Les Singes du temps, 2018

Jean-Baptiste Lenglet
Les Singes du temps, 2018

Texte de Lydie Delahaye & Éline Grignard


Les Singes du temps (2018) est une vidéo de l’artiste Jean-Baptiste Lenglet qui vient clôre une trilogie réalisées entre 2016 et 2018 dans la continuité d’une thèse SACRe intitulée « Horizons perdus. Comment le cinéma expérimental et la sculpture ouvrent à l’installation ». Avec différents enjeux et outils, cette recherche explore les rapports entre le langage filmique – le mouvement, le montage, la modélisation spatiale, etc. – et l’architecture de Phnom Penh, Tokyo et Lhassa.

La genèse des Singes du temps trouve son origine dans la « trilogie chronolytique » de l’auteur Michel Jeury, constituée de trois romans de science-fiction publiés dans les années 1970. Jean-Baptiste Lenglet emprunte à Jeury non seulement les titres mais également la structure répétitive et les distorsions temporelles de ses romans. Le Temps incertain (2016), une première vidéo reprenant de manière abstraite l’agencement narratif du roman éponyme, présente des images Super-8 de Lhassa, découpées numériquement, puis mises en volume dans un logiciel de modélisation 3D. Une caméra virtuelle parcourt l’espace architectural des images qui devient alors une matrice architectonique. Soleil chaud, poisson des profondeurs (2018) correspond au deuxième livre de la trilogie de Michel Jeury et a été présentée à l’occasion de l’exposition « Tesselles // Pixels » au Musée du Louvre en 2018. Création in-situ pour la salle des mosaïques de Qabr Hiram, cette seconde vidéo propose une fois de plus une expérience virtuelle des confusions temporelles par l’exploration architecturale.

Pour le second numéro de la revue Images Secondes, Jean-Baptiste Lenglet a réalisé Les Singes du temps, une troisième vidéo qui correspond au dernier volet de la trilogie et qui fonctionne en miroir avec sa première vidéo Le Temps incertain. À partir de la même matrice architecturale que Le Temps incertain – l’espace modélisé en 3D, les formes découpées et les mouvements de la caméra virtuelle qui parcourt cet espace – l’artiste utilise cette fois des images HD de Pékin. Si cette vidéo conserve la même structure temporelle et spatiale, il s’agit pourtant d’un travail qui ouvre à d’autres enjeux engageant la question du modèle génératif et de l’aléatoire. Les Singes du temps a été conçu avec un moteur de jeu vidéo, plutôt qu’avec un logiciel de montage traditionnel, ce qui permet la production d’images 3D en temps réel et multiplie les possibilités de codage : un ensemble de plans fixes filmés à Pékin constitue un réservoir d’images qui, lors de la lecture de la vidéo, sont sélectionnées par le logiciel et adaptées à l’environnement architectural et ses modélisations 3D. Sensiblement différente à chacun de ses visionnages, la vidéo ne cesse d’apparaître dans une nouvelle version puisque le moteur de jeu opère des choix dans et entre les images. Dès lors, la question du montage devient non seulement une problématique temporelle (horizontale) mais recouvre également des enjeux spatiaux et architecturaux (environnement 3D). Ce montage programmé, en partie aléatoire, engage alors un imaginaire de la dérive urbaine, comme une cartographie de la ville et de ses marges. Dans les vidéos, Lhassa et Pékin deviennent des villes doubles, qui entretiennent des parallèles et des relations virtuelles, évoquant ainsi la structure scénaristique de la trilogie de Michel Jeury. En effet dans les romans, l’idée de chronolyse développée par l’auteur produit des distorsions temporelles et spatiales et des effets de dédoublements. Dans Les singes du temps, il s’agit de mettre à distance la réalité des images par le virtuel et les modalités de la (science)-fiction. En travaillant les qualités plastiques de l’espace virtuel, la vidéo actualise les possibilités en donnant forme aux matériaux filmiques dans un espace-temps conçu pour le spectateur. Les Singes du temps existe dès lors selon différentes modalités : en tant qu’application en réalité virtuelle, dans laquelle l’œuvre se reconfigure à l’infini et en temps réel, et en tant que vidéo linéaire qui correspond à l’enregistrement d’une lecture de l’application, la version présentée dans ce numéro d’Images Secondes.