Danse et regards dans Argentina de Carlos Saura

Stéphanie Hontang
Danses et regards
dans Argentina de Carlos Saura

Résumé

Le réalisateur espagnol Carlos Saura réalise en 2015 Argentina, un film sur les danses et musiques du Nord-Ouest argentin. Ces dernières sont mises en scène sous plusieurs aspects : de leur expression régionale à des variantes plus métissées. Toutefois, elles sont confrontées à une crise de leurs représentations tant le corps des danseurs se trouve modifié dans ses propriétés physico-temporelles par l’objectif cinématographique d’une part et la mise en scène contemporaine d’autre part. Ces corps désincarnés ne viendront que mieux interroger la réalité et poser la question des origines du folklore argentin.

Mots-clés

Folklore argentin, intermédialité, point de vue

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Un sujet argentin

 Deux décennies se sont écoulées depuis la sortie de la comédie musicale Tango quand en 2015 le réalisateur espagnol Carlos Saura met en scène pour le film Argentina[1] les danses et musiques des populations autochtones du Nord-Ouest argentin. « Collas » est le nom de l’ethnie par lequel on « prétend englober la totalité de la population aborigène actuelle du Nord-Ouest argentin »[2]. Si l’on remonte au 16ème siècle, ce terme ne rend pas compte de la diversité passée des cultures et communautés[3] de la région. Cette diversité a aujourd’hui disparu sous l’effet des vagues successives de colonisation du 16ème à la fin du 19ème siècle.

Face aux tentatives d’effacement, une résistance militaire et culturelle s’organise dès le début de la conquête du Nord argentin par les espagnols en 1550[4]. Des foyers de lutte se développent par exemple parmi les Diaguitas[5]. Malgré tout, les populations indigènes de la région[6] subissent progressivement les phénomènes de métissage et d’acculturation du fait des regroupements forcés entre communautés au sein d’exploitations agricoles, de l’arrivée des esclaves noirs, de l’urbanisation grandissante et de l’afflux de migrants européens à la fin du 19ème siècle[7]. Ce sont les danses, musiques et chants qui ont été et continuent d’être l’un des espaces de résistance et de maintien des cultures indigènes. Ces pratiques culturelles ont formé un ciment commun évitant la désagrégation totale de leurs peuples. Pendant la période coloniale, les instruments de musique étaient par exemple détruits[8]. Dès lors, « afin de poursuivre leur développement créatif et musical, les Andins-métis ont dû remplacer une partie de leurs instruments par ceux venus d’Espagne » [9].

Mais au début du 19ème siècle, le folklore indigène est cette fois-ci mis à l’honneur au nom des valeurs libertaires et démocratiques que porte le mouvement indépendantiste face à la monarchie espagnole. On danse le cielito, le pericón et la media cana[10] dans les beaux salons de Buenos Aires[11]. Le territoire argentin se divise rapidement à l’issue de l’Indépendance entre partisans d’un pays centralisé autour de Buenos Aires et fédéralistes. Les chansons folkloriques sont alors reprises et remaniées à souhait selon les régions et leurs orientations politiques[12]. Aussi, l’écart continue-t-il de se creuser entre les « petites sociétés traditionnelles des oasis du piémont de la cordillère (Salta, San Juan, Tucuman, Mendoza) » et « le port de Buenos Aires tout entier tourné vers l’Europe, ses marchés et ses idées »[13]. Cette opposition revêt des aspects ethniques et idéologiques. Elle est entre autres le fait de politiciens tels que Domingo F. Sarmiento qui divise le territoire entre la capitale civilisée et l’intérieur des terres sauvages[14]. À partir des années 1960 et 1970, des artistes comme Mercedes Sosa appartenant à la vogue du « Nuevo cancionero » reprennent à leur compte des chansons du répertoire folklorique comme revalorisation de la culture indigène. L’anthropologue Faviola Orquera révèle cependant la nature paradoxale de ces chants et danses traditionnels. Elle montre dans ses travaux comment le folklore tucumanien a été repris par l’élite sucrière de la même région au début du XXe siècle pour revendiquer leur identité rurale en opposition à la vogue urbaine du tango venue de la capitale[15]. Or ce sont ces mêmes chansons remaniées par l’élite tucumanienne qui sont reprises plus tard par les artistes militants du « Nuevo cancionero » pour dénoncer les conditions de travail des ouvriers agricoles des plantations de sucre. Enfin, les travaux d’historiens de la danse tels que Carlos Vega révèlent l’origine occidentale de ces danses folkloriques tout droit inspirée des danses de cours européennes et que les populations métisses et indigènes s’approprient dès l’époque coloniale[16]. Aujourd’hui, ces danses et musiques apparaissent comme l’un des marqueurs identitaires de l’Argentine[17] et une tradition indigène que des groupes d’artistes du Nord-Ouest diffusent à travers le pays et le monde[18].

Au regard de son parcours, le folklore argentin apparaît tel un palimpseste. C’est d’ailleurs sous la forme de tableaux successifs en danse et musique que le cinéaste espagnol Carlos Saura décide de le présenter au sein de son film. Le studio Galpón de la Boca à Buenos Aires est le lieu qui a été choisi pour la mise en scène des expressions corporelles et musicales répondant aux noms de chacarera, chamamé, zamba, gato, vidala, cueca, malombo et carnavalito. Il s’agit d’un espace épuré à la scénographie sophistiquée. Les danses sont coupées de leurs terrains habituels comme si Saura cherchait à les mettre à nu en les reterritorialisant afin de reposer la question de l’origine de ces danses à travers le travail des corps des danseurs. L’interprétation de ce folklore dépend, comme nous l’avons vu initialement, de la nature du regard. La caméra prolonge, grâce à son objectif, l’œil du spectateur et désigne par métonymie le cinéma. C’est par le prisme de ce média que le cinéaste propose d’observer les danses folkloriques du Nord-Ouest argentin. Toutefois, l’objectif de la caméra présente une tension entre le point de vue représentatif et le point de vue narratif, entre ce que l’on voit et ce qui est dit, entre la simple image et l’opinion. Ainsi, le regard d’un Espagnol tel que Saura sur les traditions indigènes pose-t-il la question de la pertinence de sa représentation : sa caméra reproduit-elle les lieux communs sur ces minorités ou arrive-t-elle à les éviter ? Traduit-elle les conflits séculaires ou les dépasse-t-elle ? En somme, que peut le cinéma pour la mémoire et la réception de ces danses ?

Un regard ethnocentré

La nouvelle œuvre que Carlos Saura consacre aux danses argentines accuse un changement au niveau de la narration et de la mise en scène. La succession des tableaux de danses prend le pas sur l’ancienne structure linéaire et fluide soutenue par le fil narratif de la fiction. Le personnage du metteur en scène, double de Saura à l’écran, disparait au profit d’artistes accrédités[19]. Chaque numéro de danse dans Argentina débute par une scène en coulisse ou sur le plateau mettant en avant les échauffements des danseurs ainsi que l’encadrement de ces derniers par les metteurs en scène de la troupe du Ballet Arte Nativo : Koki et Pajarín Saavedra. Ce ballet évolue dans la province de Córdoba. L’ensemble des tableaux est exécuté par des artistes originaires du Nord-Ouest argentin. Si le premier groupe domine, la troupe du Ballet de Juventud Prolongada, originaire de la région de Jujuy près de la Cordillères des Andes, présente également un numéro dans le film. Carlos Saura présente les danses des régions septentrionales en mettant en avant un travail en collaboration.

Ce dialogue se traduit à l’écran par une alternance entre deux points de vue. On assiste à un va-et-vient entre la position frontale de la caméra par rapport à la scène où évoluent les danseurs et son intrusion au milieu des ballets grâce à un zoom. Le travelling optique modifie non seulement la distance de l’œil à l’objet filmé mais aussi l’organisation même de l’espace perçu car le zoom sélectionne une partie du plan pour le greffer à une unité plus grande, le film. Saura met ainsi en valeur un geste, un mouvement, une expression, la couleur vive d’un volant sur un fond noir, ou un rapprochement entre deux corps au sein d’un cadre resserré. L’effet qui en découle est saisissant : des danseurs aux corps fragmentés et épiés par un œil attentif et sensible à la moindre vibration. Dans la plupart des séquences de danses, on assiste à une alternance entre plans larges et plans resserrés créant au passage une forme de pulsation. C’est ce rythme qui donne son uniformité au film, la durée des plans et des séquences étant en général inégale. Il permet de souligner la vitalité des danses du Nord-Ouest argentin. En outre, la caméra se positionne en général à hauteur des danseurs. L’insertion au sein de la scène depuis l’objectif de la caméra est alors d’autant plus forte. Quelques plans à hauteur des pieds et des travellings verticaux qui parcourent les corps viennent compléter cette traduction au plus près du travail corporel des artistes. Le regard se fait ici plus voyeur et emprunte non pas celui du danseur mais celui du metteur en scène ou du réalisateur qui veille au moindre détail. Carlos Saura crée en quelque sorte un effet ventouse grâce à ces travellings optiques. Il transforme ainsi la vision externe du spectateur, qui est également la sienne, en une focalisation interne.

Le réalisateur joue également sur la mise en scène de l’entrée des corps des danseurs sur le plateau afin de traduire son choix de filmer la danse depuis le regard des artistes du Nord-Ouest argentin. Grâce à une caméra semi-subjective associée à un travelling avant, le spectateur suit fréquemment le parcours de l’artiste des coulisses à la scène avant chaque numéro de danse. Ces artistes se dirigent main dans la main vers le devant de la scène. C’est ainsi que s’ouvrent la « Chacarera doble » et le « Carnavalito », respectivement quatrième et vingtième tableaux au sein du film. Dans ce dernier numéro, on peut voir les interprètes courir, se projetant vers l’avant, la caméra tel un nouveau corps sur la piste. L’image est amicale et sonne comme une invitation. Lors du onzième tableau, la disposition frontale et traditionnelle entre la scène et le spectateur s’efface avec plus de force. Ce numéro est consacré à la danse du gato. L’une des danseuses s’affranchit des règles d’entrée puisqu’elle n’accède pas à la scène depuis les coulisses mais depuis le devant de la scène. De plus, elle grimpe sur les planches en prenant appui sur ses mains depuis le bord de cette scène et s’y assoit. Ce moment est filmé en deux temps grâce à un raccord dans l’axe. Le cadre, tout d’abord large, se resserre suite à un montage cut sur la danseuse qui finit de prendre appui sur le bord de la scène pour s’assoir. Le rapide resserrement du cadre crée un dynamisme et imite l’impulsion de la main de la danseuse sur la scène lorsqu’elle soulève le poids de son corps. En outre la caméra filme à hauteur de la danseuse. On a l’impression de grimper sur scène à ses côtés. Enfin, le geste de l’artiste est à la fois quotidien et familier, ce qui rompt avec la distance et la solennité qu’instaurent des représentations issues des spectacles tels que des ballets de danse classique. Le ton est donné. L’ambiance du film est populaire à l’image de l’origine sociale des dépositaires de cette mémoire folklorique du Nord-Ouest argentin. On connait le point de vue. Qu’en est-il à présent du point de vision ou narratif ? Que nous racontent les danseurs à travers leurs corps ?

Les numéros de danses et musiques s’enchaînent sans lien apparent. Il est toutefois possible de récréer un fil temporel. L’histoire coloniale et les préjugés dont ont été victimes les habitants des régions de l’intérieur par rapport à Buenos Aires sont présents dans certains tableaux. Les susdits préjugés y font l’objet de détournements. Comme précisé initialement, l’assimilation et le détournement des danses et des musiques imposées par les colons espagnols ont été l’une des armes des indigènes pour maintenir la culture et la cohésion de leurs communautés. On retrouve tout d’abord l’esprit carnavalesque dans le sens bakhtinien du terme au centre du « Carnavalito ». Il s’agit de la danse la plus primitive dans sa forme, car elle n’est pas codifiée. Dans le film, les différents membres de la troupe sautillent en rond autour d’un feu artificiel au son d’instruments à vent comme la quena[20]. Les femmes portent le bombin, le chapeau de feutre noir, et la pollera, jupe à trois volants, ornée du motif représentant l’animal emblématique des Andes, l’alpaga. Les hommes sont vêtus de ponchos. Les couleurs des tissus sont vives et variées. Par ailleurs, la forme collective de la danse inscrit également le « Carnavalito » dans la tradition indigène antérieure à l’arrivée des colons espagnols[21]. Aussi s’oppose-t-elle aux danses en couple qui se développent plus tardivement sous l’influence des danses des cours européennes[22]. Les éléments emblématiques du monde andin sont réunis pour illuminer et égayer une scène épurée. Malgré l’impression d’une manifestation orchestrée par un tour-opérateur, les objets de culte chrétien mis au feu ainsi que les danseurs déguisés en diable rompent avec une représentation artificielle et rappellent la dimension carnavalesque de la danse. Comme l’explique Isabelle Lemayrie, « dans de nombreuses communautés indiennes ou noires d’Amérique Latine, le personnage du diable incarne la liberté, la révolte contre le colonialisme, l’anticonformisme »,[23] car c’est une façon pour eux de « retrouver orgueil et identité, de subvertir temporairement un système aliénant ou opprimant ». Sous ses airs de manifestation joyeuse et lisse, le carnavalito apparait au sein du film comme l’une des danses les plus politiques.

Le tableau consacré au gato parodie quant à lui l’image sauvage qui a été attribuée aux habitants de l’Ouest argentin par l’élite portègne à partir du XIXe siècle. D’après la classification que fait Carlos Vega des danses folkloriques argentines, le gato fait partie des danses de couple qui admet une forme collective, avec par exemple un ballet formé par différentes paires de danseurs[24]. Comme ses homologues, le gato est une danse qui reproduit la poursuite amoureuse entre un homme et une femme. On retrouve les mêmes pas et attitudes dans ces danses de couple. Le cavalier invite la dame grâce à des palmas. Les tours ou vueltas[25] servent de points de rencontre entre les partenaires. Lors des face à face, la danseuse tourne et joue de sa jupe pour séduire. Il s’agit du zarandeo[26]. Le cavalier frappe le sol de ses pas en retour pour exprimer sa joie. On appelle cela le zapateo ou zapateado[27]. Dans le cas du gato, il n’y a pas d’enlacement. Si l’homme a les bras plutôt libres en dansant, la femme les maintient en l’air tout en claquant des doigts. Le numéro présent dans le film rompt avec cette forme traditionnelle. Ce sont deux groupes de jeunes femmes déguisées en félin qui s’affrontent. Le jeu de séduction se transforme en affrontement. Les danseuses surgissent tout d’abord de toute part sur la scène insistant ainsi sur la nature sauvage et libre de leurs personnages. Elles forment ensuite deux lignes et commencent à s’affronter, une lutte que mettent en valeur les champs-contrechamps. Les plans moyens révèlent les grimaces, les corps qui se contorsionnent, les sauts attitudes et les menaces de griffures. Le poids des corps qui retombent sur scène suite au saut résonne et traduit une certaine lourdeur. Leur danse est la transcription des paroles de la chanson qu’un orchestre interprète sur un coin de la scène. Le chant raconte l’éveil d’un chat sauvage un soir de pleine lune.

Figure 1. Le tableau du gato. Source : http://www.allocine.fr/film/fichefilm-240660/photos/detail/?cmediafile=21263832

Toutefois, l’affrontement est tourné en dérision par le jeu de mime des danseuses. Il n’y a pas de corps à corps. Le maquillage, les grimaces ainsi que les feulements ne sont pas menaçants mais enfantins. Enfin, la finesse du corps des femmes dans leurs justaucorps noirs et les attitudes animales entrent en contradiction et rendent l’ensemble grotesque. Ce numéro débute en coulisse. Les danseuses sont assises face à leurs miroirs et commencent à fêler tout en grimaçant tels des chats. La caméra filme en gros plan ces artistes de manière indirecte. Il y a un double détournement. Le reflet du miroir nous montre une image déjà parodiée comme pour mieux insister sur la nature artificielle de ce lieu commun sur une Argentine sauvage.

Le renversement des codes auquel on assiste dans les numéros commentés ci-dessus a pour objectif de contrecarrer une culture dominante pour mieux retrouver la nature réelle des cultures malmenées. Mais, tout n’est pas synonyme d’ironie au sein du film. Le tableau dédié au vidala rend compte, dans une atmosphère solennelle, de la cosmogonie et de la pensée indigènes. Ce numéro associe deux solistes en danse et chant. Il s’agit de l’une des danses les plus libres du film. L’inspiration est contemporaine. Le corps du danseur va venir interpréter les paroles du chanteur qui, dans un premier temps, joue seul du tambour sur une scène. Ce dernier raconte comment un homme se libère peu à peu d’une ombre qui le consume de l’intérieur. La chanson rend compte de cette vision cyclique de la vie par les indigènes. Après la mort vient la vie. En travaillant son corps dans l’horizontalité, posture funeste, puis dans la verticalité, synonyme de vie, le danseur transcrit cette pensée. L’artiste apparait tout d’abord dans un plan moyen et se meut au sein d’une danse aplatie et silencieuse. Seule une douche de lumière l’éclaire. Le reste de la scène se déroule dans la pénombre. Puis, le corps du danseur ondule, toujours en respiration. Il se grandit et se replie. C’est un rythme intérieur qui l’amène à danser. Son corps adopte une posture de plus en plus verticale et ses mains repoussent, face à la caméra, une présence imaginaire. Comme entrainée par l’impulsion du corps et de la voix des artistes, la caméra entreprend un mouvement de travelling qui balaie l’ensemble de la scène de la droite vers la gauche. Défile alors sous nos yeux une série de miroirs ou écrans projetant le danseur dans sa renaissance. La séquence se referme sur lui avec un plan poitrine. Il est alors debout sur une scène éclairée plein feu. On est passé de l’ombre à la lumière, de l’horizontalité à la verticalité. Derrière le danseur de chair et d’os, se trouve le mur de fond projetant l’image du chanteur, renforçant ainsi le parallélisme entre les deux artistes. La voix rauque est à l’image d’une danse exécutée dans la douleur. Le son est ce « grain » ou ce « corps dans la voix qui chante, dans la main qui écrit, dans le membre qui exécute »[28]. Le son se fait corps. Corps et voix fusionnent dans ce numéro rappelant alors que l’art indigène a toujours associé la danse, la musique et le chant[29]. La force de liaison de leur art était telle qu’il rythmait la vie quotidienne comme par exemple pour les tâches agricoles[30]. Au-delà de la scène décrite, on remarque ce travail de synchronisation entre le son et l’image sur l’ensemble du film. Michel Chion nomme « synchrèse » « cet effet psycho-physiologique […] en vertu duquel deux phénomènes sensoriels ponctuels et simultanés sont perçus immédiatement comme un seul et même événement, procédant de la même source »[31]. Nous constaterons à nouveau cette harmonie artistique au sein du numéro consacré au chamamé. Le cinéma, art du son et du mouvement, permet de traduire grâce à sa nature intermédiale l’aspect organique et sensoriel qui caractérise en partie le folklore indigène.

Des danses métissées et des corps voyageurs

Le regard a beau être ethnocentré, les danses versent très souvent dans une chorégraphie contemporaine leur donnant un caractère occidental. Mais ce n’est pas uniquement le fait du réalisateur, des artistes et metteurs en scène. Les danses du Nord-Ouest argentin sont métissées. Elles ont reçu depuis la colonisation espagnole l’influence européenne, indigène et africaine. Carlos Vega attribue la paternité de ces danses aux « modèles chorégraphiques des anciens cercles courtisans et des hauts salons civils européens »[32]. L’empreinte occidentale se traduit par l’enlacement, la forme en couple des danses et le jeu amoureux présent dans chacune d’entre elles. Elle s’est faite par acculturation[33] ou par imitation des classes supérieures, un mimétisme qui répond selon Carlos Vega à la loi sociologique de cet attrait des couches populaires pour l’élite. L’apport indigène et africain ne serait pas si important concernant la forme des danses de couple. Dans le film de Saura, l’influence européenne ne s’arrête pas aux danses de cour. Fort de ce métissage historique et considérant la danse comme une forme ouverte qui évolue[34], Saura apporte une touche classique et contemporaine aux chorégraphies. Les pas de danses folkloriques alternant pointes et talons côtoient, dans un même numéro, les retirés, la quatrième, le grand écart facial tout droit venus de la danse classique[35] ou encore le fait de se mouvoir les pieds nus, le travail au sol, les sauts attitudes et les pas de bourrée d’inspiration contemporaine et modern jazz[36]. Les gros plans sur les pieds des danseurs mettent en valeur cet entremêlement des origines. Seules les danses collectives et individuelles sont directement attribuées aux communautés indigènes et afro-argentines. Selon les termes de Carlos Vega, les indigènes et esclaves ont apporté aux danses de couple un caractère et non une forme[37]. Il s’agit du rythme percussif en musique et de l’esprit joueur, se traduisant par exemple par une danse en déboité.

Le tableau consacré au chamamé illustre parfaitement l’esprit métissé qui structure le film, car les trois influences s’y mêlent. La danse est à la fois collective et en couple comme cela se pratique dans le Nord-Est argentin. Elle célèbre traditionnellement l’amour et la fusion des ethnies à travers le temps. La chorégraphie et la mise en scène vont se mettre au service de cette histoire. Les danseuses forment tout d’abord deux colonnes traçant ainsi deux lignes de fuite vers le fond de la scène. Un couple placé à l’extrémité des deux files constitue le point de fuite central de ce tableau. Les protagonistes du numéro sont métis et représentent la communauté indigène et afro-argentine du pays. Lorsqu’ils s’avancent vers le milieu de la scène et que surgissent quelque temps après des danseurs pour former de nouveaux couples, les lignes pures de ce plan moyen à l’architecture renaissante volent en éclat. Une débauche de couleurs et mouvements déferle sur la scène.

Figure 2. Le tableau du chamamé 1/2. Source : http://www.allocine.fr/film/fichefilm-240660/photos/detail/?cmediafile=21263830

Les couples enlacés se balancent sur un rythme de valse. Ils vissent et dévissent leurs corps dans un mouvement de rotation sous l’impulsion de l’accordéon, autre effet de synchrèse[38]. Au plus fort de la scène, la caméra s’insère au milieu de la piste grâce à un zoom associé à un travelling vertical. L’objectif parcourt les corps qui s’entremêlent et fusionnent. Seul le regard bas des danseuses marque une certaine retenue. C’est un atout-charme qui participe à ce jeu de séduction présent dès les premières danses de cour à l’instar des pas et de l’enlacement qui ont gagné en sensualité. Il s’agit d’un véritable corps à corps qui résume en quelques minutes ce que des siècles d’Histoire argentine ont mis pour façonner ce métissage ethnique et culturel. Ainsi, les danseurs apparaissent-ils comme des corps faits de temps. C’est là leurs natures paradoxales : un corps qui en dansant engendre « une durée toute faite d’énergie actuelle »[39], qui crée du temps ou recrée le passé depuis le présent.

La scénographie que propose Carlos Saura vient enrichir la perception du corps dansant comme objet créateur de temps. Pour cela, il a recours à l’art de la vidéo. Dans de nombreux tableaux, les murs de fond sont des écrans qui projettent et dédoublent les mouvements des danseurs sur scène. Il va parfois plus loin en installant une image kaléidoscopique. Elle permet de multiplier les mouvements des artistes. C’est le cas du tableau consacré au chamamé. Les lignes de fuites que forment les danseuses en tout début de numéro sont prolongées par la multiplication de leurs membres en mouvement dans cette image en relief créant ainsi une fausse profondeur de champ. Les danseurs évoluent face à eux-mêmes comme s’ils se trouvaient face à un miroir. Le mouvement réflexif est également intellectuel, car il engendre une réflexion sur le procédé lui-même. Deux temps se côtoient au sein de la scène : l’apparent présent des danseurs de chair et d’os et le passé suggéré par la reproduction des mouvements grâce à la technique du kaléidoscope. La répétition des mouvements des danseurs projetés n’est pas simultanée à ceux exécutés sur scène d’où ce décalage temporel. Cependant la projection du temps passé est instantanée pour le spectateur. En effet, l’œil humain ne peut percevoir cet infime décalage, la vitesse de la lumière troublant cette réception. Cette mise en scène matérialise ce décalage permanent, entre le présent et sa perception : l’existence du présent est impossible, car l’instantanéité de la perception n’existe pas. Seul le passé est présent. Les artistes dansent simultanément avec leurs ombres, la perception de leur corps se désagrège entre présent et passé.

Par ailleurs, l’introduction d’une scénographie sophistiquée génère d’autres conséquences sur l’aspect des corps, car « l’art vidéo lié à la danse » se rapproche « de la performance des arts plastiques, des nouvelles technologies. Le danseur y est appréhendé comme masse, mouvement, couleur, forme ».[40] Comme précisée précédemment, l’utilisation de l’image kaléidoscopique crée une fausse profondeur de champ. L’introduction d’une piste de danse au cinéma introduit également des lignes de fuite au sein du plan cinématographique. L’effet miroir se reproduit puisque l’aspect faux et aplani de la surface du mur de fond renvoie à la nature bidimensionnelle de l’image cinématographique. La notion de volume est factice. De plus, les couleurs vives des costumes des danseurs en mouvement accentuent la texture lisse de l’image tels des coups de pinceau sur une toile colorée

Figure 3. Le tableau du chamamé 2/2. Source : http://www.allocine.fr/film/fichefilm-240660/photos/detail/?cmediafile=21263831

Le corps des danseurs subit une troisième opération. Comme dans ses films musicaux précédents, Carlos Saura a recours à des panneaux mobiles qui délimitent et ouvrent à la fois l’espace scénique. De plus, des glaces viennent diffracter davantage l’espace dont disposent les artistes. Les corps des danseurs de la zamba « Luna tucumana » sont fragmentés par leurs reflets dans le miroir dans un espace scénique déstructuré. Le corps du danseur apparait comme une matière modulable. Cette enveloppe corporelle à la fois libre, légère, contrainte ou modifiée est un peu à l’image de l’évolution de la forme des danses du Nord-Ouest argentin, façonnée par une histoire conflictuelle. En somme, le corps se métisse et absorbe les chocs du temps qui passe.

Tout au long du film, les corps des danseurs tendent vers une abstraction toujours plus grande, une abstraction opérée par l’appareil cinématographique et une mise en scène contemporaine. Une fois passés au crible des nouvelles technologies, les membres sont aplatis, fragmentés ou évanescents. Les conséquences sont doubles. D’une part, l’aspect protéiforme des danses traduit l’histoire argentine faite de métissages et de conflits. Le film présente des danses aussi bien issues d’un folklore indigène comme le carnavalito que colonial voire postcolonial à l’image des mouvements inspirés des danses de cour européennes. Les détournements et parodies soulignent cependant l’histoire conflictuelle. D’autre part, le corps du danseur semble éloigné de tout contexte ethnoculturel. C’est grâce à un point de vision particulier et à une image fictionnelle que Saura interroge la réalité, notre point de vue et repose la question des origines. Le réalisateur désincarne les corps comme pour mieux se dégager d’une vision linéaire du temps et montrer la coexistence du passé avec le présent. Il met à mal les instrumentalisations politiques des danses folkloriques évoquées initialement qui ont pu reposer sur une hiérarchie du temps et opposer tradition et modernité. Ainsi l’image d’un point originel inscrit sur la ligne vitale de ce folklore disparait-elle au sein de la spirale temporelle. La nature transcendante de la danse se révèle alors avec pour vecteurs le corps du danseur et la caméra. Les vicissitudes du temps n’ont pas de prise sur la forme ouverte et libre de la danse folklorique argentine et de la danse en général.


[1] Le film s’appelle à l’origine Zonda, folklore argentino. Le titre a été modifié pour sa diffusion en France comme l’explique le réalisateur dans une interview pour la radio France Culture en 2015 et dont rend compte l’article de Caroline Broue « Carlos Saura, du cinéma politique au cinéma musical », Radio France culture. Consulté le 23.12/2015 [en ligne]. URL : https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-1ere-partie/carlos-saura-du-cinema-politique-au-cinema-musical.

[2] Carlos Martínez Sarasola, Nuestros paisanos, Los Indios, Editorial Del nuevo extremo, 2011, p.347 [traduction de l’auteur]

[3] Ibid, p.43. Dans la région du Nord-Ouest ou de la Montagne, les communautés présentes dès le 16ème siècle sont les Atacamas, les Diaguitas, les Omauacas, les Lule-Vilelas ainsi que les Tonocotés. Malgré leurs différences, elles ont toutes reçu l’influence de la culture quichua en raison de l’importance de l’empire Inca.

[4] Ibid, p.85

[5] Ibid, pp.43-45

[6] Le destin des communautés des régions du Chaco, de la Patagonie et de la Pampa est différent. Les résistances indigènes ont été plus concluantes depuis le début de la colonisation car de nombreux territoires restent libres jusqu’au 19ème siècle et font donc l’objet de campagnes militaires. Carlos Martínez Sarasola indique dans son ouvrage (p.243) qu’entre 1821 et 1899, 12 335 indigènes auraucanos, vorogas, ranqueles, tehuelches, pehuenches, mocovies, abipones et tobas ont été exterminés.

[7] Carlos Martínez Sarasola, Nuestros paisanos, Los Indios, Editorial Del nuevo extremo, 2011, p.89 et p.255

[8] César Bolaños, Origen de la música en los Andes, Instrumentos musicales, objetos sonoros y músicos en la región Andina precolonial, Editions Fondo editorial del congreso del Perú, Lima, 2007, p.136

[9] Cesar Bolaño, Ibid., p.145 [traduction de l’auteur]

[10] Carlos Vega, El Origen de las danzas folkloricas, Editions Ricordi, Buenos Aires, 1956, p.21. D’après la classification que fait l’historien des différentes danses folkloriques argentines, le cielito, le pericón et la media cana se pratiquent dans le Nord-Est du pays. Au sein du film de Saura, seule la danse du Chamamé représentera la partie orientale de l’Argentine, les autres danses se pratiquant dans le Nord-Ouest.

[11] Carlos Vega, Ibid., pp.123-124

[12] Rodolfo Ortega Pena, Duhalde E. L., Folklore argentino y revisionismo histórico, Ed. Sudestada, 1967, p.10

[13] Bernard Lavallé, L’Amérique espagnole, de Colomb à Bolivar, Editions Belin, Paris, 2009, p.293

[14] Stéphane Bürgi, « La conquête du “désert” argentin (1879) et la fin de la question indigène. Étude sur la justification idéologique d’une spoliation », Lausanne, Mémoire de l’Université de Lausanne, 2008, p.85, [en ligne], disponible en: <http://mapuche.free.fr/documents/Laconquetedudesert.pdf> (consulté le 19/12/2016)

[15] Santiago Garaño, « El monte tucumano como “teatro de operaciones” : las puestas en escena del poder durante el Operativo Independencia (Tucumán, 1975-1977) », Nuevo Mundo Mundos Nuevos [En ligne], Questions du temps présent, mis en ligne le 29 septembre 2011, consulté le 21 avril 2016. URL : http://nuevomundo.revues.org/62119 ; DOI : 10.4000/nuevomundo.62119.

[16] Carlos Vega, El Origen de las danzas folclóricas, op. cit., p.22

[17] Carlos Vega, ibid., p.181. Carlos Vega affirme que « Buenos Aires, qui leur a imposé le style formel des Contre-danses et les Menuets et la monotonie des danses de couples, ressent aujourd’hui l’action déterminée de deux générations de traditionnalistes, et est en train d’accepter et de contrôler cette curieuse « renaissance » en lui apportant un appui depuis son haut prestige national. » [traduction de l’auteur]

[18] Le Ballet Arte Nativo se produit à travers le monde. La troupe de danseurs et musiciens est originaire de la ville de Cruz del Eje dans la province de Córdoba : http://balletartenativocde.blogspot.fr/. Le groupe Ballet Juventud prolongada vient de la ville de San salvador de Jujuy près de la Cordillère des Andes. Il existe également la troupe Che Malombo qui est spécialisé dans le malombo, la danse dite des gauchos : http://www.chemalambolive.com/. Les deux premiers groupes ont participé au film de Carlos Saura.

[19] C’était déjà le cas dans Tango. Toutefois, les personnages de fiction étaient encore présents à la différence du film Argentina.

[20] Cesar Bolaños, Origen de la música en los Andes. Instrumentos musicales, objetos sonoros y músicos en la región Andina precolonial, op. cit., p. 37

[21] Carlos Vega, El Origen de las danzas folclóricas, op. cit., p. 67-68

[22] Carlos Vega, Ibid., p.69

[23] Isabelle Lemayrie, La Musique sud-américaine, rythmes et danses d’un continent, Paris, Gallimard, 1997, p. 98

[24]Carlos Vega, El Origen de las danzas folclóricas, op. cit., p. 57

[25] www.folkloredelnorte.com.ar. Ce site répertorie les pas et les chorégraphies des différentes danses du folklore argentin.

[26] Ibid.

[27] Ibid.

[28] Roland Barthes, Œuvres complètes, t. III, 1974-1980, éd. É. Marty, Le Seuil, Paris, 1995, pp. 1436-1442

[29] Cesar Bolaños, Origen de la música en los Andes. Instrumentos musicales, objetos sonoros y músicos en la región Andina precolonial. op. cit., p. 53. « En l’espace de presque quinze millénaires, les habitants des Andes eurent recours aux lignes mélodiques de leurs chants originels, tout en ordonnant les mouvements corporels pour créer peu à peu des formes chorégraphiques, et en inventant et perfectionnant leurs instruments de musique. » [traduction de l’auteur]

[30] Carlos Bolaños, Ibid., p. 136

[31] Michel Chion, La Musique au cinéma, Fayard, 1995, p. 206

[32] Carlos Vega, El Origen de las danzas folkloricas. Ed. Ricordi. Buenos Aires. p. 26

[33] Carlo Vega cite dans son ouvrage (p. 97) l’exemple des aborigènes de la réduction de Yapeyu, où les jésuites leurs enseignaient les danses de cour et la musique occidentale.

[34] Pascale Thibaudeau, Carlos Saura. Le cinéma en dansant, Presse universitaires de Rennes, 2017, p. 226

[35] Dans la chacarera doble, la danseuse exécute des figures classiques telle que la quatrième position. Son vêtement de couleur chair renvoie à l’habit de la danseuse classique. Elle a les pieds nus par ailleurs. En introduction à la danse du chamamé, on assiste à un échauffement sur scène. Une danseuse réalise un grand écart facial tandis qu’une autre pointe ses pieds.

[36] Les artistes enchaînent travail au sol, retirés, sauts attitudes et pas de bourrée pendant le numéro consacré à la danse du gato. Elles se déplacent également les pieds nus.

[37] Ibid., p. 108

[38] Michel Chion, op. cit., p. 206

[39] Paul Valéry, Philosophie de la danse, Paris, Éditions Allia, p. 23

[40] Jacqueline Aubenas, Filmer la danse, La renaissance du livre, « Collection Patrimoine », Bruxelles, 2007, p. 28


Référence électronique, pour citer cet article

Stéphanie Hontang, « Danses et regards dans Argentina de Carlos Saura », Images secondes. [En ligne], 01 | 2018, mis en ligne le 25 juin 2018, URL : http://imagessecondes.fr/index.php/2018/06/25/danse-et-regards-dans-argentina-de-carlos-saura

 

Stéphanie Hontang

Depuis 2016, Stéphanie Hontang est doctorante à l’Université de Pau sous la direction de Dardo Scavino. Sa thèse porte sur l’œuvre de Carlos Saura et s’intitule Rupture, transition et métissage géoartistique dans l’œuvre hispano-argentine du cinéaste Carlos Saura. Elle s’intéresse particulièrement à la question de l’intermédialité, et a publié plusieurs articles à ce sujet (« Nación y filiación en la película El Sur de Carlos Saura », dans Líneas [En ligne] n°9 Décembre 2016 ; « Le corps dansant, trace d’un passé individuel et collectif » dans Interlitteraria – 22/, 1 Creation, Political Repression and Censorship, University of Tartu Press, pp.155-167, (à paraitre) ; « Explicación de Buenos Aires por Ramón Gómez de la Serna o Diario de un exiliado voluntario » dans Alba Agraz Ortiz, Sara Sanchez-Hernandez y Raquel Crespo-Vila et Sheila Pastor (dir.), Topografías literarias : el espacio en la literatura hispánica de la Edad Media al siglo XXI y Dimensiones: el espacio y sus significados en la literatura hispánica, Biblioteca Nueva (Madrid) ; « El delincuente tanguero: una figura borgeana y argentina » dans «Tuercele el cuello al cisne, las expresiones de la violencia en la literatura hispánica contemporanea (siglos XX y XXI) », 12ème congrès international d’ALEPH, Université de Séville, 15-17 avril 2015, Editorial Renacimiento, pp. 203-212).

Elle est par ailleurs professeur certifiée d’espagnol, et enseigne actuellement à Agen, tout en étant formatrice cinéma pour le Plan Académique de Formation en Aquitaine et chargée de cours à l’Université de Bordeaux-Montaigne.

 

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