Alexandre Zaezjev
Hétérotopie DAU. Vers une analyse spatiale du post-cinéma
Résumé
Le présent article se penche sur une œuvre expérimentale du réalisateur russe Ilia Khrjanovski, DAU, les conditions de sa réception et son rôle dans l’expansion transmédiatique du cinéma contemporain. Conçu à la fois comme un institut de recherche réel et un plateau de tournage, le projet DAU avait pour objectif de reproduire l’univers totalitaire soviétique et d’en capter l’expérience. Notre analyse de DAU s’appuie sur l’hétérotopologie foucaldienne et la développe davantage pour proposer un modèle théorique original du « cinéma hétérotopique ».
Mots-clés
DAU, Khrjanovski, cinéma hétérotopique
Référence électronique pour citer cet article
Alexandre Zaezjev, « Hétérotopie DAU : Vers une analyse spatiale du post-cinéma », Images secondes [En ligne], 03 | 2022, mis en ligne le 16 février 2022, URL : http://imagessecondes.fr/index.php/2022/02/16/zaezjev/
Introduction
Dans son texte capital Le Postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif, le théoricien américain Fredric Jameson définit cette période singulière de notre rapport au monde par la dominance des « catégories de l’espace plutôt que par les catégories du temps, comme c’était le cas dans la période précédente du haut-modernisme »1. Cette observation fait écho à la conférence de Michel Foucault « Des espaces autres » et à la déclaration faite par le philosophe français selon laquelle « l’époque actuelle serait peut-être plutôt l’époque de l’espace »2. Au cours des dernières décennies, l’approche spatiale a fait son chemin dans les études cinématographiques3, une tendance qui est décrite par l’Oxford Dictionary of Film Studies comme un « tournant spatial »4.
La méthode centrée sur l’espace a également été adoptée dans la recherche sur le phénomène du post-cinéma. Shane Denson et Julia Leyda considèrent le post-cinéma comme « une nouvelle “structure de sentiment” (Williams) ou “épistémè” (Foucault) qui caractérise le cinéma post-millénaire et d’autres médias contemporains, et se manifeste par de nouvelles stratégies formelles, des conditions de visionnement radicalement modifiées et de nouvelles façons dont les films s’adressent à leurs spectateurs »5. En discutant de ces « conditions de visionnement et des nouvelles façons dont les films s’adressent à leurs spectateurs », Francesco Casetti a introduit le concept de « délocalisation » en soulignant le rôle de l’environnement dans l’expérience post-cinématique : « Un support donné est défini par la situation dans laquelle il opère ou qu’il crée. […] Le concept de relocalisation montre clairement que la migration d’un médium hors de son domaine d’origine implique un type d’expérience et un espace physique ou technologique »6. Le présent article explore davantage le rôle de l’espace dans l’expérience post-cinématique en s’appuyant sur le concept d’hétérotopie développé par Michel Foucault, et en l’appliquant à l’analyse du projet multimédia DAU (2005-projet en cours) du réalisateur russe Ilia Khrjanovski.
Notre étude dépasse cependant la méthode foucaldienne, et propose un modèle théorique original de « cinéma hétérotopique » pour comprendre l’expansion transmédiatique du cinéma contemporain.
Contexte théorique et recension d’écrits
Foucault a développé le concept d’hétérotopie dans une conférence intitulée « Des espaces autres » en le décrivant comme un emplacement concret, « effectivement localisable » dans le monde réel, mais qui en est aussi phénoménologiquement différent ; un lieu qui perturbe la continuité et la régularité de notre perception spatio-temporelle7. Signifiant littéralement « lieux autres », les hétérotopies peuvent être comprises comme des enclaves de « non-réalité » culturellement reconnue et codifiée8 qui « injectent l’altérité dans l’homogénéité, la platitude, le mondain de la société quotidienne »9. Les exemples d’hétérotopies fournis par Foucault comprennent les cimetières, les théâtres, les cinémas, les musées, les bibliothèques ainsi que les maisons de retraite, les cliniques psychiatriques et les prisons, pour en citer quelques-uns.
Il évoque ces exemples pour formuler les six principes de l’hétérotopologie, qui est « une sorte de description systématique »10 des hétérotopies. Pour les résumer, (1) les hétérotopies sont omniprésentes mais non universelles et peuvent prendre des formes diverses, telles que les hétérotopies de crise ou les hétérotopies de déviation ; (2) le fonctionnement des hétérotopies n’est pas prédéterminé ontologiquement et peut être sujet à changement ; (3) les hétérotopies juxtaposent dans un même lieu réel plusieurs emplacements qui pourraient être incompatibles en eux-mêmes ; (4) les hétérotopies créent une rupture absolue avec le temps quotidien ; (5) l’accès aux hétérotopies est restreint et implique souvent des rites de passage ; (6) les hétérotopies sont physiquement isolées de l’espace extérieur mais y sont fonctionnellement liées. Bien que Foucault ait inventorié six principes d’hétérotopologie, le concept lui-même suscite toujours des débats académiques, produisant des interprétations et adaptations diverses, faisant de l’hétérotopie « un trope familier, bien qu’ambigu, dans la pensée critique sur la spatialité »11.
La notion d’hétérotopie a été largement déployée dans les études sur les médias post-cinématiques. Hye-jin Chung l’emprunte pour proposer son propre concept d’« hétérotopie médiatique », « un domaine de représentation audiovisuelle augmentée numériquement qui superpose des couches de spatialités et de temporalités diverses »12. Francesco Casetti l’adapte à la production audiovisuelle numérique, tout en introduisant le terme d’« hypertopie » pour décrire la structure spatiale des films consommés sur les écrans des appareils électroniques, soit une sorte d’hétérotopie extravertie, un espace d’altérité qui « ne me demande plus de m’y rendre ; [mais] vient vers moi, m’atteint où que je sois »13. La notion d’hétérotopie a également été mobilisée dans l’étude du database cinema, où la base de données est conceptualisée comme une hétérotopie virtuelle qui remplace la linéarité chronologique du temps par la logique non linéaire de l’espace. Arpin-Simonetti, par exemple, applique le modèle foucaldien à l’analyse des Valises Tulse Luper de Peter Greenaway (2003)14 – l’exemple le plus ambitieux du database cinema avant l’avènement de DAU, comme Lev Manovich, qui a forgé le terme, l’a récemment souligné15. Si Greenaway et Khrjanovski sont reconnus pour leur cinéma d’auteur expérimental, l’approche hétérotopique est également appliquée à l’étude du cinéma commercial. Parmi les exemples plus récents, il est possible de nommer la franchise Mad Max de George Miller (1979-2015)16, The Hours de Stephen Daldry (2002)17, Carol de Todd Haynes (2015)18 et High-Rise de Ben Wheatley (2015)19.
Il est important de souligner, cependant, que ce corpus d’études porte sur les hétérotopies cinématographiques, plutôt que sur le cinéma hétérotopique – une distinction cruciale pour notre analyse de DAU. La recherche sur les hétérotopies cinématographiques s’intéresse principalement aux hétérotopies qui existent dans l’espace diégétique20, c’est-à-dire les hétérotopies qui figurent dans les œuvres cinématographiques. En revanche, une étude sur le cinéma hétérotopique, telle que le propose le présent article, explore les conditions hétérotopiques de réalisation et de réception des œuvres cinématographiques. Depuis la conférence de Foucault qui n’abordait que les salles de cinéma, les conditions hétérotopiques de réception ont fait l’objet de plusieurs nouvelles études21. Les hétérotopies de réalisation sont, en revanche, beaucoup moins nombreuses dans l’histoire du cinéma. On peut citer quelques films expérimentaux, comme ceux d’Andy Warhol (1965, 1966), mais surtout La Commune (Paris, 1871) (2000) de Peter Watkins22. Cependant, comme nous allons le démontrer dans le présent article, ce qui fait de DAU un exemple éminent du cinéma hétérotopique, c’est qu’il incarne à la fois des hétérotopies de production et de réception.
Contexte historique
DAU a été conçu en 2005 comme un biopic plutôt conventionnel sur un scientifique soviétique, Lev Landau (1908-1968). Étudiant et collègue de Niels Bohr (1885-1962), lauréat du prix Nobel de physique en 1962, Lev Landau (surnommé DAU par ses amis) était non seulement un homme de science, mais aussi un « homme à femmes ». Selon Khrjanovski, c’est ce dualisme qui lui a permis de traiter la figure de Landau à la fois comme Faust et Don Juan23. Et si les exploits intellectuels de Landau sont rendus célèbres grâce à ses réalisations scientifiques, ses exploits amoureux ont été bien documentés dans le livre de sa femme Concordia « Cora » Landau-Drobantseva (1908-1984) – Académicien Landau. Comment nous avons vécu (Akademik Landau. Kak my zhili), qui a circulé de manière clandestine dans les années 1980 et a été publié en 1999.
L’aspect sexuel est mis en avant dans le livre de Cora Landau-Drobantseva et, même si le lecteur attentif sera probablement capable de distinguer les souvenirs et les observations d’une épouse jalouse des fantasmes de son mari (et, peut-être, de ses délires), la manière provocante avec laquelle son époux s’engageait ouvertement dans les relations polygames était un fait bien connu de l’intelligentsia scientifique soviétique. C’est précisément le libertinage manifeste de Landau décrit par son épouse dans ses mémoires – le contraste entre la liberté intérieure de Landau et la nature oppressive du régime stalinien alentour – qui ont éveillé l’intérêt initial de Khrjanovski pour la biographie du fameux scientifique. Né en 1975 à Moscou, Khrjanovski est le fils du cinéaste et animateur Andreï Khrjanovski (né en 1939) et le petit-fils du peintre Yuri Khrjanovski (1905-1987), élève de Kazimir Malevich et membre du groupe de Pavel Filonov. Ilia Khrjanovski est diplômé de la célèbre école de cinéma russe VGIK, qu’il a achevée en 1998 sous la tutelle de Marlen Khoutsiev (1925-2019), un cinéaste soviétique, auteur de plusieurs films cultes marquant l’époque de dégel sous Nikita Khrouchtchev. Khrjanovski a sorti son premier long métrage, 4, en 2004, et a reçu en 2005 le Tiger Award pour ce film au 34e Festival International du Film de Rotterdam. Fort du succès critique de 4, Khrjanovski a réussi à capter l’intérêt du producteur français Philippe Bober, fondateur d’un label européen d’origine allemande, Coproduction Office, avec son projet suivant – DAU.
En 2007, après déjà deux ans de production, le projet de Khrjanovski, qui bénéficiait initialement d’un budget plutôt modeste, alloué par plusieurs agences de financement européennes et russes, a attiré l’attention d’un mécène privé, Sergueï Adoniev – un nouveau riche qui a fait sa fortune après la chute de l’Union soviétique, dans la première décennie du capitalisme russe. Comme le raconte Sophie Pinkham dans son article entièrement consacré au contexte socio-économique de DAU24, Khrjanovski a rencontré le milliardaire à une fête, après qu’Adoniev ait mentionné à leur ami commun à quel point il admirait 4. Khrjanovski a présenté DAU et Adoniev a fait augmenter le budget du projet, permettant au cinéaste indépendant, alors âgé de trente-deux ans seulement, de transformer DAU en une œuvre expérimentale et pluridisciplinaire à grande échelle.
Ce développement n’est pas étonnant puisqu’Adoniev est connu en tant que mécène culturel, s’adonnant à sa passion qui se situe « au carrefour de l’art, de la science et de la philosophie »25, comme le site web de son Phenomen Trust le mentionne. Il finance par exemple L’Électrothéâtre Stanislavski à Moscou, dirigé par le metteur en scène expérimental Boris Yukhananov, et parraine le centre artistique The Shed à Manhattan. Il est également cofondateur de l’Institut Strelka pour les médias, l’architecture et le design, dont le programme d’enseignement de la théorie urbaine a été conçu par le starchitect néerlandais Rem Koolhaas. Adoniev est aussi le mécène de l’orchestre MusicAeterna, dont le chef d’orchestre russe d’origine grecque Teodor Currentzis est également une figure clé dans DAU. Une partie importante des fonds fournis par Adoniev a été accordée pour la construction du plateau de tournage à Kharkiv, en Ukraine, construction qui fut entamée en 2008. Cet ensemble gargantuesque d’architecture pseudo-stalinienne – appelé l’Institut – occupait une superficie comparable à celle d’un campus universitaire et, par son organisation et ses fonctions, rappelait les Naoukograds soviétiques. Ces localités fondées en URSS au milieu du XXe siècle présentaient une importante concentration de complexes de recherche scientifique et de développement technologique, notamment dans les secteurs des télécommunications, de l’armement, de l’aéronautique, de l’exploration spatiale et du nucléaire. Une grande partie des Naoukograds dépendait du complexe militaro-industriel de l’URSS et constituait, de ce fait, des entités territoriales administratives fermées, des zones secrètes comportant des restrictions d’accès, de déplacement et de résidence. Selon l’historien Kevin Limonier, ces villes se caractérisaient par le rôle central joué par l’institut de recherche dans tous les aspects de la vie ; en règle générale, dans les Naoukograds, l’institut constituait « un générateur de pratiques locales » et « ordonn[ait] bien souvent l’identité [de ses habitants] »26. Ce phénomène des centres de recherche fermés est souvent évoqué dans la littérature soviétique et postsoviétique (par exemple, dans les œuvres d’Alexandre Soljenitsyne (1968), d’Arcadi et Boris Strougatski (1966), ainsi que de Victor Pelevine (1992)), appartenant à ce que le philologue et critique culturel Mark Lipovetsky a appelé la « culture ITR »27 (d’après Injenerno-Tekhnicheskie Rabotniki – un acronyme utilisé en Union soviétique pour désigner l’intelligentsia scientifique et technologique).
Tout comme les villes scientifiques secrètes, l’Institut que Khrjanovski a fait construire comprenait des laboratoires entièrement opérationnels, des bâtiments administratifs, des installations sportives, des immeubles d’habitation et un réfectoire. Il y avait également un bureau de presse où l’on publiait un périodique qui rendait compte autant des événements majeurs de l’époque que de la vie quotidienne à l’Institut. Un aspect clé de DAU était donc la fabrication des preuves documentaires témoignant de son existence et le mettant en rapport avec les événements historiques réels : « L’Institut existait dans un univers spatial et temporel parallèle [à la réalité historique] des années 1938 à 1968 » explique la brochure officielle du DAU28.
Soulignons que ce rapport hétérochronique (voir le quatrième principe d’hétérotopologie foucaldienne29) était également maintenu en dehors de l’Institut et même après sa destruction. Carlo Rovelli – un physicien théoricien italien mondialement reconnu qui avait visité l’Institut et qui apparaît dans DAU –, a publié en 2011 un article scientifique dans le Journal of Theoretical Physics, une revue spécialisée hautement cotée, arbitrée par un comité de lecture, dans lequel il remercie l’Institut « pour l’hospitalité qui lui a été accordée en octobre 1942 [souligné par l’auteur] » et « pour les conversations stimulantes qu’il a eues [avec les habitants de l’Institut] lors de cette visite, qui ont inspiré cet article »30.
Tout comme les villes scientifiques secrètes, le territoire de l’Institut constituait un ensemble architectural clos, introverti, replié sur lui-même. En plus d’être isolé et entouré d’une clôture, le plateau de tournage a été construit dans le bassin d’un immense centre aquatique soviétique datant de 1931, avec une partie des bâtiments situés sous le niveau du sol. Que l’organisation spatiale de l’Institut eût une fonction autant pratique que symbolique, était notamment figuré par l’emplacement du cabinet du directeur. Pour y accéder, les visiteurs devaient d’abord monter un escalier monumental qui n’avait pas deux marches de la même taille, officieusement connu sous le nom de Chemin de Dieu, puis passer par un labyrinthe de pierre verte, ce qui avait pour effet d’estomper leur sens de l’échelle et de l’orientation.
Dans l’entretien avec l’auteur de l’article, le décorateur en chef du projet, Denis Shibanov, explique que ces éléments architecturaux ont été conçus spécifiquement pour que les visiteurs du directeur « se sentent insignifiants » : « Le voilà, » commente Shibanov, « si fier et content… et j’ai pensé qu’il fallait le dépouiller de son arrogance, le faire s’interroger sur son identité […]. Il est passé par le bureau du directeur et s’est complètement épuisé en chemin »31. En d’autres mots, cet environnement architectural – dont l’escalier et le labyrinthe – exerçait littéralement une violence physique et psychologique sur l’individu. Cet exemple illustre bien le fait que l’Institut n’était pas qu’un décor de film, il était également un agent actif intervenant directement dans la vie des participants.
S’étendant sur une superficie de 8 700 mètres carrés (150 mètres par 58), l’Institut est décrit sur le site officiel de DAU comme « le plus grand plateau de tournage dans l’histoire du cinéma européen »32 (ce qui n’est pas tout à fait vrai, puisque la Cité du cinéma à Rome – le célèbre studio Cinecittà – compte 400 000 mètres carrés). À la suite de l’achèvement des travaux de construction en 2009, Khrjanovski a procédé à la mise en scène d’une expérience cinématographique immersive qui a duré près de deux ans. Le cinéaste n’a engagé aucun acteur professionnel33, a renoncé au scénario initialement conçu par l’écrivain postmoderne russe Vladimir Sorokine, ainsi qu’aux répétitions et aux prises multiples. À la place, Khrjanovski a invité des volontaires du monde entier à passer des semaines, voire des mois dans l’univers pseudosoviétique qu’il a (re)créé sur son plateau de tournage. L’équipe de plus de 400 acteurs principaux et de 10 000 figurants comprenait à la fois des gens ordinaires et des artistes contemporains célèbres comme Marina Abramović et Carsten Höller, les directeurs d’opéra et de théâtre Peter Sellars et Romeo Castellucci, le chef d’orchestre Teodor Currentzis, le prix Nobel de physique David Gross, ainsi que de nombreux scientifiques éminents, dont Carlo Rovelli, Andrey Losev, Dmitry Kaledin, pour n’en citer que quelques-uns. Situé au croisement de la science et de la religion, l’Institut accueillait également des figures spirituelles de confessions diverses, dont le rabbin Adin Steinsaltz, l’hégémon russe-orthodoxe Daniil, le sage péruvien Guillermo Arévalo et le chaman sibérien Viacheslav Cheltuev.
Les limites entre la science et la spéculation étaient encore plus floues. Par exemple, un accumulateur de l’énergie de l’orgone – une pyramide à taille humaine – a été construit par les scientifiques de l’Institut sur la base des croquis de l’ésotériste et astrologue français Luc Bigé, produits lors de son séjour à l’Institut. Popularisée en Amérique du Nord au milieu du XXe siècle par Wilhelm Reich – un étudiant et disciple de Sigmund Freud –, la théorie de l’énergie de l’orgone est actuellement considérée comme pseudo-scientifique par la communauté académique. Néanmoins, au sein de l’Institut, ce n’était pas le cas et les pyramides de Bigé faisaient l’objet de maintes expérimentations.
« Le monde de la science a ses tabous, dont les scientifiques – les vrais scientifiques – ne sont pas toujours prêts à discuter publiquement de peur d’être pris pour des fous » – dit Khrjanovski. « Mais dans la réalité créée sur un plateau de tournage, une personne peut se permettre plus de sincérité. Et lorsqu’un scientifique donne une conférence [à l’Institut], par exemple, il peut exprimer de telles hypothèses, et de telles théories, qui, dans la vie réelle, pourraient lui coûter sa carrière. Et cette possibilité a séduit de nombreuses personnes »34.
Alors, malgré l’atmosphère hostile de l’époque totalitaire qui fut intégrale à l’expérience de l’Institut, ce dernier possédait manifestement un certain charme. Tout au long du projet, son air de mystère attirait des artistes et des intellectuels du monde entier et devint leur sanctuaire, un espace réservé à leurs exploits créatifs et scientifiques, libéré des conventions sociales. Cette ambivalence entre discours utopique et dystopique se manifestait également au niveau stylistique. L’architecture de l’Institut représentait un mélange de formes néoclassiques (telles les colonnes et les portiques) et constructivistes (telles les façades anguleuses et géométriques), de sobriété solennelle des projets totalitaires de la première moitié du XXe siècle et des décors kitsch, ludiques et carnavalesques35. Le cadre bâti de DAU constituait ainsi un pastiche qui rappelle plutôt les œuvres des architectes postmodernes comme Ricardo Bofill ou Michael Graves, que le grand style stalinien (bolshoi stil’) au sens propre.
Immergés dans le monde de DAU, les participants vivaient effectivement la vie quotidienne de leurs personnages : de vraies serveuses travaillaient en tant que tel au restaurant de l’Institut, de vrais ex-officiers du KGB surveillaient l’Institut et ses résidents, de vrais journalistes publiaient un journal d’actualité. Enfin, des scientifiques menaient des recherches réelles dans les laboratoires d’un institut fictif qui, dans l’esprit très méta-référentiel de Synecdoche, New York (2008) de Charlie Kaufman, fonctionnait comme un laboratoire géant avec des centaines de sujets participants.
En même temps, vêtus de costumes historiques et entourés d’objets de l’époque, les résidents de l’Institut ont été invités à renoncer à tout lien avec la réalité contemporaine. Ils devaient laisser derrière eux leurs appareils électroniques et objets privés, mais aussi éviter les sujets de discussion et les références culturelles qui ne correspondaient pas à la chronologie fictive de DAU. Puisqu’il n’y avait pas de scénario et que tous les dialogues étaient spontanés, les résidents de l’Institut étaient munis d’un livret de règles linguistiques et appelés à les respecter en tout temps. Par exemple, en parlant de leur vie en dehors de l’Institut, si les habitants voulaient évoquer une soirée « en boîte de nuit », ils devaient plutôt utiliser l’expression « en soirée de danse » ; Internet et Google avaient des désignations alternatives, dont le journal soviétique Pravda, etc. Pour plusieurs mots modernes, il y avait également un substitut.
Afin de traduire l’expérience vécue de DAU dans le langage cinématographique, Khrjanovski a invité un célèbre cinéaste allemand, Jürgen Jürges. La pellicule 35 mm a été utilisée pour filmer les 700 heures d’images car, comme l’explique Jürges, « c’est ce qui se rapproche le plus de la façon dont les films étaient réalisés à l’époque »36. En 2011, la production s’est achevée par une destruction rituelle du plateau de DAU et une grande rave party sur ses ruines.
Pour la postproduction, qui a pris sept ans, Khrjanovski et son équipe se sont installés à Londres, dans un immeuble victorien situé au 100 Piccadilly, le transformant en ambassade de DAU en Grande-Bretagne. Identifié par un drapeau sans symboles ni couleurs, le bâtiment était gardé par des agents de sécurité en uniformes d’époque.
En accord avec la méthode développée lors du tournage, sans scénario ni réalisateur, la postproduction n’avait pas de plan préétabli non plus. Khrjanovski a fait appel à plusieurs artistes, chacun ayant sa propre vision et la mission de réaliser ses propres films à partir des rushes tournés pendant les presque deux ans de fonctionnement de l’Institut. Bien que Khrjanovski nie avoir été influencé par Andreï Tarkovski (1932-1986), on ne peut s’empêcher de remarquer des parallèles entre cette approche de la postproduction et celle décrite par Tarkovski dans son célèbre essai Le Temps scellé (Vremiya Zapechatlennoe, 1967), que Khrjanovski aurait lu pendant ses années au VGIK :
Voici un exemple de travail sur un film qui me semble idéal. L’auteur prend des millions de mètres de pellicule sur lesquels, par exemple, la vie d’un homme de la naissance à la mort est retracée […]. Il est également intéressant d’imaginer que ces millions de mètres de pellicule soient confiés à plusieurs réalisateurs et que chacun d’entre eux réalise un film différent – combien l’un sera différent de l’autre !
Les 12 films du projet DAU sortis jusqu’à présent ont été réalisés par trois personnes différentes – la maquilleuse Allemande d’origine soviétique Jekaterina Oertel, le metteur en scène russe Aleksey Slusarchuk ainsi que l’artiste multimédia russe Ilia Permyakov, qui est également un universitaire indépendant titulaire d’un doctorat en philosophie. Bien que DAU soit légalement l’œuvre d’Ilia Khrjanovski, qui en reste le réalisateur principal, les co-réalisateurs ont bénéficié d’une grande autonomie lors de l’étape de la postproduction, travaillant ensemble, mais aussi séparément en petites équipes, en compétition les unes avec les autres. Une cinquantaine d’employés plongés dans l’univers spatial et temporel parallèle du projet dans un immeuble transformé en une ambassade de DAU à Londres y travaillaient sur le montage, le mixage audio, la conformation et l’étalonnage, formant ainsi ce que Permyakov a qualifié de « crypto-commune »37. Comme il le rappelle :
Khrjanovski ne me disait jamais qu’il voudrait que le travail se développe d’une certaine manière. Cette liberté vraiment hors du commun était l’un de ses principes. […] Il commentait attentivement le processus de montage et s’impliquait beaucoup à la phase de la postproduction. Mais il ne m’aurait jamais demandé de s’emparer d’un personnage, par exemple. Il n’a jamais imposé son point de vue.38
À présent, DAU demeure « un projet en cours »32. La création d’une plateforme numérique innovante, DAU Digital, rassemblant 700 heures de séquences, 8 000 heures de dialogues, 500 000 photographies de plateau et des métadonnées descriptives détaillées, a été annoncée en 2019 sans mention d’une date de sortie précise39. Comme nous allons le voir ci-dessous, une démo de DAU Digital fut présentée pour la première fois en février 2019, lors de la première mondiale de DAU à Paris.
Hétérotopie DAU
Comme le donne à voir ce bref aperçu de DAU, cette œuvre multidisciplinaire échappe aux définitions communes et exige une approche originale. Dans la section suivante, nous offrons une analyse foucaldienne du projet de Khrjanovski, centrée sur la notion de l’hétérotopie, et démontrons comment ce modèle théorique permet de saisir la nature hybride, fragmentée et oscillante de l’expérience phénoménologique particulière que constitue DAU.
Il convient d’abord de préciser comment l’Institut répondait aux six principes de l’hétérotopologie, et constituait ainsi une hétérotopie. Tout d’abord, l’accès au site était réservé à l’équipe de tournage et aux participants du projet (5) ; l’Institut avait une durée de vie limitée, et a été détruit après la fin du tournage (2) ; il avait « une fonction par rapport à l’espace restant », celle d’un plateau de production post-cinématique (6). De plus, l’Institut était habité par « les individus dont le comportement est déviant par rapport à la moyenne ou la norme exigée » (1), à savoir les scientifiques et artistes distingués. Ensemble, avec les autres participants du projet, ils furent absorbés dans la dimension temporelle parallèle de DAU (4).
Le troisième principe d’hétérotopologie foucaldienne est particulièrement important pour notre analyse de DAU et mérite donc une discussion plus approfondie. Selon ce principe, les hétérotopies juxtaposent « en un seul lieu réel plusieurs espaces, plusieurs emplacements qui sont en eux-mêmes incompatibles »40. Les hétérotopies effacent la frontière entre « l’espace privé et l’espace public, entre l’espace de la famille et l’espace social, entre l’espace culturel et l’espace utile, entre l’espace de loisirs et l’espace de travail »41 ; les confondent en un seul espace d’altérité aux attributs qui lui sont propres. Le langage utilisé par Foucault pour décrire les hétérotopies – « espaces juxtaposés », « emplacements contradictoires » – indique clairement qu’il existe une certaine tension entre ses constituants, une tension qui est maintenue dans et par le biais d’hétérotopies. Comme le souligne le philosophe Valeri Podoroga, cette tension est essentielle dans la réflexion foucaldienne, car « les espaces hétérotopiques sont des espaces de juxtaposition des éléments incompatibles […] et ces espaces sont justement formés de ces juxtapositions »42.
L’hétérogénéité des espaces hétérotopiques peut être illustrée par le concept de la perception dite « multistable ». Issue du gestaltisme, la perception multistable se définit comme « l’alternance spontanée entre deux ou plusieurs états perceptifs qui se produit lorsque l’information sensorielle est ambiguë »43. Cette même logique multistable régit le fonctionnement de DAU : l’univers fictif d’une œuvre du cinéma se heurte à la réalité quotidienne des résidents de l’Institut pour qui ce dernier n’est pas tant un décor de film ou une localité imaginaire, mais un lieu de résidence et d’activité professionnelle – dans les mots de Foucault, « un espace utile ». L’espace privé et l’espace public s’entremêlent également à l’Institut, car les deux sont exposés à la caméra dans la même mesure. Comme le décrit la brochure officielle du projet, « [l]ibérées des contraintes du scénario et de la logique temporelle, les conditions sans précédent dans lesquelles DAU a été filmé ont donné naissance à un nouveau type de réalité – tout aussi valable, saisissante, complexe »44.
La coexistence de ce nouveau type de réalité avec de la fiction cinématographique n’est possible qu’au sein d’une hétérotopie, de l’espace autre. Comme nous allons le voir ci-dessous, ce principe caractérise la démarche artistique de Khrjanovski que nous appellerons la cinématographie hétérotopique.
Cinématographie hétérotopique / Hétérotopie de réalisation
Lorsque les caméras étaient éteintes, ce qui était souvent le cas, l’Institut opérait comme un espace de vie et de travail pour des centaines de personnes. Le bureau de presse continuait à rédiger des articles, les jeunes membres du Komsomol s’adonnaient à l’entraînement physique et les scientifiques poursuivaient leurs recherches dans les laboratoires de l’Institut. Cette capacité de l’Institut d’accommoder la vie quotidienne authentique et spontanée des participants le distingue du plateau de tournage conventionnel. En même temps, cette vie quotidienne est délibérément encadrée par une cinématographie plutôt conventionnelle – l’architecture fantastique des décors, le maquillage et les costumes d’époque, la présence des grandes caméras argentiques, etc. –, ce qui distingue manifestement cette démarche artistique de la téléréalité (des émissions telles que Big Brother qui sont parfois évoquées dans les discussions sur DAU45). C’est justement le caractère hétérotopique de l’Institut qui lui permet d’imbriquer des modes d’être concurrents, à savoir la vie quotidienne et la représentation artistique, et de maintenir l’ambivalence phénoménologique entre les deux.
Et c’est justement la poursuite de cette ambivalence qui nous empêche de considérer DAU comme une reconstitution historique (historical re-enactment), puisque cette dernière, comme le terme l’implique, présuppose un événement historique connu, un récit ou une action achevée reproductible. Depuis La Saisie du Palais d’Hiver de Mikhaïl Yevreinov (1920) (qui, comme le note Slavoj Žižek46, a effectivement été une reconstitution historique), cette forme artistique trouve son expression dans le cinéma et l’art expérimental contemporains. La susmentionnée La Commune (Paris, 1871) de Peter Watkins (2000) ou l’œuvre d’art participative The Battle of Orgreave de Jeremy Deller (2001) en sont des exemples. Il est important de noter que Yevreinov, Watkins et Deller, comme les participants de leurs projets, connaissaient à l’avance le déroulement et la conclusion des événements historiques qu’ils reproduisaient, ce qui imposait nécessairement des limites à la spontanéité de la reconstitution.
Dans DAU, malgré certaines allusions à la biographie de Landau, la spontanéité de la vie quotidienne était assurée par l’absence d’intrigue ainsi que par la méconnaissance des échéanciers et des objectifs du projet par ses participants, de même que par l’équipe de tournage, y compris par le réalisateur lui-même.
Comme le soulignent de nombreux témoignages des participants, personne ne savait vraiment quand et comment le tournage allait se terminer47. La destruction de l’Institut, en revanche, a bien eu lieu. Il s’agit d’un événement crucial dans l’univers de DAU, qui d’une part a mis fin au tournage, et de l’autre a définitivement sorti le projet du scénario historique. Après tout, comme le souligne à juste titre Mark Lipovetsky dans une conférence sur DAU48, l’eschatologie du projet soviétique est complètement différente du celle du microsome du Khrjanovski, car en réalité, il n’y a pas eu de pogrom sanglant, et tout s’est terminé de manière plutôt pacifique.
Khrjanovski accentue l’importance de cette spontanéité en déclarant que « le processus est plus important que le résultat »49. Pendant les huit ans qui se sont écoulés entre la destruction de l’Institut (2011) et la première de DAU à Paris (2019), cette fixation sur le processus alimentait des rumeurs selon lesquelles le film ne verrait jamais le jour. D’ailleurs, cette démarche créative fut également à la source de l’immense surproduction cinématographique qui compte 700 heures d’actualités, 4000 heures de dialogues et 257 volumes de textes. Le temps saisi dans DAU est donc excessif ou, comme le philosophe et historien de l’art Boris Groys l’appelle dans sa discussion sur l’art processuel, le temps est « dépensé improductivement », une expression empruntée à Georges Bataille. Selon Groys :
L’art processuel thématise ce temps improductif parce qu’il saisit et met en évidence des activités qui se déroulent dans le temps, mais qui n’aboutissent à la création d’aucun produit particulier. Et même si cette activité conduisait à la création d’un produit final, elle serait présentée comme étant séparée de son résultat, comme n’étant pas entièrement investie dans le produit, et pas entièrement absorbée par lui.50
Si l’on applique ce cadre conceptuel à DAU, la création d’un produit fini – c’est-à-dire d’un film ou de plusieurs films – ne serait pas l’objectif ultime du projet, car c’est l’expérience conviviale partagée par les participants dans l’espace hétérotopique de l’Institut, à mi-chemin entre présence et représentation, « pas entièrement investie […] et pas entièrement absorbée » par la cinématographie, qui est l’objet d’investigation autant pour le cinéaste que pour l’auteur du présent article.
Pour maintenir cet état fragile d’ambivalence, la frontière entre ceux qui étaient devant la caméra et ceux qui étaient derrière n’était pas clairement tracée, et certains membres de l’équipe de tournage se trouvaient parfois devant l’objectif de la caméra. Par exemple, Jekaterina Oertel – la maquilleuse du tournage à l’Institut et monteuse de plusieurs films DAU – « jouait » également le rôle de l’épouse du directeur de l’Institut. Pour ne pas attirer l’attention des résidents et pour mieux s’y intégrer, l’équipe technique portait également des costumes de l’époque (figure 5). Pendant le tournage, elle avait accès à n’importe quelle partie de l’Institut et pouvait commencer à filmer ses habitants à tout moment. Se déplaçant discrètement d’un endroit à un autre, la caméra tentait de saisir autant leurs activités les plus mondaines que les moments uniques de drame ou de crise.
Selon Jürgen Jürges, le premier jour, Khrjanovski lui avait fourni les directives suivantes : « Entrer, observer, attendre, et quand ça devient intéressant, commencer à filmer. […] C’était vraiment très intuitif »51. Cette approche de la réalisation cinématographique rappelle le principe de la « vie prise au dépourvu » (zhizn’ vrasplokh), une méthode de tournage conçue par le cinéaste et théoricien du cinéma soviétique Dziga Vertov (1896-1954). Soulignant le fait que « les gens doivent continuer à se comporter devant la caméra comme ils le font dans la vie de tous les jours », Vertov a décrit sa méthode de travail avec les événements pro-filmiques comme celle qui assure l’authenticité ontologique de ses films et minimise le rôle de la performance52.
Depuis que les formalistes russes ont initié « le premier débat sophistiqué sur la forme et la méthode appropriées de réalisation de films documentaires »53, la poursuite de la véracité hante l’histoire du cinéma : du néo-réalisme italien de l’après-guerre au cinéma-vérité et au cinéma direct des années 1960, des films expérimentaux de John Cassavetes et d’Andy Warhol, au – dans une certaine mesure – Dogme 95 des années 1990. En revanche, ce qui distingue le projet de Khrjanovski, c’est la poursuite de la véracité depuis une hétérotopie de réalisation – un espace « à la fois mythique et réel »7. Si, traditionnellement, le film factuel (film documentaire, film d’actualité, etc.) cherche principalement à restituer les apparences de la réalité tandis que la fiction (film narratif, film d’art) soumet l’histoire et les personnages à la dramaturgie, le cinéma hétérotopique combine les deux genres : il documente les événements et les êtres humains réels à partir d’un monde imaginaire. La cinématographie hétérotopique peut donc être définie comme la réalisation de films factuels dans un univers fictif.
Visionnement hétérotopique / Hétérotopie de réception
Après avoir défini le concept de cinématographie hétérotopique, nous allons maintenant passer à la discussion du « visionnement hétérotopique », de l’expansion transmédiatique de DAU et du rôle des conditions de réception dans l’expérience que le public fait de l’œuvre de Khrjanovski. Depuis la publication en 1935 de l’essai fondateur de Walter Benjamin L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, les nouvelles technologies des médias ont été associées à l’émergence de nouvelles façons d’appréhender la réalité physique. Ainsi, pour illustrer les paramètres de perception spécifiques au cinéma hétérotopique, nous allons passer par l’analogie du dispositif stéréoscopique.
Le stéréoscope mobilise la vision binoculaire pour créer l’illusion d’une image tridimensionnelle à partir de deux images bidimensionnelles. Le théoricien des médias Jonathan Crary décrit la vision stéréoscopique comme « une opération de réconciliation de la disparité » qui « fait de deux vues distinctes une seule »54. De la même manière, l’hétérotopie de réalisation de Khrjanovski se situait au point d’intersection virtuel entre la cinématographie de DAU et la vie réelle des habitants de l’Institut. Comme une caméra stéréoscopique qui filme deux vues de la même scène simultanément, la méthode de réalisation hétérotopique de Khrjanovski a permis de saisir à la fois les aspects fictionnel et factuel de DAU, soit celui du biopic/drame historique, et l’expérience vécue des résidents de l’Institut.
Comme l’effet stéréoscopique requiert une vision binoculaire pour que les deux axes optiques entrecroisés produisent une image tridimensionnelle, une œuvre de cinématographie hétérotopique n’est possible que dans les conditions de visionnement hétérotopiques, c’est-à-dire de l’intérieur d’une hétérotopie de réception, elle-même située à la jonction des spatialités différentes. En d’autres termes, tout comme un couple d’images stéréoscopiques peut être observé sans aucun appareil spécialisé, un film hétérotopique peut être visionné dans des conditions de réception ordinaires ou non-hétérotopiques. Dans les deux cas, cependant, l’illusion de profondeur sera perdue.
Mais cette analogie n’est bien évidemment pas à prendre à la lettre. Alors que les images stéréoscopiques ne créent qu’une illusion purement optique, l’effet d’immersion produit par les hétérotopies de réception est polyvalent et multisensoriel55. Il se produit seulement lorsque les conditions spatio-temporelles de perception (figure 6, point 2) sont modifiées de manière à mettre en évidence les aspects hétérotopiques de la réalisation (figure 6, point 1).
En ce sens, la relation entre le spectateur et le cinéma hétérotopique est fondamentalement mimétique – un échange entre deux sensibilités spatiales. Au lieu de contempler le cinéma à travers un cadre ou une fenêtre (figure 6, cinéma ordinaire), le spectateur partage l’espace cinématique et y performe dialogiquement (figure 6, cinéma hétérotopique). La section qui suit décrit une expérience de réception hétérotopique modèle qui a été créée pour la première internationale de DAU à Paris.
Première mondiale de DAU à Paris. Exemple de réception hétérotopique
La première mondiale de DAU, qui a eu lieu du 24 janvier au 17 février 2019 à Paris, au Théâtre du Châtelet, au Théâtre de la Ville et au Centre Pompidou, met en évidence à quel point le projet de Khrjanovski contribue à l’expansion transmédiatique du cinéma contemporain et à quel point la sensibilité spatiale est importante dans ce processus. Pour prendre part à cette expérience culturelle, les visiteurs devaient se procurer soit un « visa d’entrée unique » pour six heures ou vingt-quatre heures, ou bien un « titre de long séjour », permettant l’accès illimité aux salles de projection. Dans ces deux derniers cas, chaque visiteur devait compléter un questionnaire qui déterminait son profil psychométrique unique à l’aide d’un algorithme, permettant de personnaliser son voyage (promesse qui n’a finalement pas été tenue pour des raisons techniques) à travers l’univers DAU et d’assurer une immersion plus complète.
Ce voyage n’était pas limité au visionnement des longs métrages mettant en scène la vie à l’Institut, mais comprenait également le parcours des installations multimédias en mutation constante, la participation aux performances artistiques expérimentales, l’entrée aux colloques scientifiques, les rencontres avec des sages et des psychologues, et bien plus. Comme l’a d’ailleurs remarqué l’historienne du cinéma Eugénie Zvonkine56, certaines prestations qui attendaient le public dans les halls du Théâtre du Châtelet et du Théâtre de la Ville témoignent clairement de l’intérêt que les organisateurs avaient pour les théories du post-cinéma et de la condition post-médiatique. L’une des conférences a été donnée par José Moure et Dominique Chateau, les directeurs de publication du récent ouvrage Post-Cinema: Cinema in the Post-Art Era (2020). Le musicien et réalisateur britannique Brian Eno a présenté des heures de musique en direct – une performance qui intègre DAU dans l’histoire de l’expanded cinema, car elle rappelle l’un de ses exemples les plus marquants, l’œuvre de Malcolm Le Grice Berlin Horse (1970), qui a été accompagné par une bande sonore du même compositeur.
Cet environnement confus, surchargé, fantasmagorique a été conçu de manière à désorienter le public, à perturber sa notion du temps, à l’arracher à sa vie quotidienne. Pour la même raison, et tout comme les habitants de l’Institut lors du tournage, les détenteurs d’un visa étaient invités à laisser leurs appareils électroniques à l’entrée, dans les casiers prévus à cette fin, puis ils étaient fouillés pour s’assurer que ce règlement était respecté. L’obligation de se débarrasser des appareils électroniques et une fouille par les agents de sécurité opéraient comme un rite préparatoire évoquant un des principes d’hétérotopologie foucaldienne.
Tout comme les habitants de l’Institut, les visiteurs furent plongés dans l’univers pseudo-stalinien cette fois-ci recréé au Théâtre du Châtelet, où les bureaux furent transformés en un étrange parcours dans des intérieurs soviétiques, habités de mannequins en silicone hyperréalistes. Ces installations immersives, que certains critiques français ont qualifiées d’« au mieux une copie des Kabakov »57, évoquent effectivement les œuvres du célèbre artiste conceptuel russe que Khrjanovski connaissait personnellement depuis l’enfance58. Ce qui rend la discussion de l’influence de Kabakov sur Khrjanovski particulièrement pertinente pour notre analyse est l’approche de Kabakov de la perception et la transcription de la spatialité. En parlant de ses installations, l’artiste note que « si, en Occident, un ‘objet’ est exposé comme protagoniste et l’espace n’existe pas du tout, ‘nous’ [les artistes postsoviétiques] devrions peut-être, au contraire, exposer ‘l’espace’ et y placer des objets »59.
En appliquant la même logique à la première parisienne de DAU, il est possible de conclure que ce ne sont pas les films qui se présentent en protagonistes, mais l’espace lui-même, ce qui permet un échange entre deux sensibilités spatiales distinctes – celle de l’Institut (hétérotopie de production) et celle de l’installation multimédia parisienne, transformant cette dernière en une véritable hétérotopie de réception.
La première parisienne constituait également un terrain d’essai pour DAU Digital, une plateforme numérique décrite par Khrjanovski comme un espace virtuel animé par une intelligence artificielle51. À partir de cabines spéciales munies des postes d’ordinateur, les visiteurs pouvaient accéder aux centaines d’heures de rushes et y ajouter les leurs. L’expérience anti-narrative, interactive et connectée de l’univers DAU ainsi créée émancipe davantage le projet du médium cinématographique. Ayant choisi un épisode à visionner, le visiteur ne pouvait pas, cependant, rembobiner ; tout comme dans la vraie vie, il devait soit y assister du début à la fin, soit simplement aller ailleurs. Dans l’esprit du database cinema, chaque épisode fut inventorié à l’aide de mots-clés, du nom des personnages impliqués, de la date et de l’emplacement spécifique de l’action.
Grâce à l’introduction de DAU Digital dans le visionnement, la première parisienne comportait des caractéristiques temporelles des deux types évoqués par Foucault dans sa description du quatrième principe d’hétérotopologie : d’une part, en tant qu’exemple de database cinema, celles des « hétérochronies liées à l’accumulation du temps », comme les musées et les bibliothèques ; les endroits où « le temps s’amoncèle et se juche » ; et de l’autre, en tant que lieu de loisir carnavalesque et passager, des « hétérotopies qui sont liées, au contraire, au temps dans ce qu’il y a de plus futile, de plus passager, de plus précaire, et cela sur le mode de la fête »60. En même temps, la programmation continue sur vingt-quatre heures des longs métrages contribuait à l’immersion dans l’univers DAU. Dans la discussion sur les aspects hétérotopiques des salles de projection, l’historienne culturelle anglaise Annette Kuhn souligne l’importance du visionnement ininterrompu des films : « La programmation continue favorise un rapport à l’organisation de la narration et du temps narratif des films de fiction long-métrage qui va à l’encontre de la linéarité qui caractérise le temps de l’horloge »61.
Une analyse de l’expérience parisienne démontre à quel point l’effet d’immersion produit par les hétérotopies de réception est polyvalent et multisensoriel. Il permet également de répertorier les stratégies formelles qui ont pour but de modifier les conditions spatio-temporelles de perception et met en évidence les aspects hétérotopiques de la réalisation.
Conclusion
En conclusion, il est important de souligner que l’approche adoptée par Khrjanovski à la première de son magnum opus à Paris n’est pas un cas ponctuel, mais une caractéristique fondamentale de sa démarche artistique. Comme nous l’avons démontré dans le présent article, l’Institut, créé en 2009 à Kharkiv pour filmer DAU, représentait une véritable hétérotopie de réalisation. La postproduction qui a eu lieu à l’embrassade DAU à Londres reproduisait les mêmes pratiques et a été organisée conformément aux principes d’hétérotopologie. Finalement, la première mondiale de DAU a offert au public parisien une expérience de visionnement hétérotopique.
En effet, Khrjanovski avait initialement prévu de créer des hétérotopies de réception similaires à Berlin et à Londres. En 2018, il avait planifié de reconstruire une partie du mur de Berlin au centre de la ville, isolant un bloc entier du boulevard Unter den Linden pour la projection immersive de DAU. Malgré l’accord du Ministre de la Culture allemand, le projet n’a pas été approuvé par les autorités locales pour des raisons de sécurité, et la pandémie de Covid-19 qui a frappé l’Europe en 2020 a remis en question toute possibilité d’expérience publique similaire dans un proche avenir.
L’expansion transmédiatique du projet sera néanmoins facilitée par la parution de la plateforme numérique DAU Digital (reportée à 2023). Annoncé comme un « espace virtuel immersif »62, DAU Digital prévoit de mettre en place une expérience de réception spatialisée de divers contenus multimédias (vidéos, photos, textes) en rapport avec la vie à l’Institut. En naviguant dans sa maquette numérique, l’utilisateur pourra « participer » à la vie de ses habitants et entrer en contact avec les autres utilisateurs de la plateforme. Cette expérience interactive aura donc lieu dans un espace virtuel d’altérité – une hétérotopie numérique de réception. Le cadre théorique élaboré dans le présent article pour l’analyse des œuvres post-cinématiques – le modèle du cinéma hétérotopique – pourra alors être employé pour en saisir les caractéristiques et la portée. En même temps, ce modèle a bien évidemment ses limites. En se concentrant exclusivement sur les conditions de la production et de la réception, le contenu des images tournées, leurs qualités esthétiques et leurs caractéristiques stylistiques ne sont pas considérées dans notre analyse. Néanmoins, cette approche axée sur « les nouvelles conditions de visionnement et des nouvelles façons dont les films s’adressent à leurs spectateurs »63 met en avant la dimension spatiale dans le post-cinéma, permet de questionner la place centrale de la vision dans les théories du film et suggère la conception multisensorielle de l’expérience post-cinématique.
Alexandre Zaezjev
Alexandre Zaezjev est doctorant à l’Université de Genève (Suisse). Il analyse la logique culturelle des sociétés postsoviétiques sous l’angle de la théorie postmoderne, prêtant une attention particulière aux nouveaux médias et à l’art contemporain en Russie et en Ukraine. Sa recherche actuelle porte sur le projet DAU (2005 – en cours) d’Ilya Khrzhanovsky, et le rôle des discours utopiques et dystopiques dans la réflexion de l’auteur sur le passé soviétique. Diplômé du programme collégial en arts visuels et numériques, il est également un artiste multidisciplinaire indépendant, se spécialisant dans le domaine de conception graphique.
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- Pour une discussion plus élaborée des termes qui ont rapport à l’espace cinématique, voir l’ouvrage séminal d’André Gardiès, L’espace au cinéma, op. cit.
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- Ce qui définit ces projets, c’est le rôle fondamental que l’espace hétérotopique joue pendant leur production. La Factory d’Andy Warhol à New York et la vieille usine abandonnée à Montreuil de Watkins (gracieusement fournie par Armand Gatti) ont servi de machines de production d’altérité phénoménologique permettant aux participants de ces projets respectifs d’avoir simultanément une expérience de la réalité artistique et de la vie ordinaire. Comme le note Michelle Lannuzel dans son article sur l’œuvre de Watkins : « C’est une œuvre inclassable : un documentaire nourri de longs mois de préparation et de documentation avec des historiens ; une fiction, dans laquelle les comédiens inventent leur personnage ; et surtout la création d’un univers qui rassemble en un même espace-temps passé et présent ». Michelle Lannuzel, « Peter Watkins, La Commune (Paris, 1871), 2000-2007 », Raison présente,n° 165, 2008, pp. 115-116.
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- Ibid.
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- Pour un résumé des six principes d’hétérotopologie élaborés par Michel Foucault, veuillez consulter la première section du présent article. Ci-après, chaque principe sera désigné par son numéro correspondant.
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- Pour une analyse architecturale plus détaillée de DAU, voir Makarova, op. cit.
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- Pour une discussion plus détaillée de la phénoménologie existentielle du cinéma, voir l’ouvrage de Vivian Sobchack, The Address of the Eye: A Phenomenology of Film Experience (1991). S’appuyant sur l’approche du philosophe français Maurice Merleau-Ponty, l’auteure critique la place centrale de la vision dans les théories du film et suggère la conception multisensorielle du visionnement.
- Eugénie Zvonkine, « Per aspera ad astra, or Through Postcinema Toward Cinema. The Reverse Journey of Ilya Khrzhanovsky’s DAU », dans Dominique Chateau and José Moure (dir.), Post-cinema Cinema in the Post-art Era, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2020, p. 314.
- Guy Boyer, « DAU d’Ilya Khrzhanovsky, au mieux une copie des Kabakov », Connaissance des Arts, 2019. URL : https://www.connaissancedesarts.com/musees/centre-pompidou/DAU-dilya-khrzhanovsky-au-mieux-une-copie-des-kabakov-11113986/, consulté le 27.10.2021.
- Ilya Kabakov était un ami de la famille des Khrjanovski. Voir Sasha Sulim, « Sovetskij zapah eshhe ne vyvetrilsja. My po-prezhnemu ego istochaem» Rezhisser Il’ja Hrzhanovskij — o sem’e, 15 schastlivyh godah s “DAU” i muzee “Babij Jar”. Bol’shoe interv’ju », Meduza, 2020. URL : https://meduza.io/feature/2020/05/18/sovetskiy-zapah-esche-ne-vyvetrilsya-my-po-prezhnemu-ego-istochaem, consulté le 20.02.2021.
- Milena Orlova, « Shest’ tezisov Il’i Kabakova », The Art Newspaper Russia, n° 62, 2018, p. 44. URL : https://www.theartnewspaper.ru/posts/5590/, consulté le 27.10.2020.
- Michel Foucault, « Des espaces autres », op. cit., p. 16.
- Annette Kuhn, « Heterotopia, Heterochronia: Place and Time in Cinema Memory », op. cit., p. 110.
- Phenomen Films « Bande-annonce DAU Digital », 2020. URL : https://vimeo.com/347418644, consulté le 25.11.2020.
- Shane Denson et Julia Leyda, « Perspectives on Post-Cinema: An Introduction », op. cit., p. 4.