Le post-cinéma à l’épreuve des films électroniques

Arnaud Widendaële

Le post-cinéma à l’épreuve des films électroniques

Résumé

Cet article se penche sur deux films réalisés grâce à la technologie électronique et distribués en salles dans la première moitié des années 1970 : Parade (Jacques Tati, 1974) et 200 Motels (Frank Zappa, Tony Palmer, 1971). Adoptant une perspective archéologique inspirée par Foucault, il s’agit ici d’examiner les énoncés associés à ces deux œuvres pionnières, et de les comparer à certains usages contemporains, afin de réinterroger la place du numérique au sein du post-cinéma.

Mots-clés

électronique, numérique, cinéma élargi, archéologie, énoncés, Foucault, Tati, Zappa

Référence électronique pour citer cet article

Arnaud Widendaële, « Le post-cinéma à l’épreuve des films électroniques », Images secondes [En ligne], 03 | 2022, mis en ligne le 16 février 2022, URL : http://imagessecondes.fr/index.php/2022/02/16/widendaele/

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Introduction

Il est désormais admis que le tournant numérique a modifié en profondeur la manière de réaliser et de diffuser les films. De nombreux travaux se sont ainsi penchés ces dernières années sur les conséquences épistémologiques, théoriques, esthétiques, etc., des bouleversements engagés par la « digitalisation »1 généralisée. Si plusieurs chercheur·e·s ont semblé suggérer la « fin du cinéma »2 (Bellour, Aumont), d’autres ont nuancé le phénomène en défendant l’idée d’une évolution historique, faisant notamment apparaître des correspondances entre le nouveau paysage médiatique et les premiers temps du cinéma (Gaudreault et Marion)3. Mais bien qu’André Gaudreault situe rétrospectivement l’émergence du « vidéocinéma » dans les années 1950 avec la diffusion des films à la télévision4, la plupart de ces positions, en dépit de leurs différences, ne réinterrogent pas le lien manifestement indéfectible et nécessaire entre la technologie numérique récente et les pratiques associées à ce nouvel état du cinéma que certains nomment aujourd’hui le post-cinéma5.

En revalorisant l’idée d’un « cinéma élargi » ou « étendu », et en saluant, en 2010, le « geste historique » de Gene Youngblood (qui publie son Expanded Cinema en 1970), Philippe Dubois souligne tout de même que la vidéo analogique (aux côtés d’autres technologies, comme l’holographie par exemple) avait déjà amorcé une alternative au modèle dominant du long métrage narratif projeté dans une salle obscure6. De même, à date récente, Dominique Chateau et José Moure ont rappelé qu’il a existé du post-cinéma avant l’heure, mais qu’il n’était tout simplement pas identifiable comme tel dans la mesure où, historiquement et de manière générale, un phénomène précède toujours sa désignation conceptuelle7.

En se gardant de toute illusion rétrospective, nous souhaitons exploiter cette idée d’une lisibilité à contre-temps, en examinant plusieurs énoncés associés à deux films peu commentés8, réalisés grâce à la technologie, non pas numérique, mais électronique : Parade (Jacques Tati, 1974) et 200 Motels (Frank Zappa, Tony Palmer, 1971). Évaluer la proximité entre ces énoncés et certains usages dits post-cinématiques, éloignés de plusieurs décennies, nous obligera à repenser le concept de post-cinéma en le détachant de sa prérogative numérique. L’électronique, telle que nous l’entendons, renvoie à un mode d’enregistrement des images en mouvement fondé sur « la transcription de variations lumineuses […] en variations électriques »9 selon un rapport d’analogie (d’où la dénomination de « vidéo analogique »). Avant le développement du numérique qui, lui, fonctionne par codage, la télévision, l’art vidéo, la vidéosurveillance, etc., reposaient sur cette technologie.

Les deux films retenus comptent parmi les quelques réalisations cinématographiques, distribuées en salles, ayant employé de manière significative la technologie électronique (au tournage aussi bien qu’au montage). Les années 1970 et 1980 sont en effet traversées par un clivage qui oppose deux grandes façons d’aborder l’électronique – ponctuellement désignée sous le terme de « vidéo » – dans ses rapports au cinéma. Si certains cinéastes soulignent l’incompatibilité entre les deux objets (Wenders exemplairement), d’autres s’enthousiasment au contraire pour les possibilités, à la fois économiques et créatives, offertes par la vidéo (Godard, Antonioni, Coppola)10. Tati et Zappa font partie de ces derniers et réalisent deux œuvres novatrices qui réinterrogent, au début des années 1970, la définition même du film. Au sein du corpus relativement restreint que constitue le « cinéma électronique », Parade et 200 Motels entretiennent ainsi, selon nous, le plus de correspondances avec ce que l’on désigne aujourd’hui comme post-cinéma, et notamment avec l’idée d’interactivité mise en lumière par Richard Grusin (interactions entre les médias, interactions entre le spectateur et le film…)11, et celle de « déterritorialisation » commentée par Dubois, mais aussi par Gaudreault et Marion (les images transgressent leurs frontières, circulent entre les espaces institutionnels…)12

Nous adopterons une approche archéologique d’inspiration foucaldienne, privilégiant le modèle de la discontinuité. La méthode archéologique, appliquée ici à des objets étrangers à Foucault13, consiste notamment à décrire des « énoncés » qui, à plus grande échelle et une fois articulés, forment des « discours ». L’énoncé désigne le mode d’existence toujours singulier d’un « ensemble de signes »14 pouvant prendre des formes variées : phrases, dessins, tableaux… Ce mode d’existence supposant des coordonnées historiques et un voisinage précis, la même phrase peut être répétée sans toutefois constituer le même énoncé, selon le champ qui la mobilise, l’époque de sa formulation, etc. L’identité d’un énoncé est donc toujours « relative »15 – relative à sa « surface d’émergence » (où le trouve-t-on ?), son « instance de délimitation » (qui le convoque ?) et sa « grille de spécification » (sur quels critères est-il défini ?)16.

Les énoncés examinés seront dégagés, pour la plupart, des entretiens donnés par les cinéastes et des textes critiques publiés dans la presse française, généraliste et spécialisée, à la sortie des films. Il importe en effet de cibler des énoncés directement contemporains des œuvres, afin de réinscrire le projet de Tati et Zappa au sein même de leur contexte historique d’émergence. En outre, nous pensons que certains énoncés peuvent se déduire des films eux-mêmes, notamment en fonction du mode de représentation employé ou du support utilisé17.

Décrire les énoncés qui ont accompagné Parade et 200 Motels permettra d’envisager le post-cinéma en dehors de son enracinement numérique, et nous incitera à réévaluer, au sein de l’histoire du cinéma, la place de cette technologie mal aimée qu’est l’électronique18.

Le cirque de l’avenir : Parade (Jacques Tati, 1974)

Entre passé et futur

Parade est traversée par une tension entre deux temporalités. Le film, d’une part, compte parmi les œuvres pionnières employant, à partir des années 1970, la technologie électronique19, mais renoue, d’autre part, avec un mode de représentation issu des premières années du cinéma. Réalisé avec les moyens de la télévision suédoise, Parade a été tourné en trois jours, avec quatre caméras disposées, la plupart du temps, autour d’une piste de cirque. Les prises sélectionnées ont ensuite été transférées sur pellicule 16 mm afin que le cinéaste puisse manipuler la bande, et retrouver ses gestes habituels : jauger à l’œil nu, couper, coller…20 Tati, par conséquent, a su tirer profit des avantages économiques offerts par la vidéo tout en conservant les gestes appris, et perfectionnés, au fil de sa carrière. Née d’une situation pour le moins inconfortable (nous y reviendrons), cette méthode expérimentale a entraîné une prise de conscience de la part du cinéaste, enthousiasmé pour les apports de la nouvelle technologie dans le domaine de la création cinématographique. À l’occasion d’un entretien donné aux Cahiers du cinéma, il désigne d’ailleurs la vidéo comme « l’avenir »21du cinéma.

Il est remarquable que cette nouvelle méthode soit au service d’une œuvre faisant écho aux premières vues cinématographiques, et dont beaucoup ont souligné la dimension nostalgique. Parade s’apparente en effet à une suite d’ « attractions »22 présentées à un public intradiégétique, et introduites pour certaines par Tati en personne, endossant alors le rôle d’un Monsieur Loyal. Les attractions se succèdent comme au cirque, et sont ponctuées par les numéros célèbres d’Impressions sportives, que rejoue ici Tati plusieurs décennies après leur création. Le film ne développe pas d’intrigue et n’emploie pas de personnages à proprement parler, à tout le moins tel qu’on l’entend dans le cinéma narratif dominant. Le cinéaste évoque d’ailleurs avec ironie, au détour de plusieurs entretiens, le manque de « structure » ou de « construction » pointé par une partie de la critique23. Parade décline un mode de représentation minoritaire en 1974, qui plus est au sein d’œuvres distribuées en salles d’exploitation, que Tom Gunning a nommé la « confrontation exhibitionniste », et qui dominait les vues cinématographiques jusqu’en 1906-1907 avant d’être supplanté par l’« absorption diégétique »24. La première modalité multiplie les adresses directes au·à la spectateur·ice tandis que la seconde suppose sa négation implicite. André Gaudreault a montré que cette confrontation exhibitionniste se justifiait par l’inscription du cinéma, à la fin du XIXème siècle, au sein d’un « maillage intermédial » tissé de « séries culturelles » variées – un tel voisinage supposant la circulation de traits communs comme la frontalité, l’adresse directe au·à la spectateur·ice, la dimension attractionnelle…25

En outre, Parade occupe une place particulière dans la carrière de Tati, favorisant encore cette tension entre deux temporalités. Le film est en effet réalisé après la débâcle de Playtime (1967), qui oblige le cinéaste à vendre aux enchères les négatifs de ses précédents longs métrages, ainsi que leurs droits d’exploitation. Si Trafic (1971) bénéficie d’un financement privé, c’est grâce à la télévision suédoise, nous l’avons évoqué, que Tati peut entreprendre Parade à soixante-six ans – son dernier film – en délaissant les recherches formelles inaugurées dans Playtime26. Le film voit donc le jour dans un contexte marqué par le renoncement, et a pu légitimement être perçu par une partie de la critique comme un regard nostalgique porté sur le music-hall, où Tati a débuté. En somme, le cinéaste se tournerait vers un univers réconfortant à l’heure des pires difficultés27. Le reprise des anciens numéros d’Impressions sportives encourage en tout cas cette lecture. Dans la presse généraliste, par exemple, Robert Chazal et Louis Chauvet évoquent sans détour cette « nostalgie » que suscitent en eux les souvenirs réactivés par le film28. Si de telles réactions sont compréhensibles dans la mesure, notamment, où elles mobilisent une dimension générationnelle (Chauvet, semble-t-il, a admiré les numéros de Tati au Bal Tabarin), il faut cependant souligner que les déclarations du réalisateur vont à l’encontre d’une quelconque déploration. Contraint, par nécessité, de s’accommoder d’une technologie nouvelle, Tati estime en effet qu’il « recommence à zéro »29 et surtout, qu’« il [lui] reste [la joie] de devenir un débutant »30.

Parade est donc un objet singulier qui renoue avec les premières années du cinéma tout en employant des méthodes et une technologie d’avenir31. Si Tom Gunning pointera le retour de la dimension attractionnelle dans les productions à grand spectacle des années 1980 (chez Spielberg, Lucas et Coppola)32, le film de Tati entretient déjà un lien étroit avec le cinéma des premiers temps (succession d’attractions, interpellation du public, etc.) – un lien qui refera surface au sein du post-cinéma via les plateformes de diffusion33.

Une indétermination identitaire

Les déclarations du cinéaste à la sortie du film et les diverses recensions publiées dans la presse (généraliste et spécialisée) semblent s’accorder, en dépit de leurs différences, sur l’idée d’une indétermination identitaire qui résonne, dans le cadre de cette recherche, avec certaines dimensions du post-cinéma et notamment la « convergence » et l’« hybridité » que Richard Grusin place au centre du « cinéma des interactions »34. Dominique Chateau et José Moure ont eux aussi souligné l’« ambiguïté » constitutive de ce nouvel état du cinéma, partagé entre des modèles d’appréhension concurrents, des méthodes de réalisation différentes, etc.35

Parade, en effet, ne se laisse pas facilement catégoriser car il transgresse des usages dominants. Tout d’abord, nous l’avons répété, le film est réalisé grâce aux moyens de la télévision et fera ainsi l’objet d’une double exploitation, sur le petit écran et en salles. En 1974, une telle collaboration reste exceptionnelle36. En outre, le film présente une série d’attractions effectuées dans un cirque, comme le fait à la même époque une célèbre émission de télévision française, créée par Gilles Margaritis et intitulée La Piste aux étoiles37. Le public français des années 1970 a donc tendance à associer les numéros de cirque, lorsqu’ils ne sont pas mis en intrigue (comme chez Hathaway ou Fellini), au divertissement télévisé. C’est ainsi que Jean Rochereau estime un peu sévèrement que le film de Tati « fera peut-être le bonheur des télévisions non pourvues de « Piste aux étoiles » »38. Le film se situe donc à mi-chemin entre cinéma et télévision, du point de vue de sa genèse et de sa catégorisation.

Tati lui-même décrit Parade, non comme un film, mais comme un « spectacle » et encourage les spectateurices à réagir, à applaudir, à sortir de la salle s’iel·le·s s’ennuient, en d’autres termes, à abandonner le comportement habituellement prescrit39. À plusieurs reprises, il déclare explicitement avoir tenté de supprimer la « glace » entre le·la spectateurice et l’écran, c’est-à-dire le quatrième mur40. Il aurait d’ailleurs souhaité, précise-t-il avec regret, que le film soit projeté « dans un décor spécial qui fasse oublier la salle de cinéma »41. Cette volonté de rompre avec le modèle dominant de la salle obscure pour proposer ce que l’on pourrait désigner comme une expérience de « cinéma élargi » (interactivité, décor) éclaire le privilège de la confrontation exhibitionniste que nous avons relevé plus haut, et explique pour partie l’indétermination identitaire attachée au film.

Ce projet d’un « décor spécial » au sein duquel les spectateurices retrouveraient leur mobilité, bien qu’il soit resté lettre morte, n’est pas sans évoquer les pratiques scénographiques développées plus tard par des cinéastes comme Jean-Luc Godard ou Agnès Varda, emblématisant un versant du post-cinéma parfois décrit comme du « cinéma d’exposition »42. Il y aurait ainsi des correspondances à établir entre ce film rejouant les numéros d’Impressions sportives, offert au public dans un décor niant la salle obscure, et des installations fondées elles aussi sur un geste de reprise, telles que les différentes Cabanes de Varda, par exemple43. Pour la présentation du film à Cannes en mai 1974, Tati avait d’ailleurs orchestré une performance en public, entouré par des artistes de cirque, déplaçant littéralement le spectacle hors les murs44.

Parade, de manière réflexive, prescrit son mode de réception via le comportement d’un public intradiégétique. Si le film se structure par des allers-retours entre la scène et les gradins, formant deux instances bien campées l’une en face de l’autre, Tati signale très vite que le spectacle n’est pas toujours là où on l’attend : il circule de la scène aux coulisses, des coulisses au public, etc. Le réalisateur a souligné cette dimension transversale à différentes reprises en insistant sur le fait que son film n’était pas une simple captation de numéros filmés45. Le spectacle se déploie et touche différents objets de représentation, à commencer par les tenues des spectateurices, et plus précisément celles de la jeune génération, particulièrement bariolées (le début de la décennie prolonge la mode hippie). Ainsi, lorsque la caméra se situe non pas devant mais derrière l’artiste en scène, le·la spectateurice fait face à une myriade de points colorés. Si les numéros présentés alternent le plus souvent avec des plans de réaction, l’entracte est l’occasion d’une série de vignettes explicitant le principe de porosité décliné par le film : un premier spectateur est posté devant l’affiche d’un clown qui semble lui renvoyer sa propre image ; un deuxième se badigeonne de crème glacée et fait lui aussi – littéralement – figure de clown ; un troisième se baisse pour refaire ses lacets et dévoile son postérieur face caméra ; etc. Les attractions, en résumé, se retrouvent des deux côtés de la scène et jusque dans les coulisses : plusieurs peintres occupés à fignoler les décors se révèlent des jongleurs virtuoses… Cette mise en spectacle généralisée transgresse les frontières habituellement fixées et construit un énoncé, au sens foucaldien, par des moyens purement audiovisuels.

Cinéma, télévision : déterritorialisation

La singularité du film de Tati tient, selon nous, au phénomène de déterritorialisation qu’il met en jeu au début des années 1970, quelques décennies avant que cette notion ne domine, sous des appellations parfois différentes (« mouvement des images », « migration »…), le champ de l’art contemporain. Nous l’avons répété, la majeure partie du film est tournée avec des caméras électroniques et présente un spectacle que d’aucuns associent aux divertissements télévisés. En résulte alors, pour certains, un décalage entre le contenu proposé et les conditions de visionnement. Si plusieurs critiques soulignent une différence significative entre Parade et La Piste aux étoiles, d’autres s’étonnent qu’un tel film ait sa place en salles. Un critique de Cinéma 81, dont le nom n’est pas précisé, affirme ainsi « que Parade est fait pour la télévision et que sa diffusion dans des salles trop vastes sur des écrans trop grands lui enlève le charme et l’intimité qui en sont la base »46. Si le critique précise que ce film « est le contraire de « la Piste aux étoiles » », il rappelle néanmoins qu’il est indispensable de le voir chez soi, sur son petit écran. En dépit des déclarations de Tati, appelant de ses vœux les réactions bruyantes d’un public nombreux, le critique loue le cinéaste pour avoir « compris que la télévision jou[ait] sur la présence, l’immédiateté, la familiarité et la « famillialité »[sic] »47. Une telle appréciation est significative dans la mesure où elle présuppose un partage entre les films, selon leur degré de compatibilité avec le grand écran. Parade serait fait pour la télévision et ne saurait donc migrer en salles sans perdre une partie de ses qualités. Dans la revue Écran, Alain Lacombe revient sur cette crispation suscitée par la double exploitation du film :

[…] on a beaucoup dit que ce film faisait très « télévision ». Cette remarque banale en soi, est en réalité significative. Elle découle de l’idée que l’on se fait en France du spectacle télévisuel. Il semble inconcevable que l’on puisse présenter au cinéma un « show » qui aurait pu être conçu pour la télévision. À la limite, c’est là le grand mérite de Tati : avoir su perturber notre habitude de regard.48 

Cette dernière phrase souligne l’originalité de Parade et son caractère résolument minoritaire au début des années 1970. Le film se situe entre pellicule et vidéo49, entre cinéma et télévision, entre passivité et interactivité, entre passé et futur, et bouleverse, comme l’écrit Lacombe, « notre habitude de regard ».

Bien que le post-cinéma se caractérise par la marginalisation du modèle de la salle obscure, l’interactivité entre l’œuvre et son public ou encore la déterritorialisation des images, Parade est bien loin du virage numérique qui en favorise l’émergence à la fin des années 1990. Le film, cependant, entre en résonance avec cette catégorie contemporaine, et mérite d’être réinscrit au sein d’une archéologie attentive aux discontinuités et surtout, déprise de toute visée téléologique. Le cinéaste a certes tiré profit d’une technologie relativement neuve, la vidéo électronique, mais n’a pas ouvert la voie à d’autres productions. Lorsque Francis Ford Coppola, par exemple, s’empare de la vidéo en 1982, moins de dix ans plus tard, il invente sa propre méthode sans jamais évoquer l’exemple de Tati. Œuvre hybride d’un cinéaste solitaire, évoluant en dehors des milieux expérimentaux, le film de Tati est un objet complexe qui invite à problématiser l’historicité du post-cinéma.

Solitude du pionnier : 200 Motels (Frank Zappa, Tony Palmer, 1971)

Une œuvre en forme de question

Réalisé quelques années auparavant, 200 Motels entretient plusieurs points communs avec Parade, à commencer par l’usage de la technologie électronique. Pour des raisons économiques, la majeure partie du film a en effet été tournée en vidéo, puis transférée sur pellicule par la société Vidtronics, afin de permettre une exploitation en salles. Bouclé en une semaine, le tournage à plusieurs caméras dans les studios de Pinewood, en Angleterre, a engrangé des dizaines d’heures d’enregistrement, à partir desquelles Zappa a ensuite mis en forme son film, situant de son propre aveu l’essentiel du processus créatif en phase de montage50. 200 Motels partage avec Parade une dimension attractionnelle qui le singularise par rapport aux longs métrages exploités en salles à la même époque. Zappa structure son film autour d’une suite de performances scéniques, exécutées le plus souvent dans un rapport de confrontation exhibitionniste : chansons, déclamations scabreuses, effeuillage, etc. Si une intrigue minimale se tisse dans les marges, à l’occasion de plusieurs saynètes souvent absurdes, elle vaut surtout comme principe de liaison entre les chansons et autres numéros de vaudeville proposés. On trouve également, comme chez Tati, la présence d’un personnage de présentateur, nommé Rance Muhammitz (Theodore Bikel), introduisant le film en haranguant le public : « Ladies and gentlemen, 200 Motels, life on the road ! »

Dans The True Story of 200 Motels, que Zappa réalise en 1988, le musicien et cinéaste rappelle l’originalité de son travail à l’orée des années 1970. Les mentions introductives précisent que 200 Motels est « le premier long métrage à avoir été tourné en vidéo »51, qu’« il a établi les normes des techniques vidéo les plus avancées de son temps », qu’« il a introduit la forme de base de la plupart des rock videos » et qu’enfin, il a eu des « critiques merdiques »52. Ces informations, données rétrospectivement, soulignent la dimension pionnière attachée au film. En 1971, 200 Motels expérimente, par nécessité, des méthodes nouvelles. Zappa y revient dans The True Story… en précisant que la vidéo se justifiait avant tout par son faible coût, comparativement à la pellicule, et par son instantanéité. Il est remarquable, à nouveau, qu’une œuvre tournée vers l’avenir, pour le dire schématiquement, et distribuée en salles, renoue avec un mode de représentation associé aux vues des premiers temps, créant ainsi une déflagration qui interroge nécessairement l’historiographie du cinéma.

Si Tati refusait l’appellation de « film », Zappa estime pour sa part que 200 Motels relève de plusieurs catégories à la fois. Il le décrit comme la « combinaison mix-média d’un film, d’un opéra, d’un show télévisé et d’un concert de rock », autant de formes mobilisées selon lui pour raconter la façon dont les tournées « rendent fou »53. L’un des acteurs principaux et chanteur des Mothers of Invention, Howard Kaylan, interrogé sur le plateau de tournage, déclare dans The True Story… que l’intention du cinéaste est de créer un film à la fois « plein de conneries » mais aussi par endroit « techniquement parfait », de sorte que le public quitte la salle en s’interrogeant sur le « message » transmis – or, précisément, cette incompréhension selon Kaylan constitue le message. Une telle volonté, à nouveau, tisse un lien étroit avec Parade dont l’une des vertus, nous l’avons vu, consiste justement à perturber les habitudes de regard. Zappa, semble-t-il, a voulu multiplier les formes spectaculaires pour que 200 Motels n’en épouse précisément aucune. S’il a pu évoquer la métaphore de la symphonie (avec ses leitmotivs, ses contrepoints, etc.), le cinéaste a surtout désigné le film comme « un Quoi ? »54, c’est-à-dire une question, affirmant par là même, et avec force, son indétermination identitaire. Les critiques français, d’ailleurs, ne manquent pas de souligner cet aspect : pour Jean-Pierre Jeancolas, « le film échappe à toute tentative de description »55, quand Hubert Niogret le décrit, de manière significative, comme « une sorte de puzzle joué, chanté, dansé, à la fois déroutant, grotesque, truculent, boursouflé, bouffon, qui défie toutes les appréciations critiques »56.

Une esthétique de l’étonnement et du direct

À la différence de Parade, le film de Zappa développe, pour reprendre la formule de Tom Gunning à propos du cinéma des premiers temps, une « esthétique de l’étonnement »57 associée aux possibilités formelles de la technologie électronique. 200 Motels multiplie les effets visuels au cours des chansons jouées en live, et propose une série d’altérations perceptives rendues possibles par les modifications du signal électronique58. Si le projet, entrepris en 1970, est contemporain des œuvres de « videographic cinema » commentées par Gene Youngblood (Scott Bartlett, Tom DeWitt, Jud Yalkut, etc.)59, le film a ceci de singulier qu’il introduit dans la salle de cinéma des expérimentations visuelles jusqu’ici cantonnées aux universités et autres galeries d’art. C’est d’ailleurs l’un des principaux points de distinction avec Parade, qui utilise très peu d’effets spéciaux. Zappa s’est certes emparé de la vidéo pour des raisons économiques, comme nous l’avons dit, mais il a également exploité en quantité les effets disponibles sur les synthétiseurs et autres consoles électroniques : surimpression, incrustation, colorisation, solarisation… De nombreux mélanges d’images accompagnant les chansons interprétées par les Mothers ponctuent ainsi le film, redoublant la dimension attractionnelle de la performance live par des stimulations visuelles hypnotiques. Comme l’a souligné Philippe Dubois à propos de l’art vidéo, les effets électroniques de mélanges d’images contreviennent aux principes d’unité et d’homogénéité qui gouvernent le cinéma dominant60. Un tel travail plastique, en grande partie fondé sur la « métamorphose »61, et produisant la désagrégation des figures reconnaissables, se retrouve ici au sein d’un long métrage distribué en salles, et actualise par conséquent un autre phénomène de déterritorialisation. La singularité du film de Zappa s’appréhende également au regard de ce brouillage des frontières institutionnelles. De manière symptomatique, le critique Jean-Jacques Dupuich écrit d’ailleurs que 200 Motels « ne paraîtra vraiment neuf qu’à ceux qui ne connaissent pas l’underground cinema »62.

Enfin, le film joue sciemment de son origine télévisuelle (caméras électroniques, tournage en plateau) en pastichant la forme du show télévisé et en important une série de conventions, notamment énonciatives, issues de la télévision. Si Parade faisait songer, pour certains, à un programme télévisé, Zappa intègre à dessein ce modèle d’emprunt, pratiquant comme nous l’avons vu un mélange des genres. Nous avons déjà évoqué Rance Muhammitz, interrogeant le public micro en main à propos des saynètes auxquelles il assiste. Notons qu’un autre personnage, « Larry the Dwarf », incarné par Ringo Starr (grimé en Zappa), s’adresse lui aussi ponctuellement au·à la spectateurice, parodiant la posture du journaliste de terrain. 200 Motels multiplie, via ces deux personnages, des adresses directes qui articulent regards à la caméra et gros plans de visage. En outre, Zappa exploite les possibilités du tournage à plusieurs caméras, créant des effets de direct typiques des réalisations télévisées (réactions immédiates d’un public intradiégétique, rythme des changements de plans calé sur la musique, etc.). Le cinéaste a d’ailleurs insisté sur le fait que, contrairement à la plupart des représentations cinématographiques, les chansons du film avaient été enregistrées en live, d’un seul bloc63. En conséquence, le montage – effectué en direct depuis une régie ou après-coup, à partir des bandes enregistrées – ne dénature pas la performance musicale. Comme Jean Renoir en France, avec Le Testament du Docteur Cordelier (1959), une dizaine d’années auparavant, Zappa tire profit de méthodes télévisuelles pour réaliser une œuvre distribuée en salles64. Encore accentués par la dimension théâtrale du tournage en plateau, les effets de direct amènent notamment Jeancolas, déjà cité, à désigner le film comme « un gigantesque happening »65.

En important des conventions issues de programmes télévisés au sein d’un film essentiellement attractionnel projeté en salles, et en proposant par ailleurs des chansons jouées live, enregistrées en continuité par plusieurs caméras, Zappa anticipe en quelque sorte l’une des « nouvelles déclinaisons de l’image en mouvement » commentées par André Gaudreault et Philippe Marion, et rangées sous l’appellation de « hors-film »66. Bien que 200 Motels ne soit pas projeté en direct stricto sensu, sa dimension télévisuelle couplée à l’expérience collective de la salle engage une forme de déracinement qui sera symptomatique de l’ère numérique. 

Les deux films étudiés obligent à réinterroger la place de la technologie au sein des définitions du post-cinéma dans la mesure où ils mettent en jeu des énoncés qui lui sont habituellement associés, sans toutefois recourir au numérique. Parade et 200 Motels, nous l’avons vu, sont des objets transgressifs émanant de créateurs solitaires, qui s’affranchissent des usages dominants au tournant des années 1970, et soulèvent auprès de la critique française des interrogations significatives. L’intérêt porté aux énoncés encourage ici à questionner à la fois les bornes historiques du post-cinéma et le rôle qu’y occupe le numérique. S’il n’est pas question de nier les bouleversements sans précédent amenés par la digitalisation, l’archéologie foucaldienne met ici en lumière des cas complexes qui posent problème. Les énoncés, en effet, émergent de manière discontinue, attachés à des pratiques différentes, et s’inscrivent dans un jeu de relations plurielles dont la technologie ne semble être qu’un aspect. Nous avons ainsi montré que l’interactivité et la déterritorialisation des images n’étaient pas le fait de la seule technologie numérique. Le corpus entier des films électroniques, c’est-à-dire des films réalisés grâce à la technologie électronique et exploités en salles, mériterait un examen du même ordre qui établirait à la fois des écarts et des rapprochements par rapport aux pratiques numériques actuelles, et permettrait d’évacuer tout à fait le spectre de la téléologie technologique67.


Arnaud Widendaële

Ancien ATER, Arnaud Widendaële est docteur en études cinématographiques, chargé d’enseignement à Lille, Amiens et Paris 3, et membre associé du Laboratoire de recherche CEAC (EA3587). Il a soutenu en 2016 une thèse intitulée « La vidéo au regard du cinéma : pour une archéologie des « idées de vidéo » dans la presse cinématographique française (1959-1995) ». Il a participé dernièrement au n°30 des Cahiers du CIRCAV (« L’Art des génériques [Cinéma] »), ainsi qu’au dossier « Les naissances du numérique » de la revue Sens public et à l’ouvrage collectif Les Fantaisies de John Ford (Éditions Passage(s), 2020). Ses recherches actuelles portent notamment sur l’émergence historique de la VHS et sur les pratiques culturelles qu’elle a suscitées.


  1. Le terme est emprunté à André Gaudreault et Philippe Marion dans La Fin du cinéma ? Un média en crise à l’ère du numérique, Paris, Armand Colin, coll. « Cinéma/Arts visuels », 2013, p. 60. Les auteurs font la distinction entre la « numérisation » qui désigne le « procédé », et la « digitalisation » qui désigne le « processus ».
  2. La formule fait bien sûr référence à l’ouvrage de Gaudreault et Marion cité en note 1.
  3. Raymond Bellour, La Querelle des dispositifs. Cinéma – Installations, expositions, Paris, P.O.L, 2012 ; Jacques Aumont, Que reste-t-il du cinéma ?, Paris, Vrin, 2012 ; André Gaudreault et Philippe Marion, La Fin du cinéma ? Un média en crise à l’ère du numérique, op. cit.
  4. André Gaudreault, « Le cinématographe, le cinéma et, maintenant, le « vidéocinéma » », communication prononcée le 13 octobre 2014 à la Bibliothèque nationale de France (site Richelieu) dans le cadre du séminaire « Vidéo des premiers temps », sous la responsabilité d’Alain Carou, Hélène Fleckinger et Sébastien Layerle (compte-rendu en ligne : http://earlyvideo.hypotheses.org/946) ; André Gaudreault, « Quelle histoire ?! Le cinéma est définitivement descendu de son piédestal », communication prononcée le 4 avril 2014 à l’Université de Udine dans le cadre de la XXI Udine International Film Studies Conference, « At The Borders Of (Film) History : Temporality, Archaelogy, Theories » (2-4 avril 2014).
  5. Voir notamment : Shane Denson et Julia Leyda (dir.), Post-Cinema : Theorizing 21st-Century Film, Falmer, Reframe Books, 2016 ; Malte Hagener, Vinzenz Hediger et Alena Strohmaier (dir.), The State of Post-Cinema. Tracing the Moving Image in the Age of Digital Dissemination, London, Palgrave Macmillan, 2016 ; Dominique Chateau et José Moure (dir.), Post-cinema. Cinema in the Post-art Era, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2020. 
  6. Philippe Dubois, « Présentation », dans Philippe Dubois, Frédéric Monvoisin, Elena Biserna (dir.), Extended cinema. Le cinéma gagne du terrain, Pasian di Prato, Campanotto Editore, coll. « Zeta Cinema », 2010, pp. 13-14. Andrew V. Uroskie, ainsi que François Bovier et Adeena Mey, entre autres, se sont également intéressés aux rapports entre le « cinéma élargi » des années 1960 et 1970 et les pratiques contemporaines de « cinéma exposé ». Voir Andrew V. Uroskie, Between the Black Box and the White Cube. Expanded Cinema and Postwar Art, Chicago, London, University of Chicago Press, 2014 ; François Bovier et Adeena Mey (dir.), Cinéma exposé, Lausanne, Dijon, ECAL/École cantonale d’art de Lausanne, Les presses du réel, 2015. Raymond Bellour ausculte les passages entre les images et les espaces institutionnels depuis le début des années 1990 et le premier volume de L’Entre-Images (La Différence, 1990), mais ne les rabat pas à tout prix sur le cinéma, aussi « élargi » ou « étendu » soit-il. Il critique d’ailleurs Dubois dans le chapitre introductif « Querelle » de son ouvrage La Querelle des dispositifs. Cinéma – installations, expositions, op. cit., pp. 13-47.
  7. Dominique Chateau et José Moure, « Introduction », dans Dominique Chateau et José Moure (dir.), op. cit., p. 15.
  8. S’il n’existe pas à notre connaissance d’articles de recherche consacrés au film de Zappa, signalons concernant Tati le texte d’Alain Bergala, « Le dernier manteau d’Arlequin », dans Bernard Benoliel (dir.), Le Préjugé de la rampe – Pour un cinéma déchaîné, Saint-Sulpice-sur-Loire, ACOR, 2004, pp. 17-20, et le chapitre de Philippe Dubois, « Des années 70 aux années 80. Les « expériences vidéo » de quelques grands cinéastes » [1989-1990], La Question vidéo. Entre cinéma et art contemporain, Crisnée, Yellow Now, coll. « Côté cinéma », 2001, pp. 125-137. Dans sa monographie sur Tati (Cahiers du cinéma, 1987), Michel Chion ne s’attarde guère sur Parade, qu’il décrit comme une singularité dans la carrière du cinéaste pour son usage de la vidéo et du gros plan.
  9. Dominique Belloir, « Vidéo et Création », dans Dominique Belloir et Jean Narboni (dir.), « Vidéo Arts Explorations », Cahiers du cinéma, hors série, n°10, 1981, p. 8.
  10. Pour plus de détails, je me permets de renvoyer à ma thèse de doctorat La vidéo au regard du cinéma : pour une archéologie des « idées de vidéo » dans la presse cinématographique française (1959-1995), Université Lille Nord de France, ED SHS, novembre 2016.
  11. Richard Grusin, « DVDs, Video Games, and the Cinema of Interactions » [2006 et 2007], dans Shane Denson et Julia Leyda (dir.), op. cit., pp. 65-87.
  12. Voir notamment : Philippe Dubois, « Introduction » dans Philippe Dubois, Lúcia Ramos Monteiro et Alessandro Bordina (dir.), Oui, c’est du cinéma. Formes et espaces de l’image en mouvement, Pasian di Prato, Campanotto Editore, coll. « Zeta Cinema », 2009, pp. 7-10 ; Philippe Dubois, « Mouvements improbables. Parcours d’exposition » [2002-2003], La Question vidéo. Entre cinéma et art contemporain, op. cit., pp. 263-309 ; André Gaudreault et Philippe Marion, La Fin du cinéma ? Un média en crise à l’ère du numérique, op. cit.
  13. Nous suivons en cela l’exemple de François Albera et Maria Tortajada, et plus largement celui des chercheurs issus de la section Histoire de l’Université de Lausanne (UNIL), qui ont mis à profit ces dernières années les méthodes archéologique et généalogique développées par Foucault. Voir notamment, parmi les nombreux travaux : Maria Tortajada, « Archéologie du cinéma : de l’histoire à l’épistémologie », CiNéMAS, vol. 14, n°2-3, printemps 2004, pp. 19-51. Notre intérêt, cependant, se concentre avant tout sur les discours et non sur les dispositifs (dont le discours n’est qu’un aspect). 
  14. Michel Foucault, L’Archéologie du savoir [1969], Paris, Gallimard, coll. « Tel », 2008, p. 158.
  15. Hubert Dreyfus et Paul Rabinow, Michel Foucault. Un parcours philosophique [1984], Paris, Gallimard, coll. « Folio/Essais », 1992, p. 72.
  16. Michel Foucault, op. cit., pp. 60-71.
  17. Foucault en fait l’hypothèse pour la peinture à la fin de L’Archéologie du savoir (op. cit., pp. 262-263).
  18. Mal aimée car associée à un média concurrent (la télévision), une image grossière, etc. Plusieurs de ces aspects sont abordés au fil de ma thèse de doctorat, La Vidéo au regard du cinéma : pour une archéologie des « idées de vidéo » dans la presse cinématographique française (1959-1995), Université Lille Nord de France, ED SHS, novembre 2016.
  19. Steppenwolf (Fred Haines, 1974), Il mistero di Oberwald (Michelangelo Antonioni, 1980), One from the Heart (Francis Ford Coppola, 1982), pour ne citer que quelques exemples.
  20. Le montage obtenu sur film a ensuite été reproduit à l’identique à partir des bandes magnétiques, puis le résultat a été transféré sur pellicule 35 mm en vue de l’exploitation. Voir Serge Daney, Jean-Jacques Henry et Serge Le Péron, « Propos rompus », Cahiers du cinéma, n°303, septembre 1979, p. 24.
  21. Idem.
  22. Nous empruntons bien sûr le terme à Tom Gunning, qui en a fait un concept central pour appréhender le cinéma des premiers temps. Parmi les nombreux travaux qu’il consacre à l’attraction, citons notamment Tom Gunning, « Le Cinéma d’attraction : le film des premiers temps, son spectateur, et l’avant-garde » [1986], in 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, AFRHC, n°50, décembre 2006, pp. 55-65, et « Cinéma des attractions et modernité », Cinémathèque, n°5, Paris, printemps 1994, pp. 129-139. On trouve une liste générale des publications originales de Gunning sur l’attraction dans Wanda Strauven (dir.), The Cinema of Attractions Reloaded, Amsterdam, Amsterdam University Press, coll. « Film Culture in Transition », 2006.
  23. Il évoque la chose dans l’émission radiophonique Radioscopie diffusée sur France Inter le 23 décembre 1974, au micro de Jacques Chancel, puis devant les étudiants de l’IDHEC en novembre 1981. Voir Jean-André Fieschi, La Voix de Jacques Tati, Strasbourg, Limelight – Les Éditions Ciné-fils et le Festival Cinéma de Mulhouse « Espoirs en 35 mm », 1996, p. 9.
  24. Tom Gunning, « Le Cinéma d’attraction : le film des premiers temps, son spectateur, et l’avant-garde » [1986], art. cit.
  25. André Gaudreault, Cinéma et attraction. Pour une nouvelle histoire du cinématographe, Paris, CNRS Éditions, 2008, pp. 89-144.
  26. Marc Dondey, « Trafic, Parade, Confusion », Tati, Paris, Ramsay Cinéma, 1989, pp. 223-258.
  27. Marc Dondey évoque le film comme « un adieu à la scène, un dernier tour de piste ». Ibid., p. 242. 
  28. Robert Chazal, « La joie du Cirque », France-Soir, 19 décembre 1974 et Louis Chauvet, « Parade », Le Figaro, 4 novembre 1974.
  29. François Maurin, « Du rire teinté d’austérité », L’Humanité, 28 décembre 1974.
  30. C. G., « Jacques Tati et Jérôme Savary », Le Monde, 15 mai 1974.
  31. Technologie qui sera par ailleurs associée à des connotations futuristes au cours de la décennie suivante. Voir notamment le numéro hors série de Télérama, « Vidéo 82 » dirigé par Rémy Pernelet en 1982, et le numéro hors série des Cahiers du cinéma, « Où va la vidéo ? », dirigé par Jean-Paul Fargier en juin 1986.
  32. Tom Gunning, « Le Cinéma d’attraction : le film des premiers temps, son spectateur, et l’avant-garde » [1986], art. cit.
  33. Voir notamment Ruth Mayer « Early/Post-Cinema : The Short Form, 1900/2000 », dans Shane Denson et Julia Leyda (dir.), op. cit., pp. 616-645.
  34. Richard Grusin, art. cit., p. 68.
  35. Dominique Chateau et José Moure, art. cit., p. 14.
  36. Notons cependant qu’à la même période Ingmar Bergman réalise Scènes de la vie conjugale selon le même modèle.
  37. L’émission est diffusée entre 1956 et 1978. 
  38. Jean Rochereau, « Parade », La Croix, 14 mai 1974.
  39. Jean-André Fieschi, op. cit., p. 9.
  40. Ibid., et Serge Daney, Jean-Jacques Henry et Serge Le Péron, art. cit., p. 24.
  41. Jean de Baroncelli, « Un soir de fête avec Tati », Le Monde, 22 décembre 1974.
  42. Jean-Christophe Royoux, « Cinéma d’exposition : l’espacement de la durée », Art Press, n°262, novembre 2000, pp. 36-41.
  43. On trouve également dans Les Plages d’Agnès (Varda, 2008) nombre d’installations fonctionnant sur un principe autobiographique de reprise (reprise d’images, de gestes, de vêtements, d’accessoires, etc.). 
  44. On trouve un aperçu de ces festivités dans une archive télévisée visible sur le site de l’INA à l’adresse : https://m.ina.fr/video/I00019566/jacques-tati-a-cannes-pour-le-film-parade-video.html.
  45. Il y revient notamment dans l’émission Radioscopie citée plus haut.
  46. Auteur inconnu, « Parade », Cinéma 81, n°276, décembre 1981, p. 100.
  47. Idem.
  48. Alain Lacombe, « Parade », Écran, n°33, février 1975, p. 58.
  49. Plusieurs scènes du film ont été enregistrées sur pellicules 16, super 16 et 35 mm, avant la session de tournage en vidéo. Voir David Bellos, Jacques Tati. His life and art, London, The Harvill Press, 2001, p. 315.
  50. Si Tony Palmer est crédité au générique comme responsable du « shooting screenplay » et réalisateur des « visuals », la collaboration avec Zappa s’est manifestement révélée des plus chaotiques puisque le film The True Story of 200 Motels (Frank Zappa, 1988) nous apprend que Palmer a menacé, à la fin du tournage, de détruire toutes les bandes enregistrées…
  51. Bien que Jean Renoir ait réalisé son Testament du Docteur Cordelier, en 1959, avec les moyens de la télévision française, le film fut enregistré sur pellicule. Sauf erreur donc, Zappa a raison de revendiquer la paternité du premier film tourné en vidéo et distribué en salles. 
  52. « It was the first feature-lenghth film to be shot on video tape. It was photographed in 7 8-hour days. It was edited in 11 10-hour days… without the use of computer facilities. It cost $679,000. It set the standards for the most advanced video techniques of its time. It introduced the basic form used in most rock videos. It got shitty reviews. »
  53. La déclaration est extraite de The True Story of 200 Motels.
  54. Christophe Delbrouck, Frank Zappa & les mères de l’invention (1940-1972), Pantin, Le Castor Astral, coll. « Castor music », 2003, p. 336.
  55. Jean-Pierre Jeancolas, « 200 motels », Jeune cinéma, n°61, février 1972, p. 44.
  56.  Hubert Niogret, « Deux cents motels (200 motels) », Positif, n° 136, mars 1972, p. 68.
  57. Tom Gunning, « An Aesthetic of Astonishment : Early Film and the (In)credulous Spectator » [1989], dans Linda Williams (dir.), Viewing Positions : Ways of Seeing Films, New Brunswick, N.J., Rutgers University Press, 1995, pp. 114-133.
  58. Christophe Delbrouck pointe à ce sujet « un effet de poudre aux yeux ». Voir Christophe Delbrouck, op. cit., p. 351. Le critique Jean-Jacques Dupuich écrit, pour sa part, que Zappa « sort comme un magicien de son chapeau un tas d’images en couleurs et des tas de trucs qui font pouêt-pouêt […] ». Voir Jean-Jacques Dupuich, « 200 motels », La revue du cinéma. Image et son, n°257, février 1972, p. 133.
  59. Gene Youngblood, Expanded cinema, New York, P. Dutton & Co, Inc., pp. 317-336. 
  60. Philippe Dubois (avec Marc-Emmanuel Mélon et Colette Dubois), « Cinéma et vidéo. Correspondances, montages, incorporations » [1986-1987], La Question vidéo. Entre cinéma et art contemporain, op. cit., pp. 140-163. Le critique Jean-Paul Fargier, qui a notamment tenu de février 1978 à avril 1989 une chronique régulière au sein des Cahiers du cinéma consacrée à la défense et l’illustration de la vidéo, et particulièrement de l’art vidéo, développe la même thèse.
  61. Le terme est utilisé par l’artiste Scott Bartlett. Voir Gene Youngblood, op. cit., p. 317.
  62. Jean-Jacques Dupuich, art. cit., p. 134.
  63. L’information provient de The True Story of 200 Motels
  64. Renoir a réalisé ce film, qui connaîtra une double exploitation (à la télévision et en salles), avec les moyens matériels de la RTF. Le cinéaste souhaitait alors expérimenter le tournage en continuité, à plusieurs caméras, afin d’obtenir un gain de vérité de la part des acteurs. Voir notamment : Michel Delahaye, « Renoir. Théâtre + cinéma = TV », Cinéma 59, n°38, juillet 1959, pp. 31-36 ; Jean Renoir, « Entretien avec Michel Déry », Le Cinéma chez soi, n°27, mars 1960, repris dans Bernard Chardère (dir.), Premier Plan, n°22-23-24, « Jean Renoir », mai 1962, pp. 385-394 ; Jean-Pierre Spiero, « Jean Renoir tourne « Le Docteur Cordelier » », Cahiers du cinéma, n°95, mai 1959, pp. 28-36. Édouard Arnoldy est revenu sur cette expérience hybride dans son article « Cinéma [et] télévision. Entre quelques images du Testament du Docteur Cordelier de Jean Renoir », in Mireille Berton et Anne-Katrin Weber (dir.), La Télévision du Téléphonoscope à Youtube. Pour une archéologie de l’audiovision, Lausanne, Antipodes, coll. « Médias et Histoire », 2009, pp. 289-302.
  65. Jean-Pierre Jeancolas, art. cit., p. 44.
  66. André Gaudreault et Philippe Marion, op. cit., pp. 197-200.
  67. Je me permets de renvoyer à mon article « Il mistero di Oberwald : retour sur une expérience de cinéma électronique » qui développe des enjeux historiographiques similaires à partir du film d’Antonioni. Voir Arnaud Widendaële, « Il mistero di Oberwald : retour sur une expérience de cinéma électronique », dans Thomas Carrier-Lafleur, Marcello Vitali-Rosati et Servanne Monjour (dir.), « Dossier : Les naissances du numérique », Sens public, mis en ligne le 10 mars 2020. URL : http://sens-public.org/articles/1465/.