Puissances architectoniques du cinéma

02 | 2019 Appel à contributions

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Le second numéro de la revue Images Secondes se propose d’envisager les dynamiques convergentes entre le cinéma et les approches pratiques et théoriques de l’architecture. Si le passage de l’architecture à l’écran a bien souvent été mis en évidence du point de vue de la représentation cinématographique, notamment à travers la notion de décor, ce numéro d’Images Secondes souhaite explorer les dimensions dialogiques entre les formes filmiques et celles de l’architecture.

À partir d’une relecture critique des systèmes de répartition des arts, de nombreux théoriciens du cinéma ont su révéler les parentés entre le cinéma et l’architecture (Ricciotto Canudo, Élie Faure, Sergueï Eisenstein, etc.) dans le prolongement d’une pensée de l’œuvre d’art totale héritée du wagnérisme (Bruno Taut, Walter Gropius, Lázsló Moholy-Nagy, etc.). Réaliser un film et construire un bâtiment engagent des modalités spatio-temporelles, des appareils techniques et des conditions perceptives communes puisque le cinéma, en tant que médium et dispositif, relève à la fois d’une conception artistique et technique en partage avec « l’art d’édifier », selon la formule d’Alberti.

À la croisée des médiums, des dispositifs et des disciplines, le cinéma se configure ici à l’entour de discours formulés dans les champs de la théorie des médias, de la philosophie, de l’histoire de l’art et de l’architecture pour mieux envisager ses zones d’indéfinition. Le « cinéma » est résolument ouvert à un ensemble de manifestations qui relèvent de ce que l’on pourrait appeler avec Eisenstein le « cinématisme », qui insiste sur la dissémination des formes et leurs modalités perceptives dans l’histoire de l’art en général. Plus récemment, dans L’Esthétique de la disparition (1980), Paul Virilio réaffirmait cette intuition qu’il condensait en une formule emblématique de la perspective générale et le principal axe de notre réflexion : « c’est l’ère de la facticité cinématographique, au propre comme au figuré, désormais l’architecture c’est du cinéma ».

Croiser les perspectives, c’est alors proposer un régime visuel architectonique qui s’intéresse aussi bien aux gestes de conception des images qu’aux outils de production et aux dispositifs de perception. Le traitement architectonique du cinéma repose ainsi sur une certaine mitoyenneté entre les discours, les pratiques, et les activités perceptives que suscite aussi bien le regard cinématographique qu’architectural. Dès lors, il s’agira de considérer les propriétés cinématographiques du médium en tant qu’elles permettent de penser, en puissance, et de réaliser, en acte, les gestes et pratiques de l’architecture, et inversement.

Axes de réflexion non exhaustifs
  1. Dynamiques convergentes des outils et techniques entre cinéma et architecture :
  • Qu’est-ce qui relie les activités des cinéastes et des architectes ? C’est d’abord un acte de l’imagination qui invite à se projeter dans une vision (visualisation, conception, modélisation, construction, etc.). Le cinéaste, comme l’architecte, dessine des plans, conçoit des maquettes et produit des images pour parvenir à visualiser et matérialiser ce qui s’était modélisé dans l’esprit. De même que les dessins, les maquettes et les nouvelles techniques de visualisation (3D, réalité virtuelle) entretiennent un dialogue fécond avec les pratiques de certains cinéastes.

  • Le découpage de l’espace au cinéma, les mouvements de caméra et les axes de cadrage sont autant d’outils en partage avec la conception architecturale. Comment cinéastes et architectes s’emparent-ils de ces outils et de ce langage commun ?

  1. Configurations et migrations du dispositif cinématographique :
  • Comment habiter l’espace de la salle de cinéma ? Quelles sont les relations qui se nouent entre le corps du spectateur, l’espace qui l’accueille et la projection des images ? En quoi l’architecture interroge la question du dispositif ? S’il est vrai que le spectateur de cinéma est confronté à une illusion de la représentation spatiale à l’écran, héritée d’une histoire technique des procédés optiques, il s’établit cependant une rencontre avec l’espace physique lors de la projection en salle. De l’espace du film à celui de la salle, les questions liées au dispositif n’ont de cesse de reconfigurer les conditions de réception et de perception du spectateur. Comment envisager la réception du film dans les nouvelles salles (par exemple le cas des Immersive Cinema Experience) qui promettent de réveiller nos sens ?

  • En étudiant l’architecture des salles de cinéma, il s’agit aussi d’évoquer les questions liées à la migration du dispositif cinématographique en dehors de sa configuration spectaculaire. Dans le contexte de l’art contemporain et de ce que l’on appelle « la migration des images » de la salle vers des espaces autres (musées, galeries, lieux alternatifs, internet, etc.), il s’agit de questionner la place de l’architecture dans la dissémination contemporaine du dispositif en étudiant aussi bien les gestes des artistes que les stratégies muséales d’exposition des images.

  1. La distraction comme forme de perception :
  • À partir des considérations autour du concept de distraction, tel qu’il apparaît dans le discours critique des années 1920-1930 (Walter Benjamin, Georg Simmel et Siegfried Kracauer en particulier), comment envisager les conditions perceptives du spectateur de cinéma à la lumière des pratiques architecturales liées à l’urbanisme et aux modes de perception du corps dans le paysage urbain ?

  • En quoi l’opposition entre le régime contemplatif, rattaché à la peinture selon Walter Benjamin, et le régime de la distraction, propre au cinéma et à l’architecture, permet-elle de réfléchir aux implications sensorielles du corps du spectateur-flâneur ? Comment l’espace urbain contemporain redéfinit-il nos conditions de réception des images ?

  • Au milieu du xxe siècle, les Situationnistes introduisent la « Psychogéographie » comme outil critique et exploratoire de la mémoire urbaine. Ils voient dans le territoire urbain une juxtaposition d’ambiances que seule la dérive permet de révéler ou de détourner : le hasard dresse des cartes subjectives qui ajoutent un calque supplémentaire au palimpseste urbain. Comment interroger à nouveau les politiques et pratiques de la dérive, comme montage spatial, dans le cadre des relations entre le cinéma, l’urbanisme et l’architecture ?


Bibliographique sélective

Nasrine Seraji, Jessie Magana (éds.), Architecture & cinéma, École nationale supérieure d’architecture Paris-Malaquais, Gollion, Infolio Éditions, 2015.
Irena Latek, Sophie Paviol, Clotilde Simond, Françoise Véry (éds.), In situ – de visu – in motu : architecture, cinéma et arts technologiques, Gollion, Infolio Éditions, 2014.
Elena Biserna, Precious Brown, (éds.), Cinéma, Architecture, dispositif, Udine, Campanotto, 2011.
David Terrance Fortin, Architecture and science-fiction film : Philip K. Dick and the spectacle of home, Ashgate, 2011.
Juhani Pallasmaa, The Architecture of image : Existential space in cinema, Helsinki, Rakennustieto, 2001.
Michael Tawa, Agencies of the frame : Tectonic strategies in cinema and architecture, Newcastle, Cambridge Scholars Pub., 2011.
Synne Bull, Marit Paasche (éds.), Urban images : Unruly Desires in Film and Architecture, Berlin, Sternberg Press, 2011.
Paolo Cherchi Usai, Frank Kessler (éds.), « Cinéma et architecture », Iris, n°12, Paris, Méridiens Klincksieck, 1991.
Giuliana Bruno, Atlas of Emotion : Journeys in Art, Architecture, and Film, New York, Verso, 2002.
Richard Koeck, Cine-scapes : Cinematic spaces in architecture and cities, New York, Routledge, 2013.
Walter Benjamin, Paris, Capitale du XIXè siècle : Le livre des Passages, Paris, Le Cerf, 1989.
Jonathan Crary, L’art de l’observateur. Vision et modernité au XIXe siècle, Nîmes, Jacqueline Chambon, 1994.
Clotilde Simond, Sophie Paviol, Cinéma et architecture, La relève de l’art, Lyon, Aléas, 2009.
Sergeï Eisenstein, « Montage et architecture », dans Cinématisme, Dijon, Kargo/Les presses du réel, 2009, pp. 43-64.
Bruno Latour et Albena Yaneva, « Give me a gun and I will Make All Building Move. An Ant’s View of Architecture », dans Reto Geiser (éds.), Exploration in Architecture : Teaching, Design, Research, Basel, Birkhäuser Editions, 2008, pp. 80-89.
Georg Simmel, Les grandes villes et la vie de l’esprit, Paris, Éditions de l’Herne, 2007.
Paul Virilio, L’espace Critique. Essai sur l’urbanisme et les nouvelles technologies, Paris, Christian Bourgeois, 1984.
Paul Virilio, Esthétique de la disparition, Paris, Galilée, 1989.
Paul Scheerbart, Architecture de verre. Complété par Bruno Taut, Constructeur du monde et Walter Benjamin, Expérience et pauvreté, Paris, Éditions B2, 2015.
Antonio Somaini, La « Glass house » de Sergueï Eisenstein : Cinématisme et Architecture de verre, Paris, Éditions B2, 2017.
Scott Mc Quire, The Media City : Media, Architecture and Urban Space, London-Los Angeles, Sage, 2008.


Modalité de soumission

Les propositions de contribution seront soumises avant le 31 juillet 2018 à l’adresse suivante : articles@imagessecondes.fr.

Ces propositions, transmises en fichier attaché, seront composées :

  • d’un titre
  • d’une proposition d’environ 500 mots
  • d’une bio-bibliographie de l’auteur de 250 mots maximum

Modalités techniques

Après acceptation de la proposition en septembre 2018, la taille de l’article sera comprise entre 20 000 et 35 000 signes. Il sera soumis par voie électronique au plus tard le 15 décembre 2018.
Les articles seront publiés courant avril 2019 sur le site internet de la revue www.imagessecondes.fr.

Calendrier

Soumission des propositions : 31 juillet 2018
Réception des articles : 15 décembre 2018
Publication : avril 2019

Rédactrices en chef du numéro 02 | 2019
  • Lydie Delahaye, doctorante en cinéma à l’Université Paris 8 – Vincennes–Saint-Denis
  • Éline Grignard, docteure en Études cinématographiques, ATER à l’Université Paris Nanterre.
Comité scientifique du numéro 02 | 2019
  • Christa Blümlinger, ESTCA, Université Paris-8-Vincennes-Saint-Denis.
  • Evgenia Giannouri, IRCAV, Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle.
  • Laurent Guido, CEAC, Université de Lille SHS.
  • Mathias Lavin, ESTCA, Université Paris-8-Vincennes-Saint-Denis.
  • Sophie Paviol, École Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble.
  • Clotilde Simond, IRCAV, Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle.
  • Antonio Somaini, LIRA, Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle.