Occitane Lacurie & Barnabé Sauvage
Introduction
Référence électronique pour citer cet article
Occitane Lacurie et Barnabé Sauvage, « Introduction », Images secondes [En ligne], 04 | 2024. URL : http://imagessecondes.fr/index.php/2024/12/introduction/
Finance et études visuelles : une contemporanéité capitale
On ne songerait plus à le nier aujourd’hui : le monde des images est un « (super)marché » et leur échange, un « commerce ». L’anthropologie, la philosophie, la sociologie et l’histoire de l’art enseignent toutes que l’accumulation des richesses et la représentation artistique ont historiquement et conceptuellement partie liée : « non seulement la monnaie est à l’image de l’image, mais l’image, à son tour, est à l’image de la monnaie1. » Ces disciplines ont largement permis d’étayer les raisons de ces correspondances, qui sont aussi bien figuratives (la monnaie et l’œuvre partagent une même signalétique : une forme esthétique, l’effigie, et une valeur fiduciaire, la signature) et logistiques (s’il n’y a d’argent qu’en transit, il n’y a d’œuvre qu’en relation) que capitalistiques (l’histoire ayant depuis longtemps démontré la profitabilité du taux de change entre l’art et l’argent, de même que l’intérêt de la thésaurisation des œuvres2).
De même, s’ils ne sont pas les premiers à participer à l’ « iconocratie » politique des sociétés humaines, il ne fait aucun doute que les arts de l’image en mouvement, au premier rang desquels le cinéma, ont joué pour beaucoup dans la mise en mouvement des images – dans leur circulation démultipliée comme dans leur commercialisation à outrance. Désormais, écrit la philosophe Marie-José Mondzain, « tout impérialisme planétaire se caractérise par la maîtrise d’un monopole iconique3 » que les superpuissances économiques, au premier rang desquelles les États-Unis, ont très tôt su imposer.
Il n’est dès lors pas anodin que le développement du mode de production ayant le plus favorisé l’échange de devises – le capitalisme – et le champ des études visuelles, en formation depuis le début du XXème siècle, aient une histoire commune, tout à fait déterminante pour le développement de l’analyse critique de l’image. Et en effet, une grande partie de l’histoire des formes artistiques a tenté de mettre en regard ces deux dimensions de l’échange, que ce soit pour en révéler les intrications conceptuelles comme pour trouver les moyens éthiques ou politiques de les distinguer. Certaines comme la théoricienne de la visualité Susan Buck-Morss ont par exemple montré comment les écoles économiques de l’époque de la naissance de l’économie « libre » avaient été influencées par les formes de représentation des échanges de richesses, ou démontré à quel point Walter Benjamin et son concept, repris à Marx, de fantasmagorie avaient été précurseurs d’une véritable théorie visuelle du capitalisme4. A contrario, la penseuse qui a argumenté de la manière la plus décisive en faveur d’un « commerce » des images, Marie-José Mondzain, a dans le même temps cherché à le désintriquer résolument de la valeur économique au profit de l’utopie d’un partage égalitaire5.
À partir de ce même point de départ, le philosophe Giorgio Agamben a développé les constats benjaminien et debordien concernant le stade social de la modernité, celui où l’accumulation du capital est telle qu’il est devenu lui-même une image à même de faire oublier toute alternative à la réification6. Fredric Jameson a quant à lui pu considérer le capital – et la contradiction avec l’option précédente n’est qu’apparente – comme un négatif de la visibilité, une « totalité impossible7 », un trou noir proprement infigurable mettant à mal toute tentative de dévoiler le fonctionnement réel de l’économie. Ces quelques exemples suffisent à démontrer qu’il n’y avait pas meilleure matière, pour le développement d’études consacrées à la visualité, qu’un objet perpétuellement tendu entre la survisibilité spectaculaire et l’obfuscation totale. La financiarisation et ses propriétés spéculatives sont de ce genre.
Financiarisation et spéculation(s)
Rappelons que la dynamique progressive de financiarisation de l’économie est historiquement inséparable du développement du capitalisme, au moins depuis l’investissement massif dont ont bénéficié l’exploration, la conquête et l’exploitation des Amériques à partir du XVème siècle, jusqu’à son essor au XVIIIème siècle encore ininterrompu de nos jours8. Au sens large, l’activité spéculative, qui en constitue une part croissante, consiste à parier sur la hausse ou la baisse future des bénéfices, dividendes ou intérêts générés par le titre de propriété échangé au sein d’un marché organisé (et notamment par des médias techniques : postes, télégraphes, téléphones, informatique, « intelligence artificielle », etc.9). Puis, avec l’expansion des activités boursières et le développement de nouveaux instruments financiers, la spéculation se concentre davantage sur l’achat ou la vente d’un titre en fonction de l’anticipation des variations de l’offre et de la demande dont il fait l’objet. Cette anticipation des revenus futurs, ou capital fictif10, a notamment permis de développer depuis les années 1980 une nouvelle structure économique, fondée sur la promesse d’enrichissement immédiat résultant de l’échange rapide de titres davantage que sur le retour sur investissement à long terme11.
De cette transformation de l’économie par la spéculation, bientôt débridée par les politiques des années reagano-thatchériennes, a ainsi résulté le fleurissement d’une économie de court terme à même de remplir les objectifs de croissance imposés par le néolibéralisme – tout en rendant plus fréquente la possibilité d’un effondrement du marché causé par les stratégies individualistes des acteurs financiers. Car, en pratique, l’effet des boucles de rétroaction créées par les activités des acheteurs et vendeurs entretient l’autonomie de la pratique spéculative par rapport à l’économie réelle, ou économie productive. Avec la professionnalisation des marchés, la rapidité et la globalisation du partage de l’information allant de pair avec l’intensification des opérations permises par le trading à haute fréquence, les tendances des cours disparaissent et laissent une plus grande place à l’aléatoire, à la volatilité des prix entretenue par la seule activité spéculative, pour laquelle l’anticipation de l’avenir devient moins importante que la réaction des marchés au futur proche et à l’assurance d’une rentabilité immédiate.
Cette métamorphose structurelle de l’économie mondiale est à l’origine d’une véritable « culture de la financiarisation12 » donnant notamment lieu à une transformation des enjeux cognitifs et perceptifs que posent des flux financiers dont le nombre, la vitesse et l’abstraction rendent toujours plus insaisissables. Pourtant ses soubresauts accompagnent immanquablement les crises contemporaines (inflation et explosion du montant des dividendes post-pandémie, spéculation sur les matières premières à la suite de l’invasion de l’Ukraine, extrême volatilité des cryptomonnaies, usage des réseaux sociaux à des fins de manipulation des cours, etc.). Si le propre du capitalisme tardif, comme le suggérait Jameson, est de se soustraire aux images, il devient alors nécessaire de rematérialiser ses flux afin de les rendre visibles.
Ce numéro ambitionne ainsi de documenter les moyens par lesquels les flux financiers affectent le monde physique et social via la production d’images, et comment, réciproquement, d’autres images, et notamment des images filmiques, cristallisent le flux financier – pour l’alimenter, pour le figer en figures ou pour en désorganiser, au moins fictivement, les principes. Ces images apparaissent ainsi comme des médiations entre plusieurs ordres : celui, virtuel, de la planète financière et spéculative, celui, matériel, des crises sociales et événements affectant les existences et celui, fictif, des inventions – elles aussi « spéculatives », à leur manière – des concepts et des œuvres visant à rendre sensibles les (dys)fonctionnements opaques du marché financier. En analysant comment la finance s’incarne en fait social, technique, médiatique et figuratif au cinéma et dans les arts de l’image en mouvement, les quinze contributions réunies ici tendent ainsi à interroger la spéculation comme processus de création d’images.
Plan du numéro
I. Nouvelles théories visuelles de la valeur
Notre numéro débute par la mise en partage de trois textes introductifs à d’importants ouvrages parus récemment, qui participent chacun à leur manière au renouvellement des outils théoriques nécessaires à la compréhension du phénomène financier au cinéma. En proposant une analyse des documents préparatoires au projet inachevé d’adaptation du Capital qu’Eisenstein avait entamé à la fin des années 1920, Elena Vogman, autrice de La danse des valeurs (2024), permet de jeter un nouveau regard sur la « théorie visuelle de la valeur » proposée par le cinéaste et théoricien soviétique. Alasdair King, à l’origine du récent The Financial Image (2024), propose quant à lui de croiser les diagnostics posés par nombreux penseurs critiques comme Gilles Deleuze, Frédéric Lordon et surtout Maurizio Lazzarato concernant les mutations du capitalisme contemporain avec la célèbre installation Liquidity Inc. (2014) de l’artiste Hito Steyerl. Enfin, Peter Szendy publie ici un ensemble de réflexions inédites venant poursuivre les pistes laissées en suspens dans son ouvrage Le supermarché du visible (2017) et dans l’exposition Le supermarché des images (co-dirigée avec Emmanuel Alloa, 2020). Tout en revenant aux textes de Marx et de Warburg, Szendy propose, avec les concepts d’ « iconoroutes » ou de « voiries du visible », d’ouvrir la démarche iconomique qu’il a participé à fonder aux réflexions contemporaines en théorie des médias, aujourd’hui intéressés à intégrer à la pensée esthétique des images la considération de leur existence toujours déjà logistique.
II. Le « devenir-image » de la spéculation à l’ère numérique
Le marché de l’art avait autrefois le monopole de cet étrange pouvoir consistant à transformer une image en produit financier. Les mutations récentes des pratiques de la spéculation, percutées par la révolution numérique, ont intégré ce principe dont l’achat et la vente d’œuvres détenaient jusqu’alors l’exclusivité. Autrement dit, toute image peut désormais faire l’objet d’un contrat entre un acheteur et un vendeur ; or tout, en milieu numérique, peut devenir une image. Estelle Blaschke, après avoir mené une recherche d’ampleur sur les banques d’images et les métadonnées des photographies d’où celles-ci tiraient leur valeur financière, assurait cette année le commissariat, aux côtés d’Armin Linke, d’une exposition intitulée Capital Image. Nous avons réalisé un entretien avec la chercheuse et curatrice à propos de cette grande enquête sur la spéculation par l’image. Invention du capitalisme tardif fondé sur l’inscription numérique de la valeur, les NFT sont au cœur de l’article de Katia Andrea Morales Gaitán qui interroge les transformations du droit d’auteur et de la propriété intellectuelle – valeurs déjà ontologiquement immatérielles – dans ce nouveau paradigme spéculatif. Enfin, l’article d’Ingrid Luquet-Gad, appuyé sur des analyses historiques montrant à quel point la logique de marchandisation avait profondément restructuré les institutions artistiques depuis les années 1960, étudie la trajectoire de plusieurs collectifs d’artistes numériques new-yorkais qui, se reconnaissant sous le terme d’artistes « incorporés », se sont au moins un temps éloignés du monde de l’art pour se rapprocher de celui de l’entreprise.
III. Figures du Capital : graphes, réseaux, liquidités
Il n’est pas rare d’assister au cinéma à la mise en image des places boursières internationales ou à la peinture des effets – sinon des causes – des différentes crises financières qui ont rythmé le développement du capitalisme13. Toutefois, comme l’a montré Fredric Jameson dans son ouvrage Représenter le Capital (2017), les formes de spécifiques de figuration inventées par les artistes et cinéastes sont constamment aux prises avec les diverses stratégies mises en œuvre par le Capital pour se soustraire aux sens et à l’intellect. Dès lors, quelles méthodes de captation de la réalité et de mise en forme sensible les artistes peuvent-ils et elles mettre en œuvre pour contrer cette obfuscation des enjeux économiques au plus grand nombre ? En s’appuyant sur une lecture jamesonienne (et brechtienne) du film d’Adam McKay The Big Short (2015), Clément Marguerite démontre que cette comédie sur la crise des subprimes met en évidence la nature intrinsèquement politique des enjeux de visualité et d’invisibilité du capital. Consacré à un autre film hollywoodien contemporain, Wall Street : L’Argent ne dort jamais (Oliver Stone, 2010), l’article de Corentin Lê analyse l’homologie que dessine sa mise en scène entre les représentations spatiales de l’espace urbain de Wall Street et les pratiques navigationnelles émergeant avec l’usage des interfaces numériques. En repartant de l’approche iconomique de Peter Szendy, et en comparant le dernier film de Robert Bresson (L’Argent, 1983) et sa représentation des échanges de billets de banque à l’installation d’Hito Steyerl Animal Spirits (2022), parodiant la vogue contemporaine des cryptomonnaies, Natasha Nedelkova démontre les transformations de la participation des œuvres filmiques à l’imaginaire du capitalisme.
IV. La planète financière : de l’extraction à la spéculation immobilière
S’il est coutume de souligner la part insaisissable des transactions financières, caractérisées par une existence en flux à la nature aussi insituable que rapide, les textes de cette partie s’attachent à rappeler la dimension extrêmement matérielle du marché. Dans son essai vidéographique, l’artiste et chercheur Riar Rizaldi prolonge un travail au long cours sur la façon dont les variations de la valeur de l’étain – qui ne cesse de croître depuis l’intensification de son usage en micro-informatique – affectent l’île de Bangka en Indonésie, tant sur le plan écologique que dans les conditions d’existence de ses habitant⋅es et travailleur⋅ses. De son côté, Rodrigo Azaola continue de remonter la piste de l’argent avec une enquête en source ouverte sur les malversations des grandes banques privées, donnant lieu à une pièce vidéographique spéculative. Le terrain de Katleen Vermeir et Rony Heiremans se situe aux abords de Battersea Park, à Londres, où la spéculation immobilière a pris sa forme moderne, comme souvent, au cœur de la révolution industrielle britannique. Dans son film et l’essai qui l’accompagne, le duo d’artistes étudie la façon dont le marché affecte l’espace urbain et s’interroge sur une méthode qui permettrait de rendre à la société les fruits de cette création fictive de valeur. Deux membres du collectif La Clef Revival qui lutte depuis 2020 pour la sauvegarde du cinéma parisien La Clef nous ont expliqué la stratégie visant à sortir ce lieu, situé au centre de Paris, des logiques de la spéculation immobilière et les considérations sur la question de la valeur que ces quatre années de lutte ont fait naître au sein du groupe.
V. Boursicotages : comédies spéculatives
Pour déceler les logiques médiatiques ou idéologiques de la bourse, l’approche consiste parfois à faire œuvre de contre-spéculation : contre la création abstraite de valeur, c’est aux puissances épistémiques de la comédie qu’il faut s’en remettre. Théo Bourgeron et Boris Le Roy de même que Noah Teichner puisent dans les traditions comiques de deux moments de reconfigurations du capitalisme financier : les spéculateurs flaubertiens du XIXe siècle et le burlesque étatsunien du krach. Les premiers s’emparent de la forme du scénario pour projeter le fameux duo d’expérimentateurs candides dans le monde de la finance. Le second, après un ample travail d’archive, opte pour la forme de l’essai vidéographique pour montrer l’influence des médias boursiers sur la chorégraphie du gag dans la crise des années 1930.
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Depuis la mise en chantier de ce numéro, de nombreuses publications importantes sont venues enrichir cette réflexion dans le champ des études cinématographiques et des études visuelles14, signe que la période contemporaine – que certain⋅es désignent sous le terme de « seconde financiarisation15 » – n’a pas fini de reconfigurer la culture visuelle du capital. Le questionnement qui a mené à la constitution de ce numéro découle de l’une de ces reconfigurations : l’« affaire GameStop » survenue en janvier 2021 sur Reddit en pleine pandémie, conduisant à l’envolée de l’action GME (pourtant shortée par plusieurs acteurs puissants de la bourse de New York) à la suite de la mobilisation des redditors de r/WallStreetBets. L’emblème de ce subreddit n’est autre qu’un personnage de cartoon reprenant la posture caractéristique de Leonardo Di Caprio dans Le Loup de Wall Street (Martin Scorsese, 2013), les bras écartés, en signe de victoire. Entre-temps (et dix ans après le film du cinéaste new-yorkais), l’affaire devenait à son tour un film : Dumb Money, réalisé par Craig Gillespie. À son tour, ce numéro et les quinze contributions qui le composent prennent part à la nécessaire conversation sur les enjeux politiques et culturels des images sécrétées par le capitalisme et des formes qui y répondent.
Occitane Lacurie
Occitane Lacurie est chercheuse, critique, programmatrice et vidéaste. Doctorante en arts et études visuelles à l’École des Arts de la Sorbonne sous la direction d’Olivier Schefer et de Christa Blümlinger, et ATER à l’École Normale Supérieure de Lyon, sa recherche vise à éclairer les régimes de visibilité et les modes de rationalité générés par les apparitions fantomatiques et leur étude scientifique dans une perspective d’anthropologie des techniques et d’archéologie des média. Sa pratique vidéographique interroge la façon dont les dispositifs technologiques peuvent être détournés pour matérialiser leur rapport à l’histoire des idées. Ses vidéos ont été montrées au Festival International du film de Pesaro, au Festival des Cinémas Différents et Indépendants de Paris, au Festival du Film de Marienbad ou encore au Museum of Moving Image de New York. Elle est également critique de cinéma pour la revue Débordements et le podcast culturel de Mediapart.
Barnabé Sauvage
Barnabé Sauvage est chercheur postdoctoral au CNRS en charge d’un projet de recherche intitulé « expropr·IA·tion : une histoire matérialiste de l’intelligence artificielle par le film » (THALIM, 2025-2026). Agrégé de lettres modernes et ancien élève de l’École Normale Supérieure de Lyon, il est l’auteur d’une thèse en études visuelles intitulée Politiques du « cinéma de poésie » : histoire idéologique d’une théorie du cinéma (Université Paris Cité – CERILAC, 2024), et de plusieurs articles sur l’histoire de la théorie et de l’esthétique au cinéma et en littérature. Il a notamment co-dirigé l’ouvrage Cinématérialismes : nouvelles approches matérialistes de l’audiovisuel (Mimésis, 2024). Il est également membre du comité de rédaction de la revue de critique et de recherche en cinéma Débordements.
- Peter Szendy, Le supermarché du visible, Paris, Minuit, 2017, p. 18. Concernant la riche bibliographie des rapports entre le monde de l’art et la sphère des échanges économiques, voir par exemple Marc Shell, Art & Money, Chicago-Londres, University of Chicago Press, 1995 ; Alain Deneault, L’économie esthétique, Lux éditeurs, 2020 ; Jean-Pierre Cometti, Nathalie Quintane (dir.), Art et argent, nouvelle édition augmentée, Paris, Les Prairies ordinaires, 2021 ; Jean-Michel Bouhours (dir.), L’argent dans l’art, Paris, In Fine éditions d’art, 2023, catalogue de l’exposition s’étant tenue à la Monnaie de Paris entre mars et septembre 2023.
- Dans son étude pionnière (et largement occultée par les travaux postérieurs d’Howard Becker ou de Pierre Bourdieu sur le sujet), Raymonde Moulin démontrait la solidarité organisée par le marché de l’art entre le goût des critiques et la valeur sonnante et trébuchante de l’œuvre : « Le spéculateur fait deux paris, étroitement solidaires l’un de l’autre à court terme, l’un sur la valeur esthétique, l’autre sur la valeur économique des œuvres qu’il achète, chacune des deux valeurs devant garantir l’autre. Gagner ce double pari, c’est à la fois s’affirmer comme sujet économique et comme sujet culturel. » Raymonde Moulin, Les marchés de la peinture en France, Paris, Minuit, 1967, p. 219.
- Marie-José Mondzain, Le commerce des regards, Paris, Points, 2003, p. 19.
- Susan Buck-Morss, Voir le capital, Paris, Les Prairies ordinaires, 2010.
- « Cette étude consacrée au commerce des hommes dans l’échange qu’ils font de signes visibles tente de dégager l’économie propre à l’image du marché des visibilités auquel tout concourt aujourd’hui à la réduire. » Marie-José Mondzain, Le commerce des regards, op. cit., p. 9.
- Guy Debord, au paragraphe 34 de La société du spectacle, définit son concept-clef comme le stade d’accumulation ultime des marchandises durant lequel le capital devient lui-même image. Dans ses « Notes marginales aux Commentaires sur La société du spectacle », Agamben rappelle la description du Palais des Glace que Marx a visité à Londres en 1851 et dont il se souvient dans un paragraphe célèbre du Capital consacré au « fétichisme de la marchandise » : « Le “devenir-image” du capital n’est que la dernière métamorphose de la marchandise, où la valeur d’échange a désormais totalement éclipsé la valeur d’usage et, après avoir falsifié la totalité de la production sociale, peut accéder désormais à un statut de souveraineté absolue et irresponsable sur l’existence tout entière. » Giorgio Agamben, Moyens sans fin, Paris, Payot, 1995, p. 86.
- Fredric Jameson, Le postmodernisme ou La logique culturelle du capitalisme tardif, trad. Florence Nvoltry, Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, 2011 [1991], p. 365.
- Voir Charles Kindleberger, Histoire mondiale de la spéculation financière, 4ème édition, Paris, Valor, 2005.
- Pour une approche technomédiatique des processus communicationnels et des moyens infrastructurels nécessaires au déploiement concret de la finance globalisée, voir Armin Beverungen, Edward Nik-Khah, Jens Schröter, Markets, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2019.
- Cédric Durand, Le Capital fictif : comment la finance s’approprie notre avenir, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2014.
- Luc Boltanski et Arnaud Esquerre. Enrichissement : une critique de la marchandise, Paris, Gallimard, 2017.
- Max Haiven, Cultures of Financialization: Fictitious Capital in Popular Culture and Everyday Life, Basingstroke, Palgrave Macmillan, 2014.
- Parmi l’ample bibliographie proposant une analyse de ces figures, voir René Prédal, Le cinéma et la crise de 29, Paris, Cerf, 2010 ; Kirk Boyle and Daniel Mrozowski (dir.), The Great Recession in Fiction, Film, and Television: Twenty-First-Century Bust Culture, Lanham, MD: Lexington, 2013 ; Leigh Claire La Berge, Scandals and Abstraction: Financial Fiction of the Long 1980s, Oxford University Press, 2015 ; Constantin Parvulescu (dir.), Global Finance on Screen: From Wall Street to Side Street, London, Routledge, 2018.
- Citons notamment les ouvrages suivants, récemment parus ou à paraître : Calum Watt, Derivative Images. Financial Derivatives in French Film, Literature and Thought, Édimbourg, Edinburgh University Press, 2022 ; Owen Lyons, Finance and the World Economy in Weimar Cinema, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2023 ; Andrew DeWaard, Derivative Media: How Wall Street Devours Culture, Oakland, University of California Press, 2024 ; Mikkel Frantzen, The Birth of the Financial Thriller: Making a Killing in the 1970s, Édimbourg, Edinburgh University Press, 2025 ; Torsten Andreasen, Emma Sofie Brogaard, Torsten Andreasen, Emma Sofie Brogaard, Mikkel Krause Frantzen, Nicholas Alan Huber and Frederik Tygstrup (dir.), Finance Aesthetics — A Critical Glossary, Londres, Goldsmiths Press, 2025
- Voir Marlène Benquet, Théo Bourgeron et Bénédicte Reynaud, « Économie politique de la financiarisation », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 229, vol. 4, 2019, p. 4-13.