La Clef contre la spéculation immobilière : entretien avec deux membres du collectif

La Clef est un cinéma associatif d’art et essai inauguré au 34 rue Daubenton dans le 5e arrondissement de Paris au début des années 1970. Résistant à la pression du marché immobilier qui n’a cessé de s’accroître sur les lieux indépendants à mesure que le prix du mètre carré parisien augmentait, ce cinéma est peu à peu devenu l’un des derniers espaces alternatifs dédiés au cinéma subsistant intra muros. Toutefois, après plus de 40 ans d’activité, le conseil social et économique de la Caisse d’épargne Île-de-France (CSECEIDF), propriétaire des murs depuis 1981, décide de se séparer de ce bien dont la situation et la superficie étaient de nature à dégager une conséquente plus-value immobilière. Face au risque de voir La Clef disparaître, d’ancien·nes salarié·es et habitué·es se constituent en collectif appelé La Clef Revival pour occuper le cinéma et formuler un projet de reprise capable d’extraire le lieu du marché immobilier spéculatif. S’érigeant contre la promesse de rachat par le Groupe SOS, entreprise du secteur dit « social et solidaire » soupçonné de vouloir spéculer sur les actions menées par le La Clef Revival en même temps que sur le cinéma lui-même, les membres du collectif imaginent une structure juridique inédite pour un lieu culturel, inspirée de luttes anticapitalistes menées dans les Zones à Défendre ou dans le champ du droit au logement.

Introduction

Ce numéro ambitionne de documenter les moyens par lesquels les flux financiers affectent le monde physique et social via la production d’images, et comment, réciproquement, d’autres images, et notamment des images filmiques, cristallisent le flux financier – pour l’alimenter, pour le figer en figures ou pour en désorganiser, au moins fictivement, les principes. Ces images apparaissent ainsi comme des médiations entre plusieurs ordres : celui, virtuel, de la planète financière et spéculative, celui, matériel, des crises sociales et événements affectant les existences et celui, fictif, des inventions – elles aussi « spéculatives », à leur manière – des concepts et des œuvres visant à rendre sensibles les (dys)fonctionnements opaques du marché financier. En analysant comment la finance s’incarne en fait social, technique, médiatique et figuratif au cinéma et dans les arts de l’image en mouvement, les quinze contributions réunies ici tendent ainsi à interroger la spéculation comme processus de création d’images.

Valeurs de la crise : une lecture du projet d’adaptation du Capital de S. M. Eisenstein

Ce texte est issu pour partie du premier chapitre du livre La danse des valeurs : Sergueï Eisenstein et Le Capital de Marx, publié en anglais en 2019 chez Diaphanes, sous le titre The Danse of Value: Sergei Eisenstein’s Capital Project. Le texte est présenté dans la traduction depuis l’anglais de Marianne Dautrey et de Thomas Vercruysse, accompagné d’une introduction nouvelle par Elena Vogman, et de planches inédites du Journal d’Eisenstein (design graphique par Uliana Bychenkova).

Spéculations. Une aventure de Bouvard & Pécuchet

Après avoir réglé des questions comme celle de la religion celtique ou de la gymnastique, Bouvard et Pécuchet reconnaissent « qu’une base manquait à leurs études : l’économie politique. « Spéculations, une aventure de bouvard & Pécuchet » est le scénario d’un documentaire ethno-fictionnel et théorique qui suit les pérégrinations de Bouvard et Pécuchet au pays des financiers. L’enquête fabulatrice sur le capitalisme financier de Bouvard et Pécuchet étudie les marges. Renouvelant sans cesse leurs hypothèses et leurs méthodologies problématiques pour se tirer d’impasses successives, Bouvard et Pécuchet finissent par inventer une méthode ethno-fictionnelle : à partir du réalisme capitaliste de Mark Fischer qu’ils fictionnalisent, ils donnent naissance au fantastique capitaliste™.

Rendre visible la bulle, révéler l’aveuglement. Stratégies figuratives à l’œuvre dans The Big Short

Sorti en 2015 et réalisé par le cinéaste étasunien Adam McKay, The Big Short met en scène une poignée d’individus qui, plusieurs mois avant la crise des subprimes, ont « vu venir » l’éclatement de la bulle spéculative sur laquelle reposait alors l’essor du marché immobilier du pays. L’essentiel de notre propos consistera à analyser comment The Big Short, grand film sur la finance, se présente également comme une passionnante réflexion sur le regard.

« Incorporez-vous ! » Les jeunes artistes des années 2010 face à l’abstraction financière

Le capitalisme financier pose aux artistes un problème formel : comment se saisir de cette nouvelle donne aussi volatile qu’incompréhensible ? À la stratégie de la visualisation dans les années 2000 succède celle de l’incorporation des années 2010 : des collectifs d’artistes, grandis dans le sillage de la crise économique de 2008 – les « jeunes artistes incorporés » – bricolent leurs variantes micropolitiques du modèle entrepreneurial. Aujourd’hui, cette parenthèse historique met en lumière l’impasse des modèles uniques face à l’abstraction globale : l’opposition frontale est illusoire et dissolution ironique demeure imperceptible.

Ville et imagerie spéculative : Naviguer parmi les flux financiers dans Wall Street : L’Argent ne dort jamais (2010)

Ce texte ambitionne d’ausculter les différentes stratégies figuratives qu’adopte Wall Street : L’Argent ne dort jamais d’Oliver Stone (2010) pour mettre en scène les flux monétaires et établir, par le montage et le recours aux interfaces numériques, une équivalence entre la ville et l’imagerie spéculative du monde de la finance.

Iconomies de l’ombre et algorithmisation des images (ce que le capitalisme numérique fait au visible)

Les infrastructures invisibles ainsi que le travail caché qui permettent la circulation comme l’échange des images numériques sont généralement les deux conditions de possibilité de l’iconomie contemporaine et restent généralement dans l’ombre. Pour les faire affleurer à la surface du visible, ce texte fait dialoguer la pensée d’Aby Warburg et celle de Karl Marx, en particulier là où tous deux tentent d’analyser ce que transporter veut dire. Il s’agit, en somme, de la manutention des images aujourd’hui.

Penser les flux du Capital dans L’Argent (1983) de Robert Bresson et Animal Spirits (2022) d’Hito Steyerl

Cet article cherche à répondre à la question : le capital est-il visible au cinéma ? Associé à une puissance aliénante et aliénée, cette entité invisible parvient à prendre forme à l’écran dans les deux films qui font l’objet de cette analyse : L’Argent (1983) de Robert Bresson et Animal Spirits (2022) d’Hito Steyerl. À travers l’analyse filmique et la critique technologique, nos recherches montrent que le capitalisme audiovisuel produit des aperçus sur son propre flux et sur notre participation à celui-ci. La violence est au cœur de ces échanges entre vues et images ; le capital en est le médium, et son message — le meurtre (Jonathan Beller).

La spéculation financière à partir de la jetonisation de la propriété intellectuelle des œuvres cinématographiques

Cette étude analyse les mécanismes spéculatifs sous-jacents à la jetonisation des droits d’auteur dans l’industrie cinématographique, en se focalisant sur les NFT et leurs modèles économiques hybrides. Elle interroge de manière critique le paradoxe apparent de plateformes comme Ethereum qui, tout en prônant la décentralisation, nouent des alliances avec des acteurs traditionnels, et révèle ainsi les tensions inhérentes à l’hybridation entre la cryptoéconomie et le marché financier du capitalisme informationnel.