Introduction

Guilherme Machado & Ann-Katrin Weber

Les images opérationnelles comme nouvelle catégorie d’images ?

Sur un fond bleu roi, des petits points bleu turquoise, comme des constellations, et des courbes roses, comme une aurore boréale.
Figure 6. Image de Around Is Around par Norman McLaren et Evelyn Lambart, oscilloscopies de Chester E. Beachell, 1951, 35-mm, couleur, son, 3D, 7′. Blu-ray-Screenshot: 3-D Rarities. 3-D Film Archive 2015.

Référence électronique pour citer cet article : Guilherme Machado et Anne-Katrin Weber, « Introduction : Les images opérationnelles comme nouvelle catégorie d’images ? », Images secondes [En ligne], 05 | 2025, mis en ligne le 23 novembre 2025, URL : http://imagessecondes.fr/index.php/2025/11/introduction/

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Depuis une vingtaine d’années, les réflexions sur le pouvoir d’action des images se sont multipliées dans les études sur l’art, la culture visuelle, le cinéma et les médias. Sans constituer une unité de propos théorique ou méthodologique, ces réflexions ont avancé plusieurs notions pour aborder une activité propre aux images : actes d’images, performativité des images, agentivité des images, travail des images. De telles notions relèvent souvent de perspectives distinctes et s’appliquent à des corpus divers, mais elles témoignent également d’un effort commun pour redéfinir le rôle des images au sein de pratiques sociales et institutionnelles, en marquant une prise de distance par rapport aux approches des images comprises comme « représentations » de la réalité, lieux d’une activité exclusivement humaine d’expression et d’interprétation.

Au sein des media et cinema studies, les discussions récentes autour de l’agentivité des images mobilisent fréquemment la notion d’images opérationnelles. Ces discussions tiennent compte de pratiques et de milieux non-artistiques des images (la recherche scientifique, les soins médicaux, l’organisation du travail, l’éducation scolaire, la guerre, les activités policières, la politique, le commerce…), dont l’évolution est liée aux modes de fonctionnement d’une profusion d’instruments de vision. Souvent, elles soulignent la manière dont les technologies visuelles numériques – et notamment de machine vision – intégrées dans des pratiques institutionnelles remettent en cause les concepts mêmes d’« image » et de « vision ». En contrôlant et en filtrant la visibilité des milieux (trafic urbain, champ de bataille, chaîne de production, corps malade, etc.), ces technologies troublent les limites entre le champ des images et le champ du visible, entre le signe et le référent. En rendant des machines capables de « voir », elles les dotent d’une certaine autonomie d’action (tels les robots, les véhicules et les armes automatiques, dont l’activité est déterminée par des processus numériques de prélèvement, de traduction et de transmission du visible), ce qui ouvre un domaine de production et de circulation d’images imperceptibles aux humains. Suivant les propositions du cinéaste et théoricien Harun Farocki, ces images chargées de médiations utilitaires sont analysées en tant qu’« images opérationnelles ». Selon Farocki, les images opérationnelles jouent un rôle actif dans l’orientation de l’action humaine et non-humaine, ainsi que dans le développement des pratiques institutionnelles dans des contextes militaires, de l’éducation, de la science ou de l’industrie. Suivre la trace des images opérationnelles déplace ainsi notre attention des images comme expression créatives vers des images servant à contrôler et gouverner des populations, instruire, discipliner et guérir des corps. Cela nous permet aussi de reconsidérer nos approches des images au sens large, y compris artistiques. Selon la théoricienne contemporaine des médias Aud Sissel Hoel, le paradigme opérationnel des images « se caractérise par une plus profonde reconnaissance de la dimension active des images et des médias1. »

Ce numéro d’Images secondes cherche à explorer ce paradigme opérationnel du point de vue des études cinématographiques, en proposant un pont entre la recherche francophone et des débats qui se déroulent actuellement principalement dans des sphères non francophones (notamment en anglais et en allemand). Il s’agit à la fois de montrer l’émergence d’un domaine d’études à l’intersection de plusieurs disciplines qui s’intéressent aux médias (audio)visuels, et aussi de faire connaître des chercheurs et chercheuses francophones qui se penchent actuellement sur les enjeux esthétiques, épistémiques et politiques des images opérationnelles, contribuant aux débats internationaux avec une pluralité d’approches et de champs d’investigation.

Figure incontournable des débats sur les images opérationnelles, Harun Farocki a abordé, tout au long de sa carrière, une variété de formes, de formats et d’usages des images en tant qu’instruments au sein de pratiques institutionnelles. Dans des installations comme Oeil/Machine I-III (Auge/Maschine I-III, 2001-2003), Contre-chant (Gegen-Musik, 2004), Serious Games I-IV (Ernste Spiele, 2009-2010) ; ou dans des films comme Tel qu’on le voit (Wie man sieht, 1986), Images du monde et inscription de la guerre (Bilder der Welt und Inschrift des Krieges, 1988), Apprendre à se vendre (Die Bewerbung, 1997), Images de prisons (Gefängnisbilder, 2000), Les créateurs des mondes d’achat (Die Schöpfer der Einkaufswelten, 2001) et d’autres, Farocki a réfléchi sur toute une série de fonctions assurées par des dispositifs de vision, dans les systèmes de contrôle policiers et des transports urbains, dans la conception d’espaces commerciaux, dans l’entraînement militaire et le traitement thérapeutique des soldats revenus du front, dans le téléguidage de missiles, dans l’orientation d’engins automatiques de production, dans l’auto-évaluation des candidats à l’emploi, dans le marketing des produits industriels, etc.. Influencé par les travaux de Paul Virilio sur l’automatisation de la perception et de Vilém Flusser sur les opérations abstraites des « images techniques [technische Bilder]2 », Farocki s’est attaché en particulier à montrer comment l’acte perceptif techniquement agencé s’articule à des chaînes opérationnelles plus vastes. Ces chaînes opérationnelles encadrent et régulent l’activité humaine, en faisant de la vision moins un acte critique de compréhension qu’une étape dans des systèmes d’opérations collectifs – humains et non-humains – et institutionnels3.  

Cet intérêt pour les images en tant qu’instruments, participant à l’infrastructure technique d’activités qui visent une certaine efficacité, la production d’un effet particulier, l’optimisation d’un geste ou d’un comportement, a conduit Farocki, dès les années 1980, à étudier des dispositifs automatisés de vision industriels et militaires et, au début des années 2000, à nommer « images opérationnelles [operative Bilder] » des images qui « ne sont pas faites pour divertir ou pour informer […], qui ne visent pas à restituer une réalité, mais font plutôt partie d’une opération technique4. » Ainsi formulée, bien qu’en rapport avec des dispositifs de machine vision (comme les missiles autoguidés et les robots-travailleurs), cette définition permet toutefois de contempler une variété beaucoup plus large de dispositifs de vision et de cadres institutionnels d’instrumentalisation des images. Car les images qui font partie d’opérations techniques et qui participent à l’exécution de tâches et de missions existent bien avant le développement de la machine vision et même des technologies numériques au XXe siècle. L’œuvre de Farocki en témoigne à profusion avec la mise en évidence d’usages de technologies visuelles dans la longue histoire des pratiques militaro-industrielles.

Comme l’a noté Volker Pantenburg, le travail de Farocki sur les formes et usages des images opérationnelles exige une conception plurielle de cette catégorie qui regroupe aujourd’hui un grand nombre de dispositifs de production d’images : « Pour parvenir à une perspective plus nuancée de l’image opérationnelle (pas seulement chez Farocki), il [est] nécessaire de distinguer différents niveaux d’opérativité5. » Pantenburg propose alors une gamme élargie des images opérationnelles : des images « purement fonctionnelles », éléments d’un processus technique computationnel dont le regard humain peut être tout bonnement exclu (liées, par exemple, aux processus de reconnaissance des formes [pattern recognition] qui guident armes et véhicules automatiques6), aux images qui, dans n’importe quel contexte pratique, déclenchent des réactions déterminées (telles les images étudiées par Horst Bredekamp dans sa théorie de l’acte d’image7), en passant par toutes ces images (dessins, cartes, photographies, films, vidéos, etc.) qui organisent ou facilitent des opérations militaires, pédagogiques, industrielles, médicales, administratives et autres, à travers la régulation et l’optimisation du regard humain (telles qu’on peut les trouver, par exemple, dans les études récentes sur le cinéma et la télévision « utilitaires »8). On peut ainsi parler d’un registre opérationnel des images à plusieurs niveaux, qui ne se restreint pas aux images numériques et aux automates, quoique ce soit bien le développement des technologies numériques qui, en multipliant les situations d’instrumentalisation des images, a fini par faire apparaître – comme le rappelle Thomas Elsaesser – les nombreuses « histoires parallèles9 » des images qui ne passent pas par l’histoire de l’art et du cinéma.

L’intérêt des images opérationnelles en tant que catégorie réside dans la nouvelle perspective qu’elle ouvre sur l’enchevêtrement radical des technologies visuelles avec l’activité humaine et institutionnelle. En effet, l’image opérationnelle est une image inséparable de l’action. Si Farocki la distingue de la « représentation », d’après Elsaesser, c’est pour montrer que les images « ne sont pas seulement quelque chose à contempler, dans lesquelles on peut s’immerger, ou que l’on peut regarder avec admiration ou désintéressement » ; elles ne sont pas seulement des « représentations d’une réalité qui leur est extérieure ou qui est distincte d’elles ». Désormais, de plus en plus souvent, les images fonctionnent plutôt comme des « instructions pour l’action », ou comme des « ensembles de données à traiter et à traduire en actions10 ». Parce qu’elles organisent la réalité sensible sur laquelle intervient, par exemple, une médecin (observant à travers un écran interposé l’état des organes d’un patient11), une soldat (repérant au moyen d’une caméra thermique la position de l’ennemi12), une ouvrière ou employée (développant ses compétences à travers une simulation audiovisuelle13), ou encore une scientifique (observant un phénomène naturel à travers une série d’appareils d’enregistrement qui lui permettent de mesurer, de comparer et de calculer les caractères distinctifs de ce phénomène14), les images ne sauraient être un simple supplément, un « appendice symbolique » de la réalité : elles donnent forme à une réalité en même temps qu’elles préparent les conditions d’une action ; elles façonnent à la fois un « objet » figuré et une « subjectivité » qui ne se contente pas d’observer, mais qui agit sur ce qu’elle observe. Bref, les images façonnent des opérations impliquant humains et non-humains dans une réalité dont elles infléchissent le mouvement. Un exemple particulièrement parlant est celui de la surveillance militaire de l’espace aérien. Dans la seconde moitié du XXᵉ siècle, les États-Unis ont mis en place, face à la menace soviétique, un dispositif combinant observateurs humains, procédures de calcul et de représentation visuelle, afin de produire une vision étendue sur le territoire continuellement mise à jour et apte à déclencher rapidement des actions défensives. Ces assemblages socio-techniques ont fait de l’image un élément central du système de défense américain, tout en contribuant à l’émergence de l’écran interactif d’ordinateur15.

Dans un ouvrage récent sur les images opérationnelles, Jussi Parikka, en rappelant les sources militaires et scientifiques de l’usage contemporain du terme « opérations », a attiré l’attention sur ses prémisses structurelles et systémiques : « Les opérations traitent de questions de logistique dans des systèmes techniques massifs qui fonctionnent à travers la capacité d’abstraction et d’optimisation16. » Mobilisé à partir des années 1920 dans le contexte d’une reconnaissance institutionnelle croissante de l’importance du contrôle des circuits d’information (ayant abouti au développement de la cybernétique au milieu du siècle), le terme d’ « opérations » renvoie historiquement à des pratiques d’intégration des technologies de l’information dans des chaînes d’actions impliquant des mouvements physiques, le traitement de données et la prise de décision. Si l’ordinateur est devenu essentiel à cette pratique logistique de l’information, on peut penser, comme le suggère Parikka, à un éventail plus large d’agencements matériels et techniques permettant, dans la longue histoire des institutions, la coordination d’opérations physiques et cognitives (analyse, synthèse, comparaison, mesure, calcul, etc.), du laboratoire de recherche à la salle de classe, et de l’atelier de production aux campagnes militaires de destruction. L’« ontologie opérationnelle », en tant que cadre pour penser le travail des images proposé par Parikka (et que l’auteur emprunte à la philosophie des médias contemporaine17), inscrit l’image à un niveau infrastructurel de l’action. Au lieu d’être la version spiritualisée du réel, l’image est un agent onto-épistémique : elle agit à la fois dans la production, l’organisation et la validation d’un savoir et dans la constitution des contours d’une réalité collectivement perçue comme existante. Elle encadre, hiérarchise, diffuse et normalise l’espace, le temps, et toutes sortes de relations qui façonnent l’agentivité humaine et technologique. L’activité des images est dès lors conçue en fonction notamment de leur matérialité et des formes de relation qu’elles produisent ou cultivent dans des situations données.

L’épistémologie des sciences et des technologies (en anglais : Science and Technology studies) s’est, dès les années 1980, intéressée aux conditions matérielles et techniques des savoirs et des organisations, avant que les études des médias en Allemagne ne s’orientent, dans le sillage des travaux de Friedrich Kittler, vers une perspective d’analyse culturelle focalisée sur les supports matériels des opérations symboliques et cognitives. Dans ces discours théoriques et analytiques ayant en partie précédé (et préparé) les débats contemporains sur les images opérationnelles, les images et les médias étaient compris en tant qu’éléments épistémologiquement actifs, façonnant les modes de représentation et produisant les structures différentielles et les dichotomies ontologiques (intérieur/extérieur, sacré/profane, signal/bruit, etc.) sur lesquelles s’appuient les activités humaines18. En 1999, la sociologue des organisations Susan Leigh Star proposait une « ethnographie des infrastructures » comme une étude focalisée sur les aspects relationnels créés et définis par les supports matériels, techniques et d’information des activités humaines : réseaux d’objets et protocoles d’opérations considérés comme « allant de soi » dans une activité donnée de travail, mais qui jouent un rôle dans la mise en forme des interactions, les modes de classification de la réalité et la structuration des rapports de pouvoir au sein des organisations : « Étudiez un système d’information et négligez ses normes, ses câbles et ses paramètres, et vous manquerez des aspects tout aussi essentiels d’esthétique, de justice et de changement19 ». 

Plus récemment, des auteurs et autrices dans le domaine du cinéma et des médias ont prolongé ces perspectives en reprenant à leur compte les notions de logistique et d’infrastructure comme des notions clés pour penser l’activité non-signifiante, ou plutôt pré-signifiante et agentielle des images : coordination des flux d’informations, mise en forme et traitement des données, synthèse spatio-temporelle, stockage d’information, médiation de l’action à distance, etc20. Leurs travaux montrent qu’en tant qu’instruments logistiques et infrastructurels de la perception, les images agissent comme des agents d’orientation pour l’organisation collective, contribuant, au même titre que les réseaux de transport, l’architecture fonctionnelle ou la rhétorique organisationnelle, à façonner l’ordre et le fonctionnement des institutions et des chaînes d’approvisionnement planétaires du capitalisme contemporain.

D’un point de vue esthétique et épistémologique, les images opérationnelles se prêtent alors à un discours théorique moins en fonction de leurs contenus spécifiques que de la manière dont elles distribuent le visible (sous certains formats, dans un certain réseau de diffusion, selon certains protocoles de lecture et de visualisation21). Les images opérationnelles jouent bien souvent le rôle d’agents contrôleurs des frontières entre le visible et l’invisible – et par conséquent, du territoire du dicible, de ce qui est calculable, mesurable, comparable, analysable à tel ou tel moment, dans telle ou telle situation, par telle ou telle personne ou machine. Elles sont par définition agencées dans des chaînes opérationnelles selon une logique que l’on pourrait appeler, avec Gilles Deleuze, « pré-signifiante » ou « diagrammatique22 », dans la mesure où, indépendamment des contenus qu’elles véhiculent, elles assurent des ordonnancements du visible, des répartitions des pouvoirs de vision, des rythmes et des séries de visualisation qui sont programmables, réitérables, activés ou désactivés selon un plan ou des objectifs stratégiques. 

C’est la raison pour laquelle les images opérationnelles sont difficilement étudiées en tant qu’objets isolés, détachés des cadres institutionnels et des chaînes opérationnelles dans lesquelles ils s’insèrent23. Dans leur introduction à une série d’études sur les films industriels et d’entreprise, Vinzenz Hediger et Patrick Vonderau affirment, par exemple, que « loin de constituer des entités autonomes pour l’analyse esthétique, les films industriels et utilitaires doivent être compris en fonction de leur objectif spécifique, généralement organisationnel, et dans le contexte même de pouvoir et de la pratique organisationnelle dans lesquels ils apparaissent24. » L’activité organisationnelle des films industriels étant liée aux besoins et objectifs d’encadrement des performances et d’incitation à l’action, elle ne saurait être une activité stable, que la seule analyse filmique pourrait dégager. À l’analyse des images doit s’ajouter une analyse des situations et des relations que les films produisent dans les contextes de leur conception et diffusion. Car, en tant qu’images utilitaires, ces films n’ont de valeur que par les actions qu’ils engendrent effectivement dans les systèmes qu’ils contribuent à faire fonctionner. Ainsi, les études du cinéma utilitaire partagent une même perspective d’analyse avec les études des images opérationnelles. Aud Sissel Hoel et Frank Lindseth, en prenant pour exemple l’opérativité de l’imagerie médicale, formulent à leur tour l’apport méthodologique d’une conception opérationnelle des images comme une manière de repenser les images. Selon eux, le paradigme opérationnel invite à envisager les images en termes «d’événements » plutôt que d’entités statiques ; en termes d’agents nouant des « relations » ; et enfin, il invite aussi à concevoir l’agentivité des images comme « distribuée à travers des assemblages interconnectés de personnes, de pratiques et d’artefacts de médiation25. » La proximité et les liens possibles entre les études sur les images utilitaires et opérationnelles seront également un thème discuté dans ce numéro.

Les contributions à ce numéro d’Images secondes témoignent des multiples possibilités ouvertes par la notion d’images opérationnelles pour revisiter l’histoire visuelle et des médias afin d’en faire émerger les « assemblages interconnectés » d’acteurs, technologies et interfaces de visualisation. Elles démontrent la fécondité de l’approche pour l’analyse de domaines aussi divers que la logistique, l’holographie, la vidéosurveillance ou encore l’imagerie des drones. 

Le numéro s’ouvre à rebours, avec l’article de Marie Sandoz interrogeant l’inopérabilité des images opérationnelles. Sandoz analyse « l’histoire avortée » de l’utilisation des médias de communication pour la gestion des flux marchands à Rungis, le plus grand centre de distribution alimentaire en France. Inauguré en 1969 en remplacement des Halles de Paris, Rungis est conçu pour être à la pointe de l’automation et de l’efficacité logistique, et les planificateurs du marché rêvent de l’augmentation de la productivité grâce à l’implémentation de systèmes informatiques et télévisuels. Or, comme le montre Sandoz en se basant sur un très riche corpus de sources archivistiques, ces systèmes technologiques rencontrent de fortes résistances de la part des utilisateurs censés intégrer leur chaîne opérationnelle, quand ils ne sont pas simplement dysfonctionnels. L’historienne guide ainsi notre attention sur les fissures des images et systèmes opérationnels et rappelle l’inadéquation des discours techno-solutionnistes aux réalités matérielles et sociales.

La deuxième contribution discute l’image opérationnelle dans son contexte originel, le militaire. Olivier Zuchuat y propose une double lecture, théorique et esthétique, des images de la guerre en Ukraine qui circulent sur les réseaux sociaux. En dialogue avec les travaux de Harun Farocki et Volker Pantenburg, Zuchuat introduit la notion d’« images des opérations » pour désigner une nouvelle catégorie visuelle issue du front. Comme les vidéos captées par des caméras fixées aux armes ou aux casques des combattants, ces images des opérations émanent des champs de bataille, sans toutefois être directement impliquées dans la conduite de la guerre. Leur rôle devient en revanche central hors du champ de bataille : intégrées à des « courts-métrages de tranchées » diffusés en ligne, les images des opérations sont montées ensemble avec les flux d’images opérationnelles telles que les vues par drone. Ensemble, elles servent de nouvelles fonctions, du divertissement pour les warwatchers au fundraising et à la propagande militaire, endossant une nouvelle opérativité qui brouille les frontières entre pratiques militaires et civiles.

Dans un registre de production scientifique, l’article de Nina Pillet revient sur un événement qui a suscité un vif intérêt dans les médias : la réalisation de l’image du trou noir M87 en 2019 dans le projet Event Horizon Telescope. La visualisation d’un phénomène distant de 55 millions d’années-lumière résulte de la combinaison de trois régimes historiques de l’objectivité décrits par Lorraine Daston et Peter Galison – la « vérité-d’après-nature », « l’objectivité mécanique » et le « jugement exercé » – pour la construction d’un dispositif inédit de captation d’une image. Cette image, issue de données d’observation lacunaires, de synthèses successives, d’entraînements d’algorithmes afin de limiter les biais du dispositif, ainsi que d’une coopération méthodique entre équipes de recherche relève d’un « régime de vertus épistémiques » original, qui produit un savoir consensuel et conscient de ses limites. Suivant l’analyse de Jussi Parikka de ce même objet, Pillet montre que l’observation du trou noir mobilise une objectivité « opérationnelle », au sein de laquelle l’interprétation humaine, la production visuelle et le calcul algorithmique se nourrissent mutuellement.

Quittant l’échelle cosmique, la contribution de Johan Schollaert dirige notre attention sur les petites images holographiques apposées, entre autres, sur nos cartes bancaires et nos pièces d’identité. Issue des recherches militaires et scientifiques du milieu du vingtième siècle, les images holographiques sont aujourd’hui omniprésentes, intégrées à nos gestes quotidiens, et répondent à des logiques biosécuritaires et capitalistes. Même si leurs reflets irisés nous séduisent par leur beauté, leur fonction n’est pas esthétique, mais bien opérationnelle. En tant que « technologie de vérification » visant à exclure la contrefaçon et à garantir l’authenticité des objets, ces images fonctionnent au sein de protocoles institutionnels (bancaires, administratifs et policiers), où elles occupent une place aussi centrale qu’invisible, généralement méconnue. Schollaert propose une généalogie de ces dispositifs visuels, retraçant leur émergence expérimentale, jusqu’à leur diffusion massive dans les années 1980, en passant par leurs nombreux déploiements dans la culture visuelle contemporaine.

Alors que cette première partie du numéro révèle la multiplicité des institutions où les images opérationnelles déploient leur agentivité, les trois articles suivants discutent leur rôle au sein du dispositif cinématographique. 

L’article de Stéphanie Bräuer analyse deux films expérimentaux réalisés à l’aide de l’oscilloscope. Conçu au début des années 1940, cet instrument scientifique, basé sur la technologie du tube cathodique, servait initialement à mesurer les variations des signaux électriques et à les visualiser sous forme d’ondes lumineuses en temps réel. Très vite, il devient dans les mains de cinéastes un outil artistique, ouvrant la voie à de nouvelles formes d’animations abstraites. Alors que dans le laboratoire l’oscilloscope produit une image opérationnelle strictement instrumentale, intégrée à un protocole d’observation, son détournement dans l’atelier d’artiste engendre ce que Bräuer qualifie d’opérativité « générative », liée au processus de création artistique. À travers l’analyse des films Abstronic (Mary Ellen Bute, 1954-1955) et Around Is Around (Norman McLaren et Evelyn Lambart, 1952), Bräuer met en lumière cette opérativité générative, décrite comme l’instant d’une agentivité créatrice induite par la machine elle-même.

L’article d’Élodie Murtas met en miroir le cinéma utilitaire et les théories de l’image opérationnelle pour éclairer la collection cinématographique de l’hôpital psychiatrique suisse, la Waldau. Documents exceptionnels tournés par les employés et médecins de l’institution, ils saisissent les recherches médicales et propositions curatives et produisent aussi bien un discours d’expert pour un public de spécialistes qu’un discours adressé à un public plus large en dehors des murs de l’asile, qu’ils tentent de convaincre des méthodes appliquées à l’intérieur de celui-ci. En se penchant sur l’analyse de deux films adressés au public extérieur, Murtas montre que les images ne servent pas seulement à documenter ou représenter, mais à activer des dispositions spécifiques, à transformer la perception de la folie et à promouvoir une image modernisée et humaniste de l’institution psychiatrique. En ce sens, le cinéma participe à la mobilisation d’attitudes et de discours essentiels au fonctionnement de l’institution.

Forme emblématique de l’image opérationnelle, la vidéosurveillance aujourd’hui n’est plus uniquement visuelle, mais intègre notamment l’analyse algorithmique de données cinétiques ou thermiques. Dans ce contexte, Rémi Lauvin s’intéresse au lien entre surveillance et fiction sous le prisme de l’appropriation et du détournement d’images de surveillance dans le cinéma. D’après lui, le cinéma peut endosser le rôle de « révélateur » de savoirs qui resteraient invisibles sans son intervention. N’ayant pas pour vocation première d’être regardées, mais à participer à des processus de contrôle automatisés, les images de surveillance sont ramenées dans le champ du visible par le cinéma, qui leur donne une lisibilité particulière. L’analyse des films Der Riese (Michael Klier, 1983), Ailleurs, Partout (Isabelle Ingold et Vivianne Perelmuter, 2020) et In Order Not to Be Here (Deborah Stratman, 2002) permet à Lauvin de montrer le potentiel politique du cinéma à faire émerger une force narrative et esthétique des images de surveillance, à attirer l’attention sur leur matérialité, à expliciter leur fonctionnement et à dénoncer la frontière poreuse entre surveillance et fiction.

Suivant une méthode de réflexion audiovisuelle sur les images opérationnelles inspirée de Farocki, David Bucheli propose par la suite un essai vidéo qui explore la production d’une connaissance visuelle et cartographique de l’espace. En articulant des extraits de films narratifs (comme Sueurs froides d’Hitchcock), de films d’essai (Riddles of the Sphinx de Mulvey et Wollen) et surtout des fragments de l’Aspen Movie Map, projet du MIT financé par le ministère américain de la Défense à la fin des années 1970 qui visait à préparer des soldats à intervenir dans une ville par le biais d’une carte interactive de simulation, Bucheli raconte une histoire des images en tant que lieux de configuration d’un imaginaire et d’une mémoire de l’espace, qui dialogue avec des dispositifs contemporains de navigation comme Google Street View. Il offre ainsi une perspective archéologique sur le développement d’images en tant que surfaces interactives d’opérations et outils d’orientation, substituts fonctionnels d’un espace réel.Ce numéro se termine par un entretien avec le théoricien et historien du cinéma Volker Pantenburg, co-fondateur de l’Institut Farocki de Berlin et directeur de la publication des œuvres complètes de Farocki en langue allemande. Professeur au Seminar für Filmwissenschaft à l’Université de Zurich, Pantenburg est aussi l’auteur de trois monographies et de nombreux articles et chapitres de livres autour de l’œuvre de Farocki. Principalement parus en allemand et en anglais, ses travaux ont été peu traduits en français. La conversation entre Volker Pantenburg et les éditeur·ices du numéro, réalisée pour Images secondes, invite ainsi à découvrir les réflexions d’un des meilleurs spécialistes de Harun Farocki sur des thèmes et problèmes abordés dans ce numéro.


  1. Aud Sissel Hoel, « Operative Images: Inroads to a New Paradigm of Media Theory », dans Luisa Feiersinger, Kathrin Friedrich et Moritz Queisner (dir.), Image-Action-Space: Situating the Screen in Visual Practice. Berlin et Boston: De Gruyter, 2018, pp. 11-27. Sauf indication contraire, les traductions ont été faites par nous. ↩︎
  2. Voir Paul Virilio, Guerre et Cinéma I. Logistique de la perception, Paris, Les Cahiers du Cinéma, 1991 [1984] ; Vilém Flusser, Pour une philosophie de la photographie, Saulxures, Circé, 1996 [1983] ; Id., Ins Universum der technischen Bilder, European Photography, Göttingen, 2000 [1985]. Voir aussi, en français, id., « L’image-calcul. Pour une nouvelle imagination », dans Emmanuel Alloa (dir.), Penser l’image II. Anthropologies du visuel, Dijon, Les Presses du Réel, 2015, pp. 43-55. ↩︎
  3. Comme le note Christa Blümlinger, « Qu’il se penche sur la taylorisation, la surveillance militaire et civile ou la simulation et l’automatisation de la société, Farocki cherche habituellement à repérer la situation du corps humain au sein de dispositifs mécaniques et visuels ». « An Archaeologist of the Present », e-flux, n. 59, 2014, https://www.e-flux.com/journal/59/61092/an-archeologist-of-the-present/. ↩︎
  4.  Harun Farocki, « Le point de vue de la guerre », Trafic, no 50, 2004, pp. 445-454, cit. p. 446. Ce texte est la traduction française par Pierre Rusch d’une présentation qu’a donnée Farocki le 15 octobre 2003 à la Hochschule für Gestaltung à Karlsruhe, sur invitation de Peter Sloterdijk. La traduction a été ici légèrement modifiée. Nous avons par ailleurs choisi de traduire operative Bilder par « images opérationnelles » (et non « opératoires »), suivant le terme « operational » (en anglais) proposé par Volker Pantenburg pour traduire la notion de Farocki. Voir Volker Pantenburg, « Working Images : Harun Farocki and the Operational Image », dans Jens Eder et Charlotte Klonk (dir.), Image Operations. Visual Media and Political Conflict, Manchester, Manchester University Press, 2017, pp. 51-62. Voir aussi, id., Farocki/Godard, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2015. Farocki a aussi mobilisé cette notion dans certaines de ses œuvres, comme Eye/Machine I-III (2001-2003) et Reconnaître et poursuivre (2003). ↩︎
  5. Pantenburg, 2017, op. cit., p. 57. ↩︎
  6. L’artiste et théoricien Trevor Paglen s’est particulièrement intéressé à cette conception des images opérationnelles, qui renvoient au domaine (invisible aux humains) des opérations informatiques ayant un impact majeur sur la culture visuelle contemporaine. Voir Trevor Paglen, « Operational Images”, e-flux, n. 59, 2014, https://www.e-flux.com/journal/59/61130/operational-images/ ; Id., « Invisible Images (Your Pictures Are Looking at You) », New Inquiry, 2016, https://thenewinquiry.com/invisible-images-your-pictures-are-looking-at-you/. Voir aussi Antonio Somaini, « Algorithmic Images : Artificial Intelligence and Visual Culture », Grey Room, no 93, 2023, pp. 74-115. ↩︎
  7. Horst Bredekamp, Théorie de l’acte d’image, Paris, La Découverte, 2015 [2010]. ↩︎
  8. Sur le cinéma utilitaire, voir notamment Vinzenz Hediger et Patrick Vonderau (dir.), Films that Work. Industrial Films and the Productivity of Media, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2009; Charles Acland et Haidee Wasson (dir.), Useful Cinema, Durham, Duke University Press, 2011; Devin Orgeron, Marsha Orgeron et Dan Streible (dir.), Learning with the Lights Off: Educational Film in the United States, New York, Oxford University Press, 2012; Haidee Wasson et Lee Grieveson (dir.), Cinema’s Military Industrial Complex, Oakland, University of California Press, 2018; Lee Grieveson, Cinema and the Wealth of Nations. Media, Capital, and the Liberal World System, Oakland, University of California Press, 2018; Tom Rice, Films for the Colonies. Cinema and the Preservation of the British Empire, Oakland, University of California Press, 2019; Bo Florin, Patrick Vonderau et Yvonne Zimmermann (dir.), Advertising and the Transformation of Screen Cultures, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2021 ; Vinzenz Hediger, Florian Hoof et Yvonne Zimmermann (dir.), Films that Work Harder. The Circulation of Industrial Film, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2023 ; Rebecca Boguska, Guilherme Machado, Rebecca Puchta et Marin Reljic (dir.), Tacit Cinematic Knowledge. Approaches and Practices, Lüneburg, Meson Press, 2024. Sur la télévision utilitaire, voir ; Kit Hughes, Television at Work: Industrial Media and American Labor, New York, Oxford University Press, 2020 ; Anne-Katrin Weber, « Decentring the Broadcasting Dispositif: Educational Closed-Circuits, Military-Industrial Entanglements, and Useful TV », TMG Journal for Media History, vol. 26, no 1, 2023, pp. 1-31 ; voir aussi le projet de recherche actuellement en cours à l’Université de Lausanne, conduit par Anne-Katrin Weber, « Operative TV: Closed Circuit Images from World War II to the Cold War », https://data.snf.ch/grants/grant/208503, et l’article de Marie Sandoz dans ce numéro. ↩︎
  9. « Les images numériques ont peut-être rendu ces histoires parallèles plus palpables, mais les images opérationnelles, comme l’a bien vu Farocki, ont toujours fait partie de notre culture visuelle. » Thomas Elsaesser, « Simulation and the Labor of Invisibility: Harun Farocki’s Life Manuals », Animation: An Interdisciplinary Journal, vol. 12, n. 3, 2017, pp. 214-229, cit. p. 219. ↩︎
  10. Les citations sont de Elsaesser, 2017, op. cit., p. 219. Sur les images comme instructions pour l’action, voir Ernst Gombrich, « Pictorial Instructions », in E. Gombrich, The Uses of Images. Studies in the Social Function of Art and Visual Communication, Londres, Phaidon, 1999, pp. 226-239; Salomé A. Skvirsky, The Process Genre. Cinema and the Aesthetic of Labor, Durham, Duke University Press, 2020; Paul Brakmann et Lea Hilsemer (dir.), Instruktive Bilder. Visuelle Anleitung praktischer Fertigkeit, Bildwelten des Wissens, vol. 20, Berlin, De Gruyter, 2024. ↩︎
  11. Sur les images opérationnelles dans le domaine médical, voir notamment Lisa Cartwright, Screening the Body : Tracing Medicine’s Visual Culture, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1995 ; Kirsten Ostherr, Medical Visions : Producing the Patient Through Film, Television, and Imaging Technologies, Oxford, Oxford University Press, 2013 ; Aud Sissel Hoel, « Neurochirurgische Bildoperationen », dans Kathrin Friedrich, Moritz Queisner et Anna Roethe (dir.), Image Guidance : Bedingungen bildgeführter Operation, Berlin, De Gruyter, 2016, pp. 19-29 ; Aud Sissel Hoel, « Images as Active Powers for Reality : A Simondonian Approach to Medical Imaging », dans Emmanuel Alloa et Chiara Chappelletto (dir.), Dynamis of the Image. Moving Images in a Global World, Berlin, De Gruyter, 2020, pp. 287-310 ; Susan Murray, « The New Surgical Amphitheater : Color Television and Medical Education in Postwar America », Technology and Culture, vol. 61, n° 3, 2020, p. 772-797. Voir aussi le projet de recherche actuellement en cours à l’Université de Lausanne, dirigé par Mireille Berton, « Cinéma et (neuro)psychiatrie en Suisse : autour des collections Waldau (1920-1970) » et l’article d’Elodie Murtas dans ce numéro. ↩︎
  12. Sur les images opérationnelles dans le domaine militaire, voir notamment Virilio, 1991, op. cit. ; Ryan Bishop et John Phillips, Modernist Avant-Garde Aesthetics and Contemporary Military Technology : Technicities of Perception, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2010 ; Cormac Deane, « The Control Room: A Media Archaeology », Culture Machine, vol. 16, 2016, en ligne, https://culturemachine.net/vol-16-drone-cultures/the-control-room/ ; Antoine Bousquet, The Eye of War : Military Perception from the Telescope to the Drone, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2018 ; Wasson et Grieveson, 2018, op. cit. ; Anne-Katrin Weber, « ‘L’oeil électrique’ et ‘la torpille volante’ : pistes pour une histoire du drone à partir de l’histoire télévisuelle », A contrario, vol. 2, no 29, 2019, pp. 81-98 ; Christoph Borbach, « Operations rooms. Infrastructures et pratiques des visualisations aériennes durant la Seconde Guerre mondiale », Transbordeur : photographie histoire société, no 6, 2022, pp. 112-119 ; Anders Engberg-Pedersen, Martial Aesthetics : How War Became an Art Form, Stanford, Stanford University Press, 2023 ; Laliv Melamed, « A NonReport : The Operative Image and the Politics of the Public Secret », JCMS. Journal of Cinema and Media Studies, vol. 62, no 4, 2023, pp. 33-56. ↩︎
  13. Sur les images opérationnelles dans le domaine du travail et des activités industrielles, voir notamment Hediger et Vonderau, 2009, op. cit. ; Florian Hoof, Angels of Efficiency. A Media History of Consulting, Oxford, Oxford University Press, 2020 ; Hugues, 2020, op. cit. ; Skvirsky, 2020, op. cit. ; Hediger, Hoof et Zimmermann, 2023, op. cit. ↩︎
  14.  Sur les images opérationnelles dans le domaine des sciences, voir notamment Monika Dommann, Durchsicht, Einsicht, Vorsicht: eine Geschichte der Röntgenstrahlen, 1896-1963, Zürich, Chronos, 2003 ; Georges Didi-Huberman et Laurent Mannoni, Mouvements de l’air : Étienne-Jules Marey, Photographe des Fluides, Paris, Gallimard, Réunion des musées nationaux, 2004 ; Bruno Latour, L’espoir de Pandore : pour une version réaliste de l’activité scientifique, Paris, La Découverte 2007 [1999] ; Lorraine Daston et Peter Galison, Objectivité, Paris, Les Presses du Réel, 2012 [2010] ; Horst Bredekamp, Vera Dünkel et Birgit Schneider (dir.), The Technical Image: A History of Styles in Scientific Imagery, Chicago, University of Chicago Press, 2015 ; Janet Vertesi, Seeing Like a Rover: How Robots, Teams, and Images Craft Knowledge of Mars, Chicago, University of Chicago Press, 2015 ; Nora Sørensen Vaage, Rasmus T. Slaattelid, Trine Krigsvoll Haagensen et Samantha L. Smith (dir.), Images of Knowledge: The Epistemic Lives of Pictures and Visualisations, New York, PL, Academic Research, 2016 ; Maria Ida Bernabei, « Un œil nouveau. Le ralenti scientifique à la construction de l’avant-garde », Cinema & Cie. International Film Studies Journal, vol. XIX, n° 31, 2018, pp. 93-116 ; Anja Sattelmacher, Mario Schulze et Sarine Waltenspül, « Introduction: Reusing Research Film and the Institute for Scientific Film », Isis, vol. 112, n° 2, 2021, pp. 291-98 ; Zoë Druick, « Operational Media: Cybernetics, Biopolitics and Postwar Education », Foro de Educacion 18, no. 2, 2020, pp. 63–81. ↩︎
  15. Cf. Bernard D. Geoghegan, « An Ecology of Operations: Vigilance, Radar, and the Birth of the Computer Screen », Representations, vol. 147, nᵒ 1, 2019, pp. 59-95. ↩︎
  16. Jussi Parikka, Operational Images : From the Visual to the Invisual, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2023, p. 31. Pour un compte-rendu du livre en français, voir Lisa Cronjäger et Marie Sandoz, « Jussi Parikka. Operational Images. From the Visual to the Invisual », Transbordeur. Photographie histoire société, no 8 (2024): 8, https://doi.org/10.4000/12h0p. ↩︎
  17. Voir Brian Massumi, Ontopower : War, Powers, and the State of Perception, Durham, Duke University Press, 2015. Voir aussi le projet de recherche « Operative ontologies » de l’Internationales Kolleg für Kulturtechnikforschung und Medienphilosophie (IKKM) de Weimar, https://www.ikkm-weimar.de/en/research/annual-topics/operative-ontologies/. ↩︎
  18. Sur la théorie allemande des médias et des « techniques culturelles », voir notamment Bernhard Siegert, « Cacography or Communication ? Cultural Techniques in German Media Studies », Grey Room, no 29, 2008, pp. 26-47 ; id., Cultural Techniques. Grids, Filters, Doors, and Other Articulations of the Real, New York, Fordham University Press, 2015. Voir aussi l’édition spéciale de Theory, Culture & Society, « Cultural Techniques », dirigée par Geoffrey Winthrop-Young, Ilinca Iurascu et Jussi Parikka, vol. 30, no 6, 2013. ↩︎
  19. Susan L. Star, “The Ethnography of Infrastructure”, American Behavioral Scientist, vol. 43, n. 3, 1999, pp. 377-391. Cit. p. 379. ↩︎
  20. Si ces notions sont courantes dans la littérature sur les images opérationnelles, elles font cependant le thème d’une série de réflexions spécifiquement orientées sur la discussion de leur pertinence heuristique et épistémologique pour l’analyse du travail des images et des médias. Voir par exemple Brian Larkin, Signal and Noise: Media, Infrastructure and Urban Culture in Nigeria, Durham, Duke University Press, 2011 ; Lisa Parks et Nicole Starosielski (dir.), Signal Traffic: Critical Studies of Media Infrastructures, Champaign, University of Illinois Press, 2015 ; Matthew Hockenberry, Nicole Starosielski et Susan Zieger (dir.), Assembly Codes. The Logistics of Media, Durham, Duke University Press, 2021. ↩︎
  21. Sur l’importance des formats sous une optique opérationnelle des images, voir Jonathan Sterne, MP3 : économie politique de la compression, Paris, La Rue Musicale, 2018 [2012] ; Marek Jancovic, Axel Volmar et Alexandra Schneider, Format Matters, Lüneburg, Meson Press, 2020 ; Francesco Casetti et Antonio Somaini, La haute et la basse définition des images. Photographie, cinéma, art contemporain, culture visuelle, Milan, Mimésis, 2021. ↩︎
  22. Sur la notion de diagramme, voir notamment Gilles Deleuze, Foucault, Paris, Minuit, 2004 [1986], p. 38-51. Pour une application de cette notion aux images opérationnelles, voir Parikka, 2023, op. cit., notamment l’introduction et le deuxième chapitre. ↩︎
  23. En 1975, Allan Sekula propose la notion d’image « instrumentale » pour souligner l’importance de la prise en compte du contexte d’interprétation de l’image à l’exemple des photographies aériennes d’Edward Steichen, produites dans le cadre militaire pendant la Première Guerre mondiale, puis remobilisées pour des expositions d’art.  Allan Sekula, « The Instrumental Image: Steichen at War », Artforum, vol. 14, no 4, 1975, pp. 26-34. ↩︎
  24. Vinzenz Hediger et Patrick Vonderau, « Introduction », In Hediger et Vonderau, 2009, op. cit., pp. 9-16. Cit. p. 10. Voir aussi, sur ces questions, dans le même ouvrage les articles de Thomas Elsaesser, « Archives and Archaeologies. The Place of Non-Fiction Film in Contemporary Media », pp. 35-49 ;   et de Yvonne Zimmermann, « ‘What Hollywood is to America, the Corporate Film Is to Switzerland’. Remarks on Industrial Film as Utility Film », pp. 101-117. ↩︎
  25. Aud Sissel Hoel et Frank Lindseth, « Differential Interventions: Images as Operative Tools », in Kamila Kuc et Joanna Zylinska (dir.), Photomediations: A Reader, Londres, Open Humanities Press, 2016, pp. 177-183. Citations p. 178. ↩︎