingue l’œuvre projetée et la réalité du monde où cette projection a lieu – à quel ordre de réalité, en somme, appartient cette image. Le film commence et, pourtant, nous y voyons encore moins bien.

Avant de produire l’examen et éventuellement la critique des images de vidéosurveillance, la fonction de cette ouverture consiste à placer simplement les images sous nos yeux. Cette pure et simple présentation permet d’extraire ces images des confins du web et de les sauver de leur condition d’image temporaire, en flux, pour les offrir à un examen durable. Ainsi offertes dans la durée, elles nous invitent à les arpenter du regard, à constater leur facture, en somme à voir à quoi elles ressemblent avant d’interpréter ce qu’elles signifient. L’écran de cinéma assume en d’autres termes une fonction phénoménologique : rendre compte de leur réalité empirique.

Cependant, la puissance épistémologique et politique du remploi de la vidéosurveillance au cinéma porte sur une question : quel crédit peut-on accorder à la dimension réaliste de ces images ? Dans In Order Not to Be Here (2002), Deborah Stratman teste justement les limites de l’attrait réaliste de la vidéosurveillance, et de la croyance que l’on peut lui accorder en tant que document. Dans ce film marqué par l’atmosphère sécuritaire post-11 septembre, Stratman articule des plans de territoires urbains déserts, de nuit, avec deux séquences filmées par une caméra thermique depuis un hélicoptère. Ces plans ouvrent et closent le film. L’ouverture, en particulier, se compose de plans moirés, cernés par une auréole sombre. En off, une voix véhiculée par un système d’amplification grésillant pilote la scène que révèle le moniteur : l’arrestation d’un fugitif par des hommes lourdement armés et suivis de chiens. Il s’agit vraisemblablement de plans d’un moniteur de surveillance filmé par une caméra : non des images natives, mais un écran filmé et reproduit avec son grain [Figures 6-7]. 

Vue nocturne, thermique, de policiers.
Une autre vue nocturne, mal définie, des policiers arrêtant un fugitif.

Figures 6-7.  Le grain du moniteur de surveillance, In Order Not to Be Here (Deborah Stratman, 2002)

Cette scène offre au spectateur tous les marqueurs de l’image opératoire de surveillance. Le grain de l’image filmée depuis un hélicoptère, dans des tons de gris verdâtres et oscillant du flou au net, s’inscrit manifestement dans un imaginaire visuel lié aux techniques de surveillance urbaine et laisse paraître les images suivantes avec le soupçon qu’elles relèvent, elles aussi, d’un geste de remploi d’images de surveillance. Les plans qui suivent cette ouverture ont été filmés depuis l’espace urbain. Nous ne sommes plus à bord d’un engin de surveillance, mais dans des quartiers proprets et fortunés, des gated communities où toute présence humaine s’est retirée de la rue : on devine des vies bourgeoises par les lumières allumées dans des salons coquets, des rayons de supérette parfaitement entretenus, baignés de lumière blanche, ou les parterres de fleurs soignés balisant l’entrée de différents quartiers [Figures 8-11]. Certains plans, par leur caractère inévénementiel et la fixité du cadre, suggèrent qu’ils n’ont pas d’autre auteur qu’un système de surveillance urbaine. Le décadrage et l’obscurité de certaines prises de vue contribuent ainsi à prolonger l’univers visuel de la surveillance déployé dans les tout premiers plans, et à suggérer qu’il s’agit ici encore d’images « remployées ». Les vues de boulevards et certaines façades urbaines semblent en effet mal calibrées ou désaxées, par malveillance ou par négligence ; ce qu’un opérateur de cinéma aurait corrigé.

Une grande maison en bardages blancs, de nuit, les picèes éclairées.
Sur un mur, gravée majestueusement, l'inscription : "The Knolls"
Des étals réfrigérés et métallique remplis de pâtisseries.
Sur un muret, au-dessus d'un parterre de fleurs, des lettres éclairées dans la nuit : "North Bluffs".

Figures 8-11. Aperçus pavillonnaires, In Order Not to Be Here (Deborah Stratman, 2002)

Mais d’autres images se distinguent par leur netteté et le soin apporté à leur éclairage : d’élégantes et inquiétantes zones de lumière crèvent l’obscurité urbaine, détaillant dans la ville des paysages de films noirs ou des lieux de comédie romantique — des décors en puissance, en somme. De plus, un système d’accordage du son et de l’image nous entraîne du côté de l’artifice : des bribes de conversations émanent de plans de drive-throughs, comme si des fantômes passaient commande sans qu’on les voie, une radio de police se déclenche bruyamment sur fond de parking de supermarché désert, la sirène d’un véhicule de police retentit à proximité d’un distributeur de billets, la voix d’un agent de police retentit, distordue et frénétique, à travers sa radio, tandis que l’écran offre un autre plan de parking dépeuplé [Figures 12-15]. 

Une image de mauvaise qualité montrant une devanture éclairée.
Une image nocturne très sombre, avec au loin une façade vitrée très éclairée.
Une image nocturne d'un parking, avec l'inscription lumineuse "Drive thru pharmacy".
Deux distributeurs d'argent.

Figures 12-15. Les décors désertés, In Order Not to Be Here (Deborah Stratman, 2002)

Chaque nouveau plan suggère un crime, une menace qui plane. Mais c’est surtout le cadrage simulant la vidéosurveillance qui amplifie cette sensation. Il n’y a, au sens strict, rien à voir, mais la manière de cadrer l’espace urbain suggère qu’un regard surveillant traque là un méfait à venir. Le projet de Stratman consiste ainsi à simuler des images opérationnelles, et à troubler notre faculté à distinguer celles-ci de plans manufacturés en les juxtaposant avec des images de remploi, qui font office de fausses pistes. Stratman décrit en cela la capacité du cinéma à imiter des images opérationnelles : les décadrages évoqués plus tôt dessinent, plus que des défaillances, des zones de mystère et des manières de se réapproprier l’esthétique de la vidéosurveillance.

La dimension artificielle du film se dévoile enfin lors d’une séquence particulièrement inquiétante : de lents mouvements de caméra suivent le disque de lumière projeté par une lampe-torche sur une végétation urbaine plongée dans le noir, aboutissant à une façade de maison puis, ce qui contredit définitivement l’hypothèse d’un pur film de remploi, les vues d’un intérieur propret, presque un appartement-témoin : le salon, la cuisine et enfin, au terme d’un lent travelling, le visage d’une fillette endormie [Figures 16-19].

Stratman nous mène ainsi de plein pied dans l’ordre de la mise en scène, c’est-à-dire dans l’ordre de la fiction. Une fiction esquissée par le jeu du hors-champ sonore, puis confirmé par l’intrusion dans un décor que l’on conçoit enfin comme artifice de mise en scène. Notre regard ainsi dupé peut alors faire retour sur le système visuel qui l’a induit en erreur : l’enchaînement de plans appartenant manifestement au monde de la surveillance (les images en tons de gris et de vert tournées depuis l’hélicoptère) avec des plans fabriqués par Stratman auxquels nous avons, par la force liante du montage, naïvement attribué la qualité d’images de surveillance. 

Figures 16-19. L’espace domestique sous surveillance, In Order Not to Be Here (Deborah Stratman, 2002)

De plan en plan, le film invite ainsi à interroger ce que l’on estime relever, au premier regard, du domaine visuel de la surveillance. La rue, soit, une station-service, on peut encore le concevoir, mais l’espace privé d’un salon, d’une cuisine, d’une chambre où dort un enfant ? En glissant le regard à l’intérieur de foyers américains, Stratman décrit la démocratisation des dispositifs de surveillance domestique et suggère que le domaine familial ne saurait échapper à l’emprise du contrôle visuel. Rappelons, avec Hannah Spaulding, que la télévision en circuit fermé offre, depuis le milieu des années 1950, un dispositif domestique singulier, où le poste offre à la fois un accès à la fiction télévisée et à la réalité sous surveillance19

D’un point de vue formel, le film de Stratman a pour intérêt majeur d’interroger les critères par lesquels nous croyons reconnaître, spontanément, des images de surveillance du début du vingt-et-unième siècle. La basse définition, la fixité du cadre ou la régularité absolue du mouvement de la caméra ainsi que la traduction des couleurs en un panaché de gris et de verts fournissent les indices les plus élémentaires pour identifier en un clin d’œil une image opératoire. 

Depuis la guerre du Golfe, la télévision a fait (re)connaître ces images au grand public. En nous montrant la guerre du Golfe à travers un appareil de surveillance militaire, la télévision a popularisé un imagier singulier : celui de la vision en conditions de basse luminosité, du grain particulier des caméras embarquées, des visions urbaines désertes. Le spectateur est éduqué, prévenu : il sait désormais reconnaître l’attirail de vision militaire derrière ces images. Katrin Kaschadt évoque la série Nacht, II du photographe allemand Thomas Ruff (1992) portant sur des rues de Düsseldorf désertes vues, de nuit, par un appareil infrarouge, et qui ont en cela une grande proximité avec le film de Stratman : « La dominante verte, le léger flou brumeux et la focalisation sur la partie centrale de l’image, généralement éclairée, transforment les scènes familières en lieux suspects d’une importance militaire stratégique. Le médium se révèle être un véhicule d’interprétation. »20 Chez Stratman aussi, c’est le médium qu’on interroge. En juxtaposant de véritables images de vidéosurveillance à des plans fabriqués de sa main, la cinéaste suggère que l’univers visuel de la surveillance ne saurait se borner au strict domaine de la basse définition et des images opérationnelles.

Pour Francesco Casetti, les images opérationnelles « sont souvent utilisées pour informer, surveiller, témoigner, et en ce sens ce sont des images qui “font faire” quelque chose à leur observateur/spectateur. Simplement, ce dernier n’est pas tenu de s’y immerger »21. Les films évoqués ici « font faire » à leur spectateur un exercice de lecture des images en posant une question décisive : à quoi reconnaît-on une image de surveillance ? Qu’est-ce qui, dans les images elles-mêmes et dans le système qui nous les présente, nous pousse à les identifier ainsi ? Ces films engagent alors leur spectateur à interroger les images en-deçà de leur contenu narratif : à se demander d’où ces images proviennent, s’il s’agit d’un matériau de surveillance brut ou si l’effet de surveillance qu’elles émettent a été fabriqué pour le film en mimant l’apparence des images opérationnelles. Ces films montrent en cela une étrange préscience : si l’univers des images de vidéosurveillance a longtemps été défini par la basse définition, il se compose aujourd’hui d’images de haute, voire de très haute définition, qui se confondent donc de plus en plus facilement avec des images non-opérationnelles. Le grain des images s’affine jusqu’à ressembler étroitement aux images de haute définition produites pour le cinéma. La présence d’images de surveillance au sein des films requiert donc une vigilance accrue, mais aussi une réflexion sur les puissances fictionnelles des techniques du contrôle visuel. En suggérant à la fois que la surveillance peut être simulée (In Order Not to Be Here) et que de véritables images de surveillance invitent à fantasmer ou à « découvrir les histoires qui se cachent derrière ces vues anonymes et apparemment insignifiantes »22 (Der Riese), les films évoqués ici forment une boucle avec l’idée d’une fiction panoptique chez Bentham. Ils suggèrent un lien profond entre la surveillance et la fiction : même dans des œuvres de remploi apparemment dépourvues de contenu narratif ou diégétique, ces images présentent le mystère de leur origine (s’agit-il de found footage ou de surveillance simulée ?) et, dans le même temps, esquissent une infinité d’intrigues potentielles.


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  1. Jeremy Bentham, Le Panoptique [1787-1791], précédé de « L’œil du pouvoir, entretien avec Michel Foucault », Paris, Belfond, 1977, p. 7-8. ↩︎
  2. Élodie Lemaître, L’Œil sécuritaire. Mythes et réalités de la vidéosurveillance, Paris, Editions La Découverte, coll. « L’envers des faits », 2019. ↩︎
  3. Christa Blümlinger, Harun Farocki: du cinéma au musée, Paris, P.O.L., 2022. ↩︎
  4. Romain Lefebvre, « Avec et contre la vidéosurveillance », Images documentaires, n° 101-102, Mars 2021, p. 56. ↩︎
  5. Trevor Paglen, « Operational Images », e-flux, n° 59, Février 2014, pp. 11-12. ↩︎
  6. Dietmar Kammerer. « Why Should We Talk About Culture, When We Want to Understand ‘Surveillance’? », On_Culture: The Open Journal for the Study of Culture, n°6, 2018. http://geb.uni-giessen.de/geb/volltexte/2018/13900/. ↩︎
  7. Michel Foucault, Surveiller et Punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, p. 14. ↩︎
  8. Grégoire Chamayou, Théorie du drone, Paris, La Fabrique, 2013. ↩︎
  9. Voir, par exemple, l’histoire de la surveillance des clients des établissements bancaires (Josh Lauer, Creditworthy: A History of Consumer Surveillance and Financial Identity in America, New York, Columbia University Press, 2017) ou de l’usage du polygraphe dans les grandes entreprises industrielles américaines dans les années 1950 et 1960 (Greg Marquis, « Private security and surveillance. From the ‘dossier society’ to database networks », in David Lyon (ed.), Surveillance as Social Sorting. Privacy, risk, and digital discrimination, Londres et New York, Routledge, 2003, pp. 226-248. ↩︎
  10. David Lyon, The Electronic Eye: The Rise of Surveillance Society, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1994. ↩︎
  11. Jussi Parikka, Operational Images. From the Visual to the Invisual, Minneapolis et Londres, Minnesota Press, 2023, p. 19. ↩︎
  12. Trevor Paglen, « Invisible Images (Your Pictures Are Looking at You) », The New Inquiry, 8 Décembre 2016 [en ligne]. Consulté le 18 février 2024. ↩︎
  13. Trevor Paglen, « Operational Images », e-flux, n° 59, Février 2014, p. 11. ↩︎
  14. Trevor Paglen, ibid., p. 12. ↩︎
  15. Antonio Somaini, « Visual Surveillance. Transmedial Migrations of a Scopic Form », Acta Univ. Sapientiae, Film and Media Studies, n° 2, 2010, p. 154. ↩︎
  16. Georges Didi-Huberman, Remontages du temps subi. L’œil de l’histoire, 2, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. “Paradoxe”, 2010, p. 101. Cette citation m’a été soufflée par Isabelle Ingold et Vivianne Perelmuter, réalisatrices d’Ailleurs, Partout (un autre film composé exclusivement d’images de vidéosurveillance, en 2020). ↩︎
  17. À titre d’exemple, le site Insecam.org permet l’accès à plus de trois mille caméras de surveillance en direct ou en léger différé, sur les cinq continents et provenant d’installations diverses, de l’hypermarché aux milieux naturels. ↩︎
  18. Pour Thomas Levin, l’attrait des images de surveillance au cinéma porte sur deux modalités temporelles distinctes. L’une, selon le paradigme ancien qui lie l’image à la preuve, s’intéresse aux captures qui documentent un fait dans une durée continue : VHS, extrait de bande de vidéosurveillance. L’autre modalité temporelle concerne le présent continu dans un flux tendu d’images en direct. Cette seconde modalité instaure une esthétique temporelle et des modalités de récit et de montage singulières, propre à ce que Levin qualifie de « cinéma du ‘temps réel’ ». Thomas Y. Levin, « Rhetoric of the Temporal Index : Surveillant Narration and the Cinema of “Real Time” », dans Thomas Y. Levin, Ursula Frohne & Peter Weibel (dir.), CTRL Space : Rhetorics of surveillance from Bentham to Big Brother, Karlsruhe et Cambridge, ZKM Center for Art and Media, et Massachusetts Institute of Technology, 2002, pp. 578-593. ↩︎
  19. Hannah Spaulding, « Fortress Television: Closed Circuit Television in the American Home », Screen, Vol. 65, n° 1, Printemps 2024, pp. 83-105. ↩︎
  20.  Katrin Kaschadt, « Thomas Ruff – Night 1, II, [1992, c-print, 75×75”] », dans CTRL [SPACE]: Rhetorics of Surveillance from Bentham to Big Brother, Karlsruhe et Cambridge, ZKM Center for Art and Media, et Massachusetts Institute of Technology, 2002, p. 86. ↩︎
  21. Francesco Casetti, « Les environnements médiaux entre haute et basse définition », dans Francesco Casetti & Antonio Somaini (dir.), La haute et la basse définition des images. Photographie, cinéma, art contemporain, culture visuelle, Sesto San Giovanni, Mimésis, coll. “Images, médiums”, 2021, p. 251. ↩︎
  22. Antonio Somaini, « Visual Surveillance. Transmedial Migrations of a Scopic Form », art. cit., p. 154. ↩︎